Esnesto caresse doucement son dos, comme pour apaiser un feu qu’il ne sait pas éteindre. Puis, comme malgré lui, ses yeux glissent sur elle. Sur sa robe moulante, ses courbes assumées, la colère mêlée à la fragilité dans ses traits.
— Tu sais que t’es sexy comme ça, lâche-t-il d’un ton bas, presque gêné.
Flaviana relève la tête, essuie une larme avec le revers de sa main, et esquisse un sourire sans joie.
— Même quand je pleure, t’arrives à dire ça ?
— Surtout quand tu pleures… murmure-t-il en haussant les épaules. C’est pas qu’un truc de corps, Flaviana. T’as quelque chose... Je sais pas l’expliquer.
Elle le fixe, intriguée, troublée aussi. Puis elle baisse les yeux.
— J’suis pas venue pour ça, Esnesto.
— Je sais, répond-il doucement. Mais t’as besoin de te sentir vivante. Et moi… j’ai besoin de comprendre pourquoi t’arrives à me faire perdre la tête à chaque fois.
Il y a un silence. Lourd, tendu. Les mots ne suffisent plus à contenir ce qui se passe entre eux.
Mais Flaviana finit par se détacher lentement de lui, reprend une contenance, inspire profondément.
— Je veux juste retrouver ma sœur, dit-elle avec gravité. Et si ta femme continue de me mettre des bâtons dans les roues, je jure que je vais tout faire pour lui rendre la monnaie. Je veux pas coucher. Je veux pas jouer. Je veux juste qu’on me laisse en paix.
Esnesto acquiesce lentement. Il sait qu’il ne contrôle plus rien. Ni Flaviana. Ni Donata. Ni même ses propres envies.
— Je vais voir ce que je peux faire, dit-il.
Elle hoche la tête. Son regard se durcit à nouveau. Plus calme, mais plus déterminée.
— T’as intérêt, Esnesto. Parce que si elle continue, la prochaine fois… je ne viendrai pas parler.
Alors qu’elle attrapait son sac, prête à partir, Esnesto la suivit des yeux, silencieux. Une lutte intérieure se lisait sur son visage. Il aurait dû la laisser franchir la porte. Il le savait. Mais au dernier moment, il avança d’un pas et murmura :
— Attends.
Flaviana s’arrêta, sans se retourner. Elle attendit. Il n’eut pas besoin de parler davantage. Quand elle fit volte-face, il était déjà là, tout près. Leurs regards se croisèrent, s’accrochèrent une seconde. Puis il l’embrassa.
Elle répondit aussitôt. Il n’y eut ni résistance ni gêne, seulement ce feu partagé, cette tension qui vibrait entre eux depuis trop longtemps. Ses mains glissèrent dans ses cheveux, les siennes autour de sa nuque. Le b****r s’intensifia, guidé par une envie mutuelle qu’ils ne cherchaient plus à dissimuler.
— Esnesto... souffla-t-elle entre deux souffles.
— Je sais... mais j’en ai trop envie.
Il avait peur pourtant. Peur que Donata revienne plus tôt que prévu. Peur des conséquences. Mais Flaviana, elle, s’en fichait. Complètement. Elle vivait dans l’instant, et cet instant brûlait.
Ils s’embrassèrent de nouveau, se déshabillant à moitié en avançant à tâtons jusqu’au salon. Les vêtements tombèrent sur les fauteuils, les chaises, les marches. Le canapé les accueillit à demi, mais bientôt, ce fut le tapis qui devint leur lit de fortune.
— Tu es belle, murmura-t-il, ses lèvres sur son cou.
— Alors regarde-moi, répondit-elle, les yeux brillants.
Les mots se mêlèrent aux gestes. Ils firent l’amour dans une conversation entre gémissements étouffés et soupirs complices. Il la découvrait avec une douceur inattendue, elle le guidait avec un abandon presque insolent.
Plus tard, allongés sur le sol, l’un contre l’autre, le silence retomba, bercé par le rythme encore irrégulier de leur souffle. Esnesto la regarda longuement, caressant du bout des doigts une mèche humide sur son front.
— Tu fais tourner la tête aux hommes, tu sais ça ? dit-il dans un souffle.
Flaviana sourit, malicieuse, le regard paresseux.
— Pas à tous. Juste à ceux qui en valent la peine.
Il rit doucement, puis l’embrassa de nouveau. Cette fois, il n’y avait plus d’hésitation, plus de peur. Ils recommencèrent, plus lentement, plus profondément. Comme s’ils avaient enfin le droit.
La porte d’entrée claqua soudain, brisant le silence étouffé de la maison. Esnesto se figea. Flaviana tourna légèrement la tête vers l’origine du bruit, un sourire presque imperceptible aux lèvres. Elle savait.
— Esnesto ? appela la voix de Donata, plus proche, étonnamment calme. C’était cette tranquillité qui annonçait la tempête.
Elle marcha à travers le couloir, posant son sac avec un geste mécanique. Puis elle s’arrêta net au seuil du salon.
