L’Horizon lointain-1

2128 Mots
L’Horizon lointainRoman Dépôt légal février 2011 ISBN : 978-2-35962-141-9 ©Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays. Éditions Ex Aequo 42 rue sainte Marguerite 51000 Châlons-en-Champagne http://www.editions-exaequo.fr Je dédie ce livre à : Joseph Ben D'Ahan, mon cher ami ; sa vie et sa jeunesse n’ont duré qu’un court temps. À mes parents Rachel Maarek, et Simon Maarek ; que Dieu bénisse leur souvenir ! Et à mes deux fils Chémi et Oren, pour qu'ils sachent et portent avec fierté leurs racines As-tu oublié le germe qui donna naissance au bourgeon ? Et de suivre le produit merveilleux de sa naissance… ? La vague qui au loin grossit sous la poussée du courant naissant. Ce vendredi soir de l’année décembre 1956, l’éclair gronde et craque, danse sa ronde macabre avec le tonnerre, au rythme des roulements de tambour. Dans leur sombre demeure, des Hébreux humiliés et tremblants annoncent par des prières au monde le dernier jour de travail du créateur et l’histoire de son peuple. Minuit passe, les gens dorment. Seuls les chats pleurent, leurs miaulements plaintifs montent au ciel et glacent les cœurs. C’est parfois des cris de colère, « —on n'en sait rien » dira un homme de passage ; seules les bêtes aux aguets comprennent instinctivement la présence de Dieu descendu sur terre, dans un lieu ou personne ne bouge. Le vent passe en hurlant dans les rues désertes sifflant sur les murs des maisons, galopant et fouettant avec rage les volets, giflant les crêtes des toits et écrasant la pluie sur les vitres. Pour les poètes, la vision d’apocalypse est présente. C’était pourtant par cette nuit de décembre froide et pluvieuse que l’Ange messager jettera son dévolu sur une famille juive qui symbolisera, à nouveau, l’exode vers la terre promise. La terre d’Abraham le patriarche. Au-dehors, il fait sombre et l’on peut remarquer la faible lumière qui éclaire encore la maison de la famille Cohen. On y voit les reflets qui dansent au rythme de la pluie. À l’intérieur, il y a des rires et des discussions qui s’affaiblissent. Il fait froid et il est tard, la fatigue se voit sur les visages heureux des membres du foyer. Les paupières sont lourdes, il faut dormir. Chacun souhaite à l’autre bonne nuit et bon Sabbat. Et ensemble, comme un scénario bien huilé, ils se rendent dans leur lit pour y coucher humblement. Le silence tombe, la lumière s’éteint, et seul l’éclat faiblissant des bougies sur la table perce encore la nuit. L’obscurité passe, et termine son cycle en laissant place à l’aube qui naît doucement. Les yeux des innocents vont s’ouvrir sur d’atroces souffrances, de bonnes et de mauvaises nouvelles, les joies les plus extrêmes, aux hommes, aux femmes, aux nouveaux- nés, aux rois. Afin que s’accomplisse le merveilleux destin ! *** Décembre. Ce samedi matin naît avec un ciel limpide et soyeux, pas de turbulences. On dirait une gelée fluide et pourtant intouchable par son invraisemblable transparence, comme une immense et infinie toile bleue au visage réjoui. Pas de trace suspecte de ces nuages gris, ni de cet orage qui a fait hâter les gens vers leur logis ; seul un vent très doux et caressant effleure notre peau comme le fait si bien la main de la femme. Les toits des maisons flambent sous les cascades du soleil hivernal. Sous le ciel effacé, l’étrange arc-en-ciel s’étale comme un outil mythologique et inflexible, signifiant au monde et aux hommes son alliance, pas encore perdue. Quand nos regards se lèvent vers ce magnifique déploiement, un sourire involontaire s’incruste sur nos lèvres. Voilà comment se présente ce matin Tunis « la ville verte » dira le chanteur Farid. Pour les passants avertis, il semble que la pluie qui a duré toute la nuit dernière ait nettoyé toutes les impuretés de la ville qui s’éveille, contrairement à ses habitudes, paisiblement. Étrange… où peuvent être les bruits qui marquent intensément les jours de semaine ? Le Sabbat, le jour du samedi comme toutes les fins de semaine, est une journée sainte pour les Hébreux. Tout est calme. Silencieux. Ils partent tranquillement et sans inquiétude vers les synagogues, pour y prier, larmes aux yeux, et demander humblement la santé, du travail, bonne vie et bonnes nouvelles. Pendant ce temps-là, le reste de la Tunisie s’éveille bruyamment, à Djerba comme dans la capitale – Tunis-, et dans d’autres villes, les Juifs vont aux temples accomplir leur devoir sacerdotal sous les rires moqueurs et sarcastiques de certains musulmans