Chapitre 3

2188 Mots
3 Phoe ! Je hurle pour me faire entendre par-dessus l’alarme, comme si le volume avait déjà eu une incidence sur mes communications avec Phoe. — Aide-moi. S’il te plaît. Aucune réponse. J’essaie de ne pas céder à ma panique. Phoe a disparu et je dois m’y faire. L’attaque sur la plage doit être en relation avec ce qu’il se passe ici. L’espèce de virus Jeremiah a un lien avec le silence de Phoe, tout comme le problème d’oxygène dans le bâtiment, mais je suis trop accablé pour comprendre comment tout cela est imbriqué. Il vaut mieux que je me vide l’esprit et que je me concentre pour traîner mon ami et le mettre en sécurité. Je bouge mon pied gauche, suivi par mon pied droit, encore et encore pendant ce qui semble être des heures, même si je sais que quelques minutes seulement se sont écoulées. Les muscles se déchirant presque dans l’effort, je traîne encore Liam le long d’un demi-couloir. Tout en avançant, je remarque que je ralentis. Non. Je ne peux pas ralentir. Sinon, Liam va mourir. Soudain, je vois un mouvement flou quand quelqu’un me rejoint à l’intersection et le poids accablant de Liam devient beaucoup plus léger. Confus, je regarde le Jeune qui nous a rattrapés et qui a pris Liam par les jambes pour m’aider à le porter. C’est Owen : ce que Liam a eu de plus proche d’un ennemi dans sa vie protégée sur Oasis. Owen : celui que j’ai assommé hier quand il avait agi comme un crétin et dont la tête, d’après ce que Phoe avait raconté, ornait la manifestation de mon pire cauchemar créé par l’algorithme anti-intrusion du test des Aïeuls. — Merci, parviens-je à dire en luttant contre ma surprise. Je ne pense pas que j’aurais pu le porter plus longtemps. Owen hoche la tête, le mouvement le faisant ressembler à un chien secouriste. Au lieu de parler, il pince les lèvres et désigne les alarmes d’un coup de tête, le message est clair : — Ne gaspille pas d’oxygène, crétin, et ne me force pas à faire pareil. Encouragé par son aide, j’augmente ma vitesse jusqu’à avoir l’impression de traîner à la fois Owen et Liam. Le reste du trajet est un mélange trouble de lumières rouges et d’annonces mécaniques de Phoe. Je suis presque choqué quand nous atteignons la sortie. Je lâche Liam pour ouvrir la porte du dortoir manuellement et quand elle s’ouvre, l’air semble un peu plus frais. Je remarque qu’Owen respire un peu mieux, mais la cage thoracique de Liam est toujours immobile. Nous nous précipitons hors du bâtiment et nous traversons une foule de Jeunes ébouriffés. — Faites de la place, crie Owen. — Poussez-vous, p****n, dis-je à mon tour. Les Jeunes n’ont pas l’habitude d’entendre ce genre de langage et la surprise les fait bouger. Ils s’écartent et nous posons Liam sur le sol. Je me penche pour vérifier la veine gonflée du cou de mon ami et mon sang se glace. Le pouls de Liam est à peine décelable et il ne respire pas. Owen dit quelque chose avant de partir à toute vitesse, mais je n’y fais pas attention. Je suis trop occupé à fouiller dans mes souvenirs à la recherche de ce que je sais des premiers secours. Quelle était cette technique qu’utilisaient les anciens dans ce genre de situation ? La RCP ? Faisant de mon mieux pour copier ce que j’ai vu dans de vieux films, je m’approche du torse de Liam et je pose la paume de ma main au centre de sa poitrine. Quelque chose ne me paraît pas bien, alors je pose ma main gauche sur la droite et j’entrecroise mes doigts. — D’accord, ça ressemble à ce que font tous les gens dans les films, dis-je mentalement à Phoe avant de me rappeler qu’elle n’est pas là. En positionnant mes épaules au-dessus de mes mains, j’utilise le poids du haut de mon corps pour appuyer. La cage thoracique de Liam descend. Je relâche la pression, j’attends une demi-seconde afin que sa poitrine remonte, puis je répète la compression. Il ne se passe rien. — Essaie de souffler dans sa bouche, dit une voix féminine. Je reconnais immédiatement qu’il s’agit de Grace, alors que je n’avais pas remarqué qu’elle s’était approchée. — Cela fonctionne mieux en faisant les deux, ajoute-t-elle quand je lève la tête pour la regarder. Les mains