Chapitre 4

3523 Mots
– Didier… soupira Régine. – Dame ! s’exclama le procureur… on a chacun le sien… Il a « son Didier », comme nous avons « notre » Lamblin. Régine se souleva, et d’une voix rauque : – Je te défends de parler ainsi. S’il n’avait dépendu que de moi… – S’il n’avait dépendu que de toi, mon vieux Régine, le gouvernement serait foutu ! » Je les tiens tous ! rugit-il sourdement. Mon crime a été leur salut ! Et se penchant vers son triste compagnon : – Vois-tu, Régine, tu es un soldat, tu devrais comprendre ces choses-là… Il y a des moments où le général en chef doit faire le coup de feu… Bonaparte au pont d’Arcole !… Allons, debout ! Nous sommes arrivés ! La voiture venait, en effet, de s’arrêter devant la grille du Palais. Sinnamari en descendit vivement et Régine, faisant un v*****t effort sur luimême, suivit le procureur. En montant l’escalier qui conduisait à son cabinet, escalier qu’avait gravi quelques mois plus tôt l’infortuné Desjardies, Sinnamari sentit que la vague inquiétude que les événements de la nuit avaient, quoi qu’il en eût, laissée au fond de lui-même, s’évanouissait tout à fait. Le lieu dans lequel il se mouvait, l’aspect du monument de justice, de force et de châtiment dont il était le maître incontesté, avaient suffi à lui rendre l’entière confiance dont il avait besoin pour aller jusqu’au bout de son destin. Péniblement, Régine montait derrière lui. S’il avait pu échapper à cette nécessité de pénétrer avec Sinnamari dans ce cabinet maudit !… Et l’idée seule qu’il allait revoir cette table où Lamblin, avant de tomber, s’était désespérément accroché, ce parquet où il avait roulé en exhalant son dernier soupir et sa suprême malédiction, ce coffre-fort qui avait contenu la raison du crime qui s’était accompli devant lui sans qu’il ait eu le temps de faire un geste pour l’empêcher, du crime dont il avait été l’inconscient complice, du crime qui le sauvait lui… et les autres !… Cette idée faisait encore son pas chancelant, et la sueur lui coulait au front, et la peur le tirait par derrière… La porte qui donnait sur les bureaux du procureur était entrouverte. Un huissier saluait sur le seuil Sinnamari et Régine. – Mme Demouzin est ici ! fit l’huissier. Elle a demandé M. le procureur impérial. Je l’ai fait attendre dans le cabinet de M. le secrétaire. – La mère Demouzin ! À cette heure !… bougonna entre ses dents Sinnamari, en faisant passer Régine devant lui… Qu’est-ce qu’elle va encore nous apprendre, cette vieille taupe ? Et il ferma la porte derrière eux. Il n’y avait encore, de si bon matin, qu’un huissier dans le vestibule de M. le procureur. L’huissier mettait de l’ordre… et écoutait aux portes. Il ouvrit la porte par laquelle le procureur et Régine venaient de disparaître. Il constata alors que le secrétariat, sur lequel donnait cette porte, était vide, et que Mme Demouzin devait avoir suivi Régine et le procureur dans l’autre pièce. L’huissier traversa le secrétariat et alla enfin coller son oreille contre la porte du cabinet du procureur. Il se redressa bientôt et, résolument, ouvrit cette porte. Le cabinet était vide. L’huissier traversa le cabinet et alla coller son oreille contre la porte qui donnait sur le bureau du substitut. Là, il resta plus longtemps, puis enfin, il se redressa : – Oh ! oh ! siffla-t-il. Évidemment, l’huissier avait entendu quelque chose qui l’intéressait au plus haut point. Il s’empressa de refaire tout le chemin parcouru, de revenir dans le vestibule, de fermer à clef la porte de ce vestibule qui donnait sur la galerie, puis de prendre un petit corridor qui glissait entre la galerie extérieure et les différentes pièces consacrées au service du procureur. Ainsi arriva-t-il contre la cloison qui le séparait du bureau du substitut. Là, il s’arrêta, s’agenouilla au-dessus d’une bouche de chaleur qui s’ouvrait moitié dans le bureau du substitut, moitié dans le corridor, et, malgré l’air surchauffé qui risquait de l’asphyxier, se maintint dans cette position difficile pendant plus d’un quart d’heure. Soudain il se releva, la face rouge, les yeux fous, et bondit jusqu’au vestibule. Il y arriva juste