fanatiques. Paradoxalement, des religieux arabes dans des poses d’humilité répètent mot par mot les litanies que leur profère leur mufti d’en haut de la tour de la mosquée. « Qu’Allah est grand, que Mohamed est son disciple et son prophète et que tous les hommes de bonne volonté sont frères ». C’est une phrase qui fera rire ou pleurer les fils du temps. Ah ! Qu’elle est belle la Tunisie ! Comme son nom féminin… contraire des haines jetées à la face ; où la jalousie fait des éclats, où l’on déteste catégoriquement son prochain et dans tout cela, un petit peu d’amour circule dans un feu qui ne se consume pas. C’est dans toute cette atmosphère de mélange, que notre histoire commence, ce matin-là, dans la grande Synagogue de Tunis, avenue de Paris. Aux alentours, très matinaux, quelques magasins ouvrent leurs portes. Il y a les deux marchands de chaussures qui se concurrencent et font ressortir au mieux dans leurs riches vitrines les tendances de la dernière mode italienne. La bijouterie n’est pas encore ouverte, mais on apprécie l’éclat de l’or exposé. Tout à fait à côté, dans un grand magasin de mode féminine, un vendeur renouvelle les grandes vitrines ; une nouvelle collection attire les yeux d’éventuelles acheteuses qui assistent impuissantes au brusque changement de style pour les robes de la nouvelle saison. Malgré l’heure matinale, après quelques débats et des invectives lancés de temps en temps en l’air, elles baissent la tête et pénètrent à l’intérieur… et ressortent avec de gros paquets, la mine hautaine, le train fier avec de coquets roulements de hanches. Et elles s’acheminent précipitamment vers leur maison, pour essayer et montrer à qui veut se rincer les yeux, leurs nouveaux achats. En face de la synagogue, un café notoire installe dehors ses chaises et ses tables. Et à côté, un marchand de tabac fait sentir ses horribles odeurs. Fastueusement, une mystérieuse résidence trône un peu plus loin dans la rue. Sur ses murs de marbre blanc, grimpent des tulipes rouges et sur le sol, des aubépines multicolores, parfument et renouvellent à chaque instant l’air pollué par les relents saumâtres du port de Tunis. *** Les fidèles entrent à la synagogue, par groupe de trois ou de quatre personnes, parfois on aperçoit deux ou trois groupes de six à dix personnes, mais ceci est très rare puisque les Juifs ne se risquent presque jamais à être trop visibles et conservent de père en fils leur instinct de défense. Parmi toutes les personnes qui se présentent, soit silencieusement, soit en bavardant à voix basse, nous voyons deux visages aux multiples contrastes qu’un peintre voudrait bien saisir dans son chef-d'œuvre. Il y a là des figures tout sourire, des renfrognés et des mines sérieuses. Certains parlent seuls, certains ont un visage anxieux parcouru par des tics et d’autres le visage endurci, la bouche tordue par l’effort d’une conversation à bâtons rompus. Tout ce monde-là -marqué par la haine, les souffrances, terni par la pauvreté, endormi par la richesse- tout cela, représente la race glorieuse du peuple juif. Une race qui sollicite de nouveau auprès de Dieu et pour ce cycle-ci, sa protection, la santé et les moyens de survivre. Et pour ceux qui l’osent… pourquoi pas la richesse. À l’extérieur du temple, rien ne semble indiquer que cet endroit est un lieu de prière. Mais quand on entre, il règne des brouhahas intenses, et parmi les litanies onduleuses des prières adressées au ciel, la politique est en vedette et les noms comme Bourguiba, Charles de Gaulle, Nixon, se mélangent mélodieusement avec les litanies. On y fait d’odieuses ou de bonnes comparaisons ; c’est à qui fait le plus de bien ou le plus de mal au peuple juif. Parmi ces chuchotements d’assassinats, de vols, du cours des monnaies d’échange, souvent le mot dollar est lancé en l’air avec un tremblement dans la voix. Et bien souvent, le grand rabbin doit imposer le silence en tapant avec ses petites mains sur le pupitre ou sur son livre de Torah… des coups de mépris et de colère. Puis, tous les fidèles unanimement reprennent avec lui -mine de rien-, en frappant eux aussi sur leur livre tout en scandant avec des « chut ! » sévères pour montrer qu’ils veulent faire respecter le silence solennel et que ce n’est point eux-mêmes les fautifs. Bref, tout cela donne un aspect bruyant et vivant dans l’atmosphère chargée de la synagogue. Mais malgré ces inconvénients on se sentait en paix avec soit même et avec Dieu. Et c’est de cette façon que sur toute