tremblantes, je fais une autre série de compressions et je dis : — Je ne sais pas trop comment… Dans un tourbillon de cheveux roux, Grace s’agenouille à la droite de Liam et elle pose sa main sur la mienne. J’arrête mes compressions et je regarde Grace pincer le nez de Liam et poser ses lèvres sur les siennes pour empêcher l’air de s’échapper. Ensuite, elle souffle en lui et je sens son torse se lever une fois, puis deux. — À toi maintenant, dit Grace. Je fais deux douzaines de compressions avant qu’elle m’arrête et qu’elle donne plus d’air à Liam. Nous alternons encore quelques fois. Je comprime le torse de Liam et Grace souffle de l’air dans ses poumons sans faiblir. L’air autour de moi est froid, mais de la transpiration coule sur mon visage. Cependant, toute l’humidité ne vient pas de la sueur : une partie provient des larmes brûlantes qui coulent de mes yeux. — Liam, dit Grace après une autre série. Liam, peux-tu nous entendre ? Luttant contre la peur glaciale en moi, je fixe Liam du regard, mais il est toujours dans un état comateux. — Il respire par lui-même, dit Grace en répondant à la question que je n’ai pas posée en la regardant. Et les battements de son cœur sont plus stables. Je déplace ma main vers la gauche du torse de Liam et je pousse un soupir de soulagement. Elle a raison. Son cœur bat régulièrement. — Tu n’as plus besoin de faire les compressions, dit Grace. Il ne nous reste plus qu’à attendre qu’il reprenne connaissance. Même dans mon état hébété, je suis émerveillé par la compétence inhabituelle de Grace. — Comment as-tu appris à... — Je veux être infirmière un jour, tu te souviens ? répond-elle avec un léger ton de déception. Dès qu’elle le dit, je me souviens qu’elle en avait parlé quand nous étions plus jeunes, quand elle était encore en bons termes avec notre b***e. Je me souviens même qu’elle s’était rendue au stand de l’infirmière un jour des naissances. — Je pensais que tu aurais pu changer d’avis depuis, dis-je en marmonnant, essayant de dissimuler mon faux pas. C’était il y a plus de dix ans. La panique en moi recule légèrement. Grace ouvre la bouche pour répondre lorsque, avec une bouffée d’air et un grognement, Liam ouvre les yeux. — Grace ? dit-il faiblement. Que fais-tu dans ma chambre à cette heure de la n... Il me remarque et il se tait, son regard passant lentement d’un côté à l’autre. Je me retourne et, pour la première fois, je remarque les Jeunes autour de nous, leurs visages pâles et inquiets. — Il y a eu une urgence et nous sommes sortis du dortoir, dis-je en revenant vers Liam. Tu as peut-être un peu perdu connaissance vers la fin. Liam ferme les yeux en fronçant ses sourcils de chenille. Puis il dit : — Ah ouais. On descendait les escaliers quand... — Je suis désolée de vous interrompre, dit Grace, mais je dois partir. — Attends, quoi ? Où vas-tu ? Ma question est un peu trop brutale. Plus calmement, je dis : — Que se passera-t-il si Liam perd encore une fois connaissance ? — Maintenant qu’il est dehors et conscient, il devrait aller bien, répond Grace. Je viens de parler avec Nicky. Elle indique un Jeune au visage très pâle qui doit avoir environ douze ans. — Ils ont évacué les dortoirs du collège pour la même raison que les nôtres. Leur alarme s’est déclenchée encore plus tôt. Elle me regarde comme si cela expliquait tout. Je me frotte les tempes. — Pardon, mais je ne vois pas pourquoi cela signifie que tu dois partir. J’ai l’esprit... — Ce doit être toute l’adrénaline, dit Grace. Je dois partir parce que je m’inquiète qu’il y ait les mêmes problèmes d’oxygène aux dortoirs de l’élémentaire. Elle jette un regard dans la direction de la forêt, où se situe le bâtiment cylindrique en question. — Les petits auront peut-être besoin d’aide. — Elle a raison, dit Liam en essayant de s’asseoir. Nous devrions aller les aider. — Tu dois rester allongé ici un moment, dit Grace d’un ton sévère en s’agenouillant pour le repousser sur le sol. Mais toi, Theo, tu pourrais être utile. — Je ne sais pas, dis-je, mon hésitation à l’idée de laisser mon ami qui vient de reprendre connaissance luttant contre les images