Ce qu’elle vit la cloua sur place.
Son mari. Nu. Allongé sur le tapis, haletant. Et par-dessus lui, dans une posture sans équivoque, Flaviana. La robe relevée, les jambes ancrées autour de lui, le regard planté dans celui de sa rivale.
Un silence brutal envahit la pièce, plus coupant qu’un cri.
— Flavia... murmura Donata, comme si son cerveau refusait de comprendre ce que ses yeux voyaient.
Mais Flaviana, elle, ne bougea pas. Elle ne se cacha pas. Au contraire. Elle se redressa lentement, toujours nue, fière, dominante. Son regard croisa celui de Donata, et elle esquissa un sourire. Un sourire calme, cruel.
— Tu arrives à temps, Donata, dit-elle d’une voix douce, presque joyeuse. Je voulais que tu vois ça. Que tu voies ce que c’est d’être vraiment désirée.
Donata pâlit. Elle chancela d’un pas. Elle aurait voulu crier, hurler, s’élancer sur elle, mais son corps restait figé, incapable de digérer l’image. Esnesto, lui, ne trouvait plus ses mots. Il tenta de se redresser, honteux, confus.
— Donata... je... c’est pas...
— Tais-toi ! hurla-t-elle enfin. Tais-toi, espèce de lâche !
Mais Flaviana riait presque. Elle se leva lentement, défaisant les plis de sa robe d’un geste lent et volontaire. Puis elle passa devant Donata sans la regarder, ses talons claquant sur le carrelage.
— Je t’avais dit que tu regretterais de m’avoir humiliée.
Et sur ces mots, elle sortit de la maison, laissant derrière elle un champ de ruines.
Donata resta là, immobile, les bras le long du corps, les yeux fixés sur l’entrée vide que Flaviana venait de franchir. Elle n’avait même pas eu la force de la suivre. Le silence du salon, brisé seulement par le tic-tac de l’horloge murale, lui donna la nausée.
Esnesto s’était rhabillé en vitesse. Il s'assit sur le bord du canapé, le regard encore trouble, mais le cœur étrangement calme. Il savait que ce moment viendrait. Pas forcément comme ça. Mais il viendrait.
— Alors c’est ça ? souffla Donata, la voix tremblante. Tu me fais ça, ici... devant nos enfants !
— Ils dormaient, dit-il froidement.
— Tu me trompes avec elle ? Avec cette fille ?!
— Oui, répondit-il. Et je ne vais pas m’en excuser.
Donata recula comme s’il l’avait giflée.
— Tu... tu n’as pas honte ?
Il leva les yeux vers elle. Son regard était dur, sans détour.
— J’en ai eu. Pendant longtemps. J’ai eu honte d’être ton mari, de me taire pendant que tu rabaissais tout le monde, pendant que tu salissais Flavia, alors que c’est toi qui t’accroches à une image vide.
— Quelle image ?! s’écria-t-elle.
— Celle de la femme parfaite. De la famille parfaite. Tu passes ton temps à vouloir impressionner le quartier, à prier en première ligne à l’église, mais chez toi, tu es froide, blessante, incapable d’aimer sans juger.
Donata ne répondit pas tout de suite. Elle vacilla un peu, puis se redressa, droite, le menton haut.
— Tu crois que je vais partir ? murmura-t-elle. Tu crois que je vais fuir ? Non. Je suis la maîtresse de cette maison. Tu peux me trahir autant que tu veux, Esnesto, mais je resterai. Parce que je ne laisserai personne rire de moi. Personne.
Il haussa les épaules, indifférent.
— Reste si tu veux. Fais semblant, comme toujours. Moi, j’en ai fini avec ton théâtre.
— Et Flavia ? Tu comptes quoi faire ? La prendre pour compagne maintenant ? La présenter aux enfants ?
Il la regarda, cette fois avec lassitude.
— Flavia ne m’appartient pas. Et je ne lui appartiens pas non plus. Ce qui s’est passé, c’était... une réponse. Une réponse à ton mépris, à ta haine, à ton obsession de contrôle.
Donata détourna les yeux. Ses mains tremblaient, mais elle se retint de pleurer. Elle ne pleurait jamais devant les autres. Jamais.
— Très bien, dit-elle enfin, la voix glaciale. Continue de coucher avec des putes. Mais quand tu t’effondreras, ne viens pas vers moi.
Elle tourna les talons, remonta l’escalier à grands pas. Esnesto resta dans le salon, le regard dans le vide.
Il n’éprouvait ni remords ni satisfaction. Juste une étrange liberté. Et une fatigue immense.
•
Flaviana était rentrée chez elle la veille au soir, un sourire aux lèvres, le cœur léger. Elle avait enfin pris sa revanche, et Donata avait vu, de ses propres yeux, que la vie n’était pas aussi bien rangée qu’elle l’imaginait. Elle n’avait rien crié, rien insulté. Elle s’était contentée de sourire. Et ça, c’était pire que mille gifles.
A suivre