Chapitre 3-1

2005 Worte
Chapitre Trois Quand je me réveille, un rayon de soleil éclaire mon visage. Nom d’un oursin. Je vais devoir mettre de la crème solaire avant de me coucher. Je prends mon téléphone et regarde l’heure. Flûte. La batterie est morte. Je bondis sur mes pieds. Le téléphone était censé me servir d’alarme, et s’il est éteint, je suis peut-être déjà en retard pour mon premier jour. J’exécute ma routine matinale en un éclair, me précipite à la cuisine et vérifie l’heure sur le micro-ondes. OK, si je saute le petit déjeuner et enfreins les limites de vitesse, je peux le faire. Grand-père entre dans la pièce. — Bonjour, Câpre. Je lui adresse un sourire. — Dis-moi que la voiture que je vais emprunter est prête à l’emploi, s’il te plaît. Il hoche la tête. — J’ai changé l’huile l’autre jour et le réservoir est plein. J’ai même laissé un Glock dans la boîte à gants. Tu n’as pas besoin de permis pour ça. Vu que je suis en retard, je ne vais pas argumenter avec lui au sujet du flingue. — Tu as mangé ? me demande Grand-père. Je secoue la tête. — Je prendrai quelque chose une fois là-bas. Il fronce les sourcils, ouvre le frigo et en sort un panier-repas couvert d’autocollants de sirènes et d’octopus. — Ta grand-mère se doutait que tu serais pressée. Il y a un déjeuner là-dedans, mais tu peux le prendre comme petit déjeuner. Une sensation chaleureuse se répand dans mon ventre. C’est mon ancien panier-repas ; ils l’ont gardé pendant toutes ces années. Je le prends et dépose un b****r sur sa joue mal rasée. — Dis à Grand-mère que c’est la meilleure. Et toi aussi. — Je le ferai. Fonce. Je me précipite dans le garage, puis traverse la A1A à toute vitesse. C’est une route très pittoresque, dont je n’ai même pas l’occasion de profiter tant je suis pressée. J’arrive à Sealand avec une minute d’avance. Une femme m’attend. Une jeune et jolie blonde à la peau précancéreuse et au faux sourire qui la fait ressembler à un dauphin. — Mademoiselle Hyman ? me demande-t-elle d’un ton trop enjoué, au vu de l’heure matinale. Je réprime l’envie de grimacer. « Mademoiselle Hyman », ça ressemble au nom d’une prostituée fatiguée se languissant du bon vieux temps où elle était vierge. Non pas que mon nom complet soit beaucoup mieux. « Olive Hyman » fait penser à une membrane virginale au parfum méditerranéen, un truc qu’on servirait avec du placenta vinaigré en accompagnement. Je tendis la main. — Je vous en prie, appelez-moi Olive. Sa main est moite quand elle serre la mienne. — Je suis Aruba. D’un coup, cette chanson des Beach Boys se retrouve à nouveau coincée dans ma tête. Si quelqu’un d’autre ici s’appelle Jamaica, Bermuda, Bahama ou n’importe quelle autre version de « pretty mama », je sauterai dans le bassin des requins. — Mme Aberdeen est navrée de ne pouvoir vous retrouver ici en personne, reprend Aruba. Elle a une urgence à gérer. Rose Aberdeen, qui a insisté pour que je l’appelle Rose, est celle qui m’a fait passer mon entretien pour ce poste. Elle est comportementaliste des animaux aquatiques – ou psy pour poissons, comme elle le dit elle-même – ainsi que la directrice des ressources humaines de Sealand. J’arque un sourcil. — J’espère que tout va bien. — Oui. Un homme ivre a réussi à s’introduire dans la piscine pendant l’outraction. Il s’est fait mordre et s’est mis à saigner de partout. — Oh, mon Dieu. C’est quoi, l’outraction ? Elle me regarde comme si je lui avais demandé si l’eau était mouillée. — L’outraction est notre attraction centrée sur les loutres. J’entends presque le « idiote » qu’elle doit ajouter en pensée. Waouh. J’imagine le gros titre sans mal : « Un résident de Floride tente de manger une loutre ». Ou de coucher avec une loutre ? Les deux fonctionnent. — Les loutres vont bien ? l’interrogé-je. En ce qui me