à temps pour se trouver en présence d’une tête qui émergeait du plancher dans lequel il y avait un trou entouré d’une rampe. Par cette étroite ouverture, on communique directement encore aujourd’hui avec un escalier à pic tournant sur lui-même et conduisant à la « souricière », prison de passage où l’on enferme nombre de prisonniers qui doivent, dans un délai rapproché, se présenter devant les juges. Cet escalier pouvait servir soit à faire monter directement de la souricière dans les bureaux du procureur, les prisonniers auxquels on voulait faire subir un interrogatoire, soit au personnel du procureur à se rendre directement des bureaux dans la cour de la Sainte-Chapelle, sans avoir à suivre les couloirs ni les escaliers publics. La tête s’élevait peu à peu au-dessus du plancher. Quand la tête eut été suivie du buste et des jambes et que tout le corps de Dixmer fut sorti de l’oubliette, Dixmer dit : – Bonjour, monsieur Cyprien. M. le procureur impérial est dans son bureau ? – Oui, répondit M. Cyprien en prenant une mine désolée et bonasse, oui, M. le procureur est dans son bureau ! Mais il est de bien bonne heure, monsieur Dixmer, et M. le procureur ne reçoit personne quand il vient à ces heures-là. C’est une consigne générale. – Il est seul, dans son bureau ? – Non, monsieur Dixmer, non, il n’est pas seul. Il est avec M. Régine. – Vous voyez donc bien qu’il reçoit, monsieur Cyprien… – On ne saurait dire que M. le procureur impérial ait reçu ce matin M. Régine, car il est venu ici avec lui. Dixmer regarda la figure du larbin, se demandant si celui-ci ne se payait pas sa tête ; mais M. Cyprien avait, plus que jamais, l’aspect doucereux, niais et ennuyé d’un domestique de bonne maison qui entend faire respecter sa consigne sans cependant se fâcher avec celui qu’elle gêne. – Et M. le procureur est seul avec M. Régine ? demanda Dixmer. – Non… il y a, avec ces messieurs, une dame… – Et vous continuez à prétendre, monsieur Cyprien, que M. le procureur ne reçoit pas !… – La consigne générale, monsieur Dixmer, comportait une exception… – En faveur de cette dame ? – Vous l’avez dit, monsieur Dixmer. – Et pourrait-on savoir le nom de cette personne, que l’on reçoit quand on me laisse à la porte ? – Mon Dieu, je n’y vois pas d’inconvénient ; c’est Mme Demouzin. – Je m’en doutais… fit Dixmer entre ses dents… Et vous croyez qu’il en ont encore pour longtemps ?… – Je n’en sais rien ! Veuillez le croire, monsieur Dixmer… – Elle vient souvent ici, Mme Demouzin ? – Je l’ai oublié !… – Voilà une réponse ridicule, monsieur Cyprien, car je ne vois pas pourquoi vous me cacheriez que Mme Demouzin vient quelquefois chez M. le procureur impérial… C’est une aimable vieille dame qui va voir tout le monde, et que tout le monde va voir. Mme Demouzin est une personne à la mode, dont le salon est fort côté par tous ceux qui ont l’ambition de devenir quelqu’un… ou d’obtenir quelque chose du gouvernement… » C’est votre métier d’ouvrir les portes, monsieur Cyprien, ouvrez-moi donc celle de M. le procureur, je vous prie ! Mais le bon Cyprien répondit une fois de plus que c’était également son métier de les tenir fermées. Dixmer, énervé, alla aux fenêtres qui donnaient sur le boulevard du Palais. – Tiens, fit-il, voilà l’équipage de M. le préfet de police qui rentre chez lui !… Et il regarda sa montre, ne pouvant dissimuler un mouvement d’impatience. – Avant une demi-heure, se dit-il, le préfet sera ici !… Cette histoire va faire un chambard !… Alors, il sembla avoir pris une résolution soudaine. – Parfait ! fit Dixmer… Eh bien ! Puisque vous ne voulez pas m’introduire, je vais me présenter tout seul ! Et Dixmer, s’approchant si près du visage de M. Cyprien, qu’on eût pu croire qu’il allait l’embrasser, lui dit : – Je crois que le mot de passe aujourd’hui est Panthéon…mon cher Martinet… M. Cyprien « reçut » le mot de passe avec un sang-froid auquel on ne se fût point attendu de la part d’un homme d’aspect aussi paterne. Il s’effaça devant Dixmer en lui tendant la main : – Sans rancune, monsieur Dixmer ! Le haut fonctionnaire de la police ne s’étonna point que ce domestique lui tendît