Une heure après notre arrivée dans la demeure d’Esguerra, mon patron descend au salon où je l’attends pour lui donner les dernières nouvelles.
― Où est Rosa ? demande-t-il. Sa voix est calme, elle ne laisse rien trahir de la peine que je lis dans ses yeux. Il sépare tous les problèmes pour affronter ce qui s’est passé et choisit de se concentrer sur ce qu’il faut faire plutôt que de s’attarder sur l’irrémédiable.
― Elle dort, dis-je en me levant du canapé. Je lui ai donné un somnifère et j’ai fait en sorte qu’elle prenne une douche.
― Bon. Merci. Esguerra traverse la pièce pour venir vers moi. Et maintenant, dis-moi tout.
― L’équipe de « nettoyeurs » s’est occupée du corps et a attrapé le gamin que Nora a assommé dans le hall, dis-je. Ils le gardent en captivité dans un hangar que j’ai loué sur la rive sud.
― Bon. Et la voiture blanche ?
― Nos hommes sont parvenus à la suivre jusqu’à un quartier résidentiel de gratte-ciels du centre-ville. C’est alors qu’elle a disparu dans un garage et ils ont décidé d’arrêter leur poursuite. J’ai déjà retrouvé sa plaque d’immatriculation.
― Et ?
― Et il semblerait que nous ayons un problème, dis-je. Est-ce que le nom de Patrick Sullivan vous dit quelque chose ?
Esguerra fronce des sourcils.
― Ce nom me dit quelque chose, mais je ne sais plus quoi.
― Les Sullivan contrôlent la moitié de la ville, dis-je en relatant ce que je viens d’apprendre de notre plus récent ennemi. Prostitution, drogue, armes, etc. Ils y sont mouillés jusqu'au cou. Patrick Sullivan est le chef de famille et il a tous les hommes politiques ainsi que toute la police de Chicago dans sa poche.
― Ah d’accord ! Esguerra semble s’en souvenir maintenant. Et qu’est-ce que Patrick Sullivan a à voir avec tout ça ?
Je le lui explique :
― Il a deux fils ; ou plutôt il avait deux fils. Brian et Sean. Au moment où nous parlons, Brian baigne dans de la soude dans ce hangar que j’ai loué et Sean est le propriétaire du 4x4 blanc.
― Je vois, dit Esguerra et je sais qu’il pense la même chose que moi.
L’identité et les relations des violeurs compliquent les choses, mais elles expliquent également pourquoi ils s’en sont pris à Rosa dans un lieu public. Ils ont l’habitude que leur gangster de père les tire d’affaire et ils n’ont jamais imaginé qu’ils risquaient de se mesurer à quelqu’un d’aussi dangereux que lui.
― Par ailleurs dis-je tandis qu’Esguerra assimile tout ça, le gamin que nous gardons au frais dans le hangar est leur cousin de dix-sept ans, le neveu de Sullivan. Il s’appelle Jimmy. Apparemment, il est proche des deux frères. Ou plutôt il en était proche.
Esguerra plisse ses yeux bleus.
― Ont-ils la moindre idée de qui nous sommes ? Auraient-ils pu s’en prendre à Rosa pour m’atteindre personnellement ?
― Non, je ne crois pas. Une nouvelle bouffée de rage me fait serrer la mâchoire. Les frères Sullivan ont un lourd passé avec les femmes. Ils les droguent pour les v****r, agressions sexuelles, viols collectifs d’étudiantes, la liste est sans fin. Sans l’intervention de leur père, ils pourriraient déjà en prison.
― Je vois. Esguerra fait froidement la grimace. Eh bien, quand nous en aurons terminé avec eux ils regretteront de ne pas y avoir été.
Je hoche la tête. Dès que j’ai appris pour Patrick Sullivan, j’ai su que nous étions en guerre.
― Dois-je rassembler une équipe de choc ? En lui posant cette question, je sens une impatience que je connais bien. Il y a longtemps que je ne me suis pas battu.
― Non, pas encore, dit Esguerra. Il se retourne et va vers la fenêtre. J’ignore ce qu’il regarde, mais il conserve le silence pendant plus d’une minute avant de se retourner vers moi. Je veux que Nora et ses parents soient au domaine avant que nous ne fassions quoi que ce soit, dit-il. Et je lis la dure résolution sur son visage. Sean Sullivan ne perd rien pour attendre. Pour le moment, nous allons nous concentrer sur le neveu.
― D’accord. J’incline la tête. Je m’en occupe tout de suite.