concerne, l’humain méritait de se faire mordre. — Cacahuète a été traumatisée, mais Mme Aberdeen s’en occupe. Je ricane. — Imaginez un peu ce que le type va dire à sa femme quand elle lui lancera « Oh mon Dieu, qu’est-ce qui s’est passé ? ». Aruba me dévisage sans comprendre. — Non. Quoi ? — Tu n’as pas vu loutre type. Ses fines narines se dilatent. — Vous trouvez que cette tragédie est drôle ? — Non… désolée. Ne faites pas attention à ce que je dis. Je n’ai pas beaucoup dormi cette nuit. Elle secoue lentement la tête. — Venez. Je vais vous faire visiter. Je la suis et conserve un comportement exemplaire. Sealand s’avère être au moins deux fois plus grand que mon ancien lieu de travail, avec une variété d’animaux plus large. Sans surprise, Aruba termine sa visite par les dauphins, et son sourire devient sincère pour la première fois de la journée. — Et voici mes protégés. — Ah. J’arbore la même expression que celle qu’on plaque sur son visage quand un ami nous montre une photo de son nouveau-né ou de son animal de compagnie. — Vous les entraînez ? Son regard devient vitreux. — Je préfère me dire que c’est eux qui m’entraînent. Je parie que c’est exactement ce que font ces petits sournois manipulateurs. — Je n’ai pas vu les octopus, remarqué-je. — On dit octopi, au pluriel, me corrige Aruba. — Non, pas du tout. Seuls certains mots d’origine latine se terminent comme ça au pluriel, comme cactus qui devient cacti. Le mot octopus est d’origine grecque, cette règle ne s’applique donc pas. Si vous deviez lui donner un suffixe grec, on obtiendrait « octopodes »… mais n’employez pas ce mot, s’il vous plaît. La vie est déjà bien assez compliquée. Elle plisse le front. — Quel que soit le nom que vous leur donnez, on n’en a pas ici, et j’espère qu’on n’en aura jamais. — Pourquoi ? — On en a eu un, à une époque, explique-t-elle d’une voix pleine de désapprobation. Il s’est échappé et s’est retrouvé ici, dans l’enclos des dauphins. Mon cœur se serre. — Oh non. Le pauvre. Qu’est-ce qui s’est passé ? — C’était horrible, répond-elle, et son expression misérable lui fait gagner quelques bons points dans mon estime. On a perdu Flipper. Je cligne plusieurs fois des paupières. — Quelqu’un a appelé un octopus Flipper ? — Non. Cette g***e s’appelait Athéna. Flipper était le dauphin qu’elle a étranglé. Je bombe le torse comme un poisson-globe et croise les bras sur la poitrine. — Flipper était-il en train d’essayer de la manger, quand Athéna l’a étranglé, par hasard ? — Les dauphins mangent tout le temps des octopus, dans la nature. Ouais, mais ces dauphins-là ont faim. Ceux d’ici sont sûrement mieux nourris que moi. Je serre les dents. — Je suppose qu’Athéna n’a pas survécu ? — Quelle importance ? Pauvre Flipper. Il… Je cesse de l’écouter, parce que je n’ai pas envie de me retrouver à étrangler Aruba. Ce n’est pas le genre de première impression que j’ai envie de faire ici. Pour changer de sujet, je demande : — Vous avez un spectacle de dauphin pour le public ? Même si je ne suis pas fan des dauphins – surtout après l’histoire de Flipper – je n’apprécie pas l’idée de transformer les aquariums en cirques. À ma grande surprise, elle secoue la tête. — Le Dr Jones n’approuve pas ce genre de choses. J’entraîne mes bébés pour qu’ils se comportent bien quand ils participent à mes recherches, ce genre de choses. Ah, le mystérieux Dr Jones. Il était trop occupé pour conduire mon entretien, mais il a été mentionné très souvent, et avec beaucoup de respect. D’après ce que j’ai entendu dire, je l’imagine avec le cerveau d’Einstein et le corps de Davy Jones dans Pirates des Caraïbes : une barbe qui rappelle un octopus, une pince de crabe à la place d’un bras et un tentacule pour l’autre. — Pensez-vous que je pourrais rencontrer le Dr Jones, aujourd’hui ? m’enquis-je. C’est