mentales de petits enfants qui suffoquent. Et pour... — Je vais bien, dit Liam. Va aider Grace. J’examine les visages des Jeunes autour de nous pour en trouver un qui pourrait me remplacer en aidant Grace. J’aperçois Kevin, un Jeune que nous ne connaissons pas très bien. Il me voit le regarder et je lui fais signe de venir. — Non, il faut que ce soit toi, dit Liam quand il voit approcher le Jeune. Je suis sur le point d’objecter quand je me rends compte qu’avec mes respirocytes je suis sans doute la meilleure personne sur Oasis pour gérer n’importe quelle opération de secours impliquant un manque d’oxygène. En revanche, n’importe qui peut veiller sur Liam à présent. Kevin s’arrête à côté de moi et me regarde d’un air interrogateur, alors je dis : — Peux-tu veiller sur Liam, s’il te plaît ? Il ne se sent pas bien et je veux être certain qu’il s’en remettra. As-tu vu la réanimation faite par Grace et moi tout à l’heure ? — Oui, répond Kevin en hésitant. — Peux-tu la refaire s’il perd à nouveau connaissance ? — Ça ne m’arrivera pas, intervient Liam. — Vraiment pas, assure Grace. — D’accord, dit Kevin. Va aider Grace. Je m’occupe de Liam. Je me lève et je dis à Nicky : — Aide Kevin s’il le faut. Nicky hoche la tête. Grace se lève et traverse la foule de Jeunes. Je la suis en essayant de bloquer le vacarme assourdissant de centaines de voix. Certains Jeunes halètent et soufflent après leur privation d’oxygène, d’autres crient des questions sur ce qu’il se passe, et beaucoup pleurent ou se racontent des mensonges rassurants, affirmant qu’il ne s’agit que d’un exercice. Pendant que nous nous frayons un chemin à travers la course d’obstacles humains, je remarque quelques bizarreries. Tout d’abord, tout le monde est pieds nus et porte des vêtements de nuit. Certains Jeunes sont même à moitié nus. Tout cela les fait ressembler à une b***e de chiots perdus dans la lumière rouge du ciel – ce qui est la bizarrerie suivante. Le ciel n’est pas rouge coucher de soleil, mais plutôt rouge comme une alarme, comme dans les dortoirs. C’est comme si quelqu’un avait peint le dôme avec une peinture rouge luminescente. Beaucoup de Jeunes regardent le ciel avec un mélange d’horreur et de fascination. Je suppose que cela signifie que la réalité augmentée a dysfonctionnée, même s’il est possible que ce soit l’apparence normale du ciel en cas d’urgence. En pensant à la réalité augmentée, je remarque une troisième bizarrerie plus subtile. Toutes les statues et un grand nombre d’arbres et de végétations difficiles à atteindre ont disparu, donnant un aspect aride au paysage, ce qui est renforcé par la teinte rouge du ciel. C’est Oasis comme personne ne l’a vue : un endroit aussi éloigné du paisible paradis vert que ce que l’on peut imaginer. Pendant que nous marchons, Grace jette un œil sur un certain nombre de Jeunes couchés sur le sol. On dirait que Liam n’a pas été le seul à manquer d’oxygène. Certains de ces Jeunes ont également réussi à se cogner la tête quand ils ont perdu connaissance : en tout cas, c’est ce qu’il me semble d’après les hématomes sur la tête d’une fille. Cependant, aucun d’entre eux n’est dans un état critique, alors Grace les laisse et elle s’avance vers le bord de la foule. Tandis que Grace et moi nous éloignons des Jeunes, je me rends compte que la cacophonie de voix cachait un autre son. Je parviens maintenant à distinguer un nouveau message délivré par la voix omniprésente et mécanique de Phoe. — Fonctions de chauffage de l’habitat compromises. Production d’oxygène... Une alarme assourdissante retentit. Elle est si bruyante qu’elle couvre le reste de l’annonce. Un frisson de froid monte de mes pieds glacés et s’étale dans mon corps : un froid qui n’a aucun rapport avec le dysfonctionnement du chauffage et tout avoir avec la localisation de cette nouvelle alarme. Elle résonne dans les dortoirs de l’élémentaire, le bâtiment cylindrique qui se trouve à une trentaine de mètres devant nous. Grace avait raison d’y courir. Ce qui est arrivé dans nos dortoirs et sur le point d’être subi par de petits enfants.
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