ainsi la main. Il la prit et Cyprien la garda une seconde. Il est probable que cette main avait répondu à la question que la main de Cyprien avait posée, car l’huissier dit : – Passez ! Quand il fut à la porte du cabinet du substitut, Dixmer se tint un instant immobile, parut écouter et, tout à coup, ayant frappé, ouvrit cette porte. Il se trouva en face de Sinnamari qui, debout entre Régine et Mme Demouzin, ces deux derniers assis, gesticulait, frappait son bureau de son poing fermé et déclarait : – Je ne vous écrirai point une lettre pareille ! Du reste, c’est fini ! Je n’écrirai plus jamais ! Il s’arrêta en voyant apparaître Dixmer sur le seuil de son cabinet. – Ah ! c’est vous ! s’écria-t-il, très étonné… J’avais ordonné qu’on ne laissât entrer personne !… Mais voilà, et c’est tant mieux, car j’allais vous envoyer chercher… Est-ce que le préfet de police est rentré chez lui ?… J’ai besoin de le voir aussi ! Et le chef de la Sûreté, cet imbécile de Dax ! Je ne veux plus le voir en peinture !… C’est un idiot !… capable tout au plus de commander à la brigade des garnis et d’arrêter les filles au pieu !… » Avant huit jours, continua-t-il, je l’aurai fait mettre à pied ! – Et par qui le remplacerez-vous ? demanda Mme Demouzin. – Est-ce que je sais ?… Par le roi des Catacombes !… En attendant, laissez-moi vous prier, madame, de remettre à un autre jour la suite de notre entretien… Nous avons une besogne à faire ici qui n’est pas ordinaire… Comme Mme Demouzin se levait, Dixmer, à la stupéfaction générale, la pria de s’asseoir. – Qu’est-ce que ça signifie ? demande Sinnamari, presque suffoqué. – Cela signifie, monsieur le procureur impérial, répondit Dixmer, que vous allez écrire à Madame la lettre qu’elle vous demande… Mme Demouzin était une petite femme toute ratatinée, contrefaite, les lèvres peintes, les sourcils noir de charbon, habillée avec une assez sobre élégance mais portant, sur la fourrure sombre de son manteau, une longue et épaisse chaîne d’or. Cette vieille femme peu ragoûtante était à la tête de l’un des salons les plus fréquentés de Paris, et passait pour être plus puissante qu’un ministre. Elle se mêlait autant qu’elle le pouvait des affaires des autres, et le bruit courait que cela faisait parfaitement les siennes. Si Mme Demouzin aimait à s’occuper des affaires des autres, elle ne tenait guère, à moins qu’elle ne vous y invitât, à ce qu’on mît le nez dans les siennes… Aussi, si le procureur impérial montra de la suffocation, lors de l’intervention si inattendue de Dixmer, Mme Demouzin montra de la hauteur. Ses petits yeux brillants de courroux fixaient Dixmer et sur son chapeau deux plumes, l’une blanche et l’autre bleu pâle, avaient pris résolument le parti de leur maîtresse, recourbées comme des points d’interrogation, semblant demander, avec force agitation et balancement, à l’intrus, les raisons de son intrusion. Quant à Régine, le lecteur le connaît suffisamment maintenant pour imaginer qu’il ne montrait aucune colère de l’incident, mais qu’il en ressentait certainement de l’inquiétude. Cet ancien soldat était cependant ce que l’on est convenu d’appeler un homme brave, et il l’avait glorieusement prouvé au feu. Sa conduite pendant la guerre d’Italie avait été admirable. Régine, si audacieux dès qu’il s’agissait de mourir honorablement, devenait lâche dès qu’il se trouvait en face de la nécessité, pour vivre ou pour faire vivre les siens, d’une action déshonorante. Comment expliquer une pareille nécessité ? Par le jeu ! Le jeu, après en avoir fait un officier aux abois, en faisait à cette heure un tripoteur de profession. Sa débâcle avait commencé avec celle de la Caisse générale des voies ferrées, qui engloutit tant de fortunes ; il avait dû signer alors un nombre considérable de billets à ordre qu’il n’avait jamais pu payer. Depuis, malgré sa haute situation politique, qu’il devait tout entière à Sinnamari, tombé entre les mains des usuriers, usant de tous les moyens pour se procurer de nouvelles ressources, d’abord dupé, puis indélicat, il ne devait pas tarder à devenir le jouet des plus louches intermédiaires. Sur l’intervention