lui qui décidera si Gros Bec peut élire domicile ici, je suis donc impatiente de le rencontrer. Le sourire d’Aruba redevient faux. — J’en doute fortement. Il est toujours très occupé, le lundi. Le mardi aussi. Il m’a fallu deux moins avant de le rencontrer… et mon boulot est plus utile que le vôtre. Sans vouloir vous offenser. Elle ne pouvait pas dire un truc pareil et ajouter « sans vouloir vous offenser » pour arrondir les angles. Même les dauphins savent ça. — Votre boulot ? répété-je. Je suppose que vous n’êtes pas seulement entraîneuse ? Vous êtes aussi chercheuse ? Son sourire de dauphin disparaît. — Tout est mieux que de fabriquer des jouets pour poissons rouges. Pourquoi les gens considèrent-ils le mot « jouet » comme insultant ? Les puzzles, les jouets – je me fiche du nom qu’on leur donne, tant qu’ils rendent les créatures marines plus heureuses. — Olive est une experte en enrichissement renommée, intervient une voix familière, me faisant sursauter. Elle doit être traitée avec respect. Je me retourne et découvre Rose – apparemment, c’est juste Mme Aberdeen, pour Aruba. — Les dauphins n’ont pas besoin d’enrichissement, réplique Aruba. Ils m’ont, moi. Je prends une grande inspiration et la relâche lentement. — Je suppose que c’est vous, l’enrichissement, dans ce cas. Si tous les aquariums pouvaient se permettre de dédier un humain au divertissement de chaque animal, je me retrouverais sans emploi… et j’en serais ravie. — Malheureusement, nous ne pouvons nous permettre cette solution, me répond Rose. Et si nous rejoignions mon bureau pour discuter de ce que nous pouvons faire. Je hoche la tête et nous quittons Aruba pour nous rendre dans un petit bâtiment au toit scintillant couvert de panneaux solaires. Je suppose que c’est un incontournable, ici, dans l’État du Soleil. — Asseyez-vous, m’invite Rose avec un geste vers la chaise face au bureau battu par les ans. Je m’assois. — J’ai entendu parler de votre urgence. — Un vrai loutroir. Je ricane. C’est elle qui a dû inventer le nom « Loutraction ». Elle m’explique alors que les loutres vont bien, et l’humain aussi. Je refais ma blague sur « loutre type » et obtiens une bien meilleure réaction, cette fois. — Bon, passons aux choses sérieuses. Elle plonge la main dans le tiroir de son bureau et en sort une pile de vêtements blancs et vert kaki. — Vous pourrez commencer à porter ça demain. Elle me tend les vêtements. La tenue comprend un polo et le short que j’ai vu tout le monde porter, ici. Ma respiration devient creuse et je dois me remettre en tête que ce n’est pas du tout comme quand que mon ex me disait quoi porter. Les uniformes sont la norme, dans ce genre d’endroits. Mon dernier employeur était l’exception, et non la règle. — OK. Je le mettrai demain, dis-je aussi calmement que je peux. Elle me tend ensuite un ordinateur portable. — Tout est déjà installé. — Merci, dis-je, avant de me connecter en suivant ses instructions. Devrais-je passer cette journée à me familiariser avec votre intranet ? Elle balaie cette suggestion de la main. — Il n’y a pas grand-chose à y voir. — Alors qu’est-ce que je peux faire ? Elle se gratte le menton. — J’ai parlé de vous au Dr Jones et il pense qu’on travaille sur deux aspects du même problème, vous et moi. — Ah oui ? — Je vais me concentrer sur l’enrichissement qui entraîne les animaux qu’on compte relâcher, avec votre aide mécanique quand ce sera nécessaire. Pendant ce temps, vous vous concentrerez sur le fait de rendre la vie de nos protégés plus épanouie et amusante, tant qu’ils seront ici. Waouh. J’aime la manière dont le Dr Jones et Rose ont structuré tout ça, surtout parce que c’est dans ce genre de tâches que j’excelle le plus, quand il s’agit d’octopus, en tout cas.
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