l’Afrique du Nord les Juifs pensent se faire pardonner les fautes commises au courant de la semaine. Parfois, la voix humble et pleureuse du rabbin servant la messe impose sans autre forme de procès le silence aux fidèles, qui écoutent enchantés l’ondulation embaumée entrant brusquement dans leur cœur. Ce lieu de prière s’appelle la grande synagogue, non seulement à cause de sa taille, mais aussi par sa popularité du fait qu’elle est placée en plein centre de la ville au milieu de grands quartiers juifs et chrétiens. Le samedi, la salle est étroite pour tant de monde, qui s’entasse tant bien que mal dans l’espace qui reste. Dans ce temple, il y a deux parties bien distinctes : la grande salle pour les hommes et, le balcon pour les femmes qui ne sont parfois pas admises à s’exhiber dans la grande salle sauf évidemment dans les grandes occasions, comme la fête de Kippour, les mariages, les communions, etc. Dans la première partie ou tous les hommes se tiennent, juste en face de l’entrée et tout au fond on aperçoit sortant du mur deux colonnes de marbre soutenant un toit étroit à tête de flèche, lui aussi en marbre blanc. Le tout est complété par deux grandes et lourdes tentures rouges brodées de fils d’or dessinant des lettres hébraïques. Les deux côtés externes sont cachés par les colonnes, les bords internes sont brodés sur toute la longueur par une frange de fils doré. Rien qu’en voyant la perspective, on estime la hauteur de cette bâtisse à trois mètres et sa largeur à un mètre et demi. Derrière cette décoration se cachent les rouleaux en parchemin de la Torah, qui sont enfermés eux aussi, dans tourelles en bois précieux de bouc ; c’est surtout vers ce lieu saint, que nos regards se fixent et vers lequel toutes les silhouettes des hommes se tournent pour adresser leurs prières ; cette petite construction est disposée, selon la tradition, en direction de Jérusalem. À la droite de ce tabernacle se trouve un mur où plusieurs inscriptions hébraïques sont collées sur la façade par des b****s de papier ; puis il y a plusieurs veilleuses allumées où l’on voit écrit en lettre d’or : Né le… décédé le… rappelant aux intéressés le souvenir si cher du moribond. Sur le mur de gauche se trouvent les mêmes objets qu’à l’opposé. Seul, un grand bac en zinc accroché par deux chaînes en fer blanc retient l’attention. Ce petit bassin rectangulaire est rempli d’huile, et dans ce liquide fluide nagent des cônes de coton huilé allumés par des fidèles, qui veulent soit faire un prescris, soit commémorer une grande occasion, un anniversaire, une communion ou bien pour remercier la garde de Dieu qui leur a permis d’échapper à un accident ou pour remercier Dieu d’avoir toute sorte de réussites. Toutes ces injonctions de coton s’accompagnent de cérémonies ou l’on sert des bonbons et des boissons alcoolisées -surtout comme l’eau de vie « Boukha »-. Tout est toujours rythmé et orchestré par des « hou hou ». C’est dans ces petites fêtes que la gaieté et la joie fusent, que les discussions sont permises, on y voit même des gens non habitués à fréquenter régulièrement la synagogue. Ils accourent, informés à l’avance par l’appât des gourmandises qu’on y distribue et par le liquide qui réchauffe le cœur et le fait revivre. En descendant du tabernacle auquel on accède par trois marches en marbre blanc, on parcourt cinq mètres vers la sortie et on trouve un grand pupitre rond posé sur une estrade. Il est ouvert sur le côté pour permettre d’y monter. C’est là que sont disposés les livres de prières pour les hommes, les enfants, ou bien ceux qui dédaignent d’en acheter malgré leurs moyens. Mais c’est surtout pour les indigents. Le pupitre est assez grand pour y poser tous les rouleaux de la Torah. C’est aussi dans ce pupitre que le rabbin servant la messe prie. Ce pupitre, deuxième de par son importance, est fait de bois de chêne, recouvert par des tapis de velours rouge brodé avec des motifs de fleurs et de poissons. C’est ainsi, que le jeune garçon de treize ans -l’âge de la communion- monte à l’estrade, et que devant les rouleaux de loi ouverts devant ses yeux, il signe son alliance d’homme avec l’Éternel, pour le meilleur et pour le pire. Derrière le pupitre, l’espace restant correspondant à la moitié de la salle ; y sont disposés des bancs de bois peint en blanc permettant aux fidèles de s’asseoir quand ils ne sont pas obligés de se mettre debout comme la coutume le veut dans certaines prières.
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