même du procureur impérial, qui avait tout intérêt à le savoir entièrement à sa disposition, il alla porter, un beau jour, un papier qui le gênait à l’une des âmes damnées de Sinnamari ; Mme Demouzin s’en chargea et réussit facilement à le négocier. Dès lors, il faisait partie de l’agence Demouzin, et, peu à peu, monta, malgré lui, au premier plan de cette puissante organisation, imaginée par le procureur impérial, dont tous les rouages visibles étaient réunis entre les mains de Philibert Wat, gendre du président du conseil, organisation qui s’était donné pour mission de vendre, à son profit, tout ce qu’un gouvernement doit donner pour rien : places, charges, concessions, honneurs. Ce matin-là, Mme Demouzin avait des choses d’importance à confier à son cher procureur. On a su depuis qu’il s’agissait de trois affaires que Sinnamari croyait conclues et qui, sans qu’il fût possible d’en trouver la raison, lui échappaient complètement. Depuis quelque temps, en effet, l’association semblait jouer de malheur. Sinnamari, qui n’était point habitué à trouver d’obstacles, en concevait une rage qui n’osait s’exprimer librement que devant Mme Demouzin et devant Régine. – Et l’affaire Merlin ? interrogea-t-il en crispant ses poings puissants. Faudra-t-il lui dire aussi adieu à celle-là… – Pour l’affaire Merlin, ça marche ! avait répondu la Demouzin, mais il me faut une lettre de vous !… C’est là-dessus que Sinnamari avait déclaré qu’il ne l’écrirait pas et que Dixmer était survenu pour le prier de l’écrire. – Monsieur le procureur, fit Dixmer, si vous me le permettez, je vais laisser ouvertes toutes grandes les portes qui donnent sur votre cabinet ; il est préférable quand on a des choses intéressantes à se dire, d’avoir affaire à des portes ouvertes qu’à des portes fermées, au moins on est à peu près sûr que l’on n’écoute pas derrière. – Vous en parlez par expérience, Dixmer ! – Oh ! monsieur le procureur impérial, c’est par pure coïncidence que, me trouvant derrière votre porte au moment où vous entreteniez Mme Demouzin de l’affaire Merlin, j’ai saisi, bien malgré moi, quelques éclats de votre conversation. – Qu’est-ce que c’est que l’affaire Merlin ? demanda le procureur du ton le plus indifférent ; il faudrait d’abord me le dire, Dixmer. – C’est une affaire, monsieur le procureur, dans laquelle on essaie de perdre le crédit si honorable de Mme Demouzin et dans laquelle on tente de vous atteindre. – Expliquez-vous, Dixmer, fit Sinnamari visiblement impatienté. Dixmer alla jeter un coup d’œil du côté du vestibule, constata que celui-ci était vide et que Cyprien lui-même était allé se faire pendre ailleurs, et, ayant pris le soin, comme il en avait demandé la permission de laisser toutes les portes ouvertes, vint s’asseoir tranquillement sur une chaise que personne ne lui offrait. – M. Merlin, fit-il, a été présenté, il y a environ trois semaines, à Mme Demouzin. Il se disait un riche industriel du Gard et ne fit point mystère qu’il désirait acheter les houillères de Portes et Sénéchas. Mais cette opération, qu’il estimait excellente, se trouvait retardée par l’entêtement que mettait le gouvernement à exiger de l’acheteur deux millions supplémentaires pour la construction d’un chemin de fer qui relierait ces mines à Alais. M. Merlin estimait que ce chemin de fer, d’intérêt général, ne devait pas être payé de la poche d’un particulier. Et il était tout disposé à montrer quelque reconnaissance aux personnages assez intelligents pour faire triompher une aussi juste cause auprès du gouvernement… » Tout ceci n’est-il pas exact, Mme Demouzin ? demanda Dixmer. Mme Demouzin regarda, elle aussi, du côté du vestibule et répondit : – Allez, monsieur, j’ignore où vous voulez en venir… – Je veux en venir à ceci, répliqua Dixmer, de plus en plus calme, cependant que les autres commençaient à montrer quelque trouble, je veux en venir à ceci, que M. Merlin vous a offert un premier versement de cinquante mille francs. – C’est faux ! s’écria Mme Demouzin. – Il est faux que vous l’ayez accepté, répondit Dixmer, mais il est exact que cet homme vous l’a offert. Vous avez repoussé ses offres, d’abord parce que vous êtes une honnête femme, ensuite parce qu’il exigeait, après avoir promis trois cent mille francs en tout, une lettre dans laquelle M. Sinnamari s’engageait à parler en ami de cette honnête affaire à M. Philibert Wat. Cette lettre devait vous être adressée, madame. Moyennant cette lettre, il versait tout de suite les cinquante mille francs… Vous attendez toujours les cinquante mille francs, madame, parce que lui, il attend toujours la lettre. Est-ce exact ? Dixmer se tut. Personne ne lui répondit. Alors, il reprit : – M. le procureur impérial ici présent, à qui, madame, vous avez communiqué les desiderata excessifs de M. Merlin, vous a répondu comme il devait. Il refusait tout engagement, toute promesse, toute signature… M. Sinnamari est un honnête homme. Et cependant, je viens de dire à cet honnête homme : il faut écrire !… Écrire une lettre qui atteste, clair comme le jour, que si Mme Demouzin a pu parfois s’autoriser de ses relations avec M. Sinnamari pour aider des amis dans la peine, M. le procureur impérial, lui, est resté toujours en dehors de ces sortes de… spéculations dangereuses… Voilà ce que j’avais à dire pour que l’un des premiers magistrats de ce pays n’ait point à souffrir des imprudences de madame… Sinnamari n’avait pas cessé de contempler Dixmer avec une curiosité évidente, mais ironique. – Qui est ce Merlin ? demanda-t-il. C’est la première fois que j’en entends parler… – Ce Merlin, monsieur le procureur impérial, répliqua immédiatement Dixmer, n’est point du Gard, comme il le prétend, et il n’est pas industriel… C’est tout simplement un agent qui s’est présenté chez Mme Demouzin avec l’intention d’obtenir la preuve de trafics criminels qui, j’en suis sûr, n’ont jamais existé ! Mme Demouzin s’affaissa légèrement sur sa chaise. Régine gémit. Quant à Sinnamari, le danger évident semblait avoir décuplé tous « ses moyens ». – Un agent de qui ? demanda-t-il sourdement. – M. Merlin est tout simplement un agent de R. C., le roi Mystère, le roi des Catacombes ! – Pas possible ! fit négligemment le magistrat. M’en voudrait-il donc personnellement ? Dixmer fut seul à l’entendre, à le comprendre. – Oui… dit-il en regardant le procureur jusqu’au fond des yeux. Alors, il se leva et dit : – Monsieur le procureur impérial, je désirerais avoir un entretien particulier avec vous. Sinnamari tendit sa main à Régine et à Mme Demouzin. Tous deux s’en allèrent, parvenant difficilement à calmer leur agitation. On entendit Cyprien qui leur ouvrait la porte du vestibule et qui la refermait. Puis on n’entendit plus rien. Le procureur s’avança vers Dixmer : – Vous jouez gros jeu, dit-il. – Je le sais, répondit Dixmer sans broncher. – J’ai peur, continua Sinnamari, peur pour vous ! – Je suis plus fort que vous, monsieur le procureur impérial, moi je n’ai peur pour personne… Ni pour vous, ni pour moi !… Sinnamari regarda cette figure de fouine, qui avait dû tromper tout le monde… pour de l’argent, pour rien, pour le plaisir… – Vous êtes un artiste, monsieur Dixmer, prenez garde… les artistes finissent toujours mal… – Non ! je ne suis pas un artiste. Je ne suis qu’un pauvre fonctionnaire dévoré d’ambition, qui voudrait être quelque chose… – Quoi donc ? – Je vous le dirai tout à l’heure… Sinnamari désigna en face de lui une chaise à Dixmer : – Asseyez-vous, mon cher Dixmer !… Qu’est-ce que vous avez à me dire ? Dixmer s’assit, et, sans émotion apparente, répondit : – Une chose que vous savez déjà ! – Laquelle ? – Que Desjardies est innocent. – C’est l’opinion de sa fille ! répliqua le procureur. – C’est aussi la mienne, répliqua l’agent de police. Où Dixmer voulait-il donc en venir ? Malgré sa grande force d’âme, le procureur fut un instant ébranlé, mais il se reprit vite, et, d’une voix nonchalante : – Serait-il possible, mon cher monsieur Dixmer, que nous ayons commis une erreur judiciaire ?… Vous m’en verriez désolé. – Oui, fit Dixmer, l’erreur judiciaire a été commise… – En vérité !… Et qui donc serait le coupable, mon cher monsieur Dixmer ? – Vous, monsieur le procureur impérial !…
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