Chapitre 1

1462 Mots
À Rome, une coach féministe au passé trouble aide les femmes à se libérer... jusqu'au jour où la femme d'un mafieux riche et dominateur pousse sa porte, déclenchant une tension qui changera toutes les règles. _______________ Rome transpirait la richesse et les mensonges. Au huitième étage d'un immeuble aussi discret que luxueux, Amaya Bellori croisait les jambes, un sourire calme accroché aux lèvres, pendant qu'une femme mariée pleurait sur son canapé en cachemire. - Il m'a dit que j'étais un meuble, Amaya. Un meuble ! Elle ne cligna pas. Ce genre d'histoire, elle en entendait cinq par jour. Pourtant, elle ne s'en lassait jamais. Ce n'était pas de la pitié, ni même de la compassion. C'était autre chose. Une forme de lucidité froide, patiente, presque clinique. Amaya Bellori n'était pas une thérapeute. Elle était une éclaireuse. Elle montrait aux femmes la porte. À elles de décider si elles avaient le courage de l'ouvrir. Assise face à sa cliente, elle se pencha légèrement, le menton posé sur ses doigts, observant la détresse contenue sous les bijoux et la mise en plis. La femme s'appelait Vittoria Rinaldi. Trente-huit ans, épouse d'un chirurgien renommé, mère de deux enfants élevés par une nounou philippine, silhouette fine, brushing parfait, voix cassée par le chagrin et la honte. Son monde semblait parfait de l'extérieur. Mais de l'intérieur, il puait l'abandon. - Il m'a dit ça sans lever les yeux de son assiette, poursuivit Vittoria. Comme si j'étais... une table. Un vase. Une chose qu'on bouge quand elle dérange. - Et qu'avez-vous répondu ? - Rien. Je me suis levée et je suis allée vomir dans les toilettes. Amaya ne sourcilla pas. Elle notait, mentalement. Le silence était souvent plus parlant que les mots. Vittoria ne venait pas pour sauver son couple. Elle venait pour se sauver elle-même. Elle ne le savait pas encore, mais Amaya, elle, le savait déjà. Ses yeux sombres, profonds, brillants comme deux éclats de verre noir, scrutaient sans juger. Amaya Bellori était née à Naples mais avait grandi entre Milan et Lagos, dans une famille éclatée, dure, et silencieuse. Elle avait appris très tôt à lire les gestes, les regards, les mensonges. À trente-trois ans, elle avait transformé cette habileté en un empire discret. Donna Libera ne figurait dans aucun annuaire. Il fallait être recommandée. Il fallait surtout être prête à entendre. Amaya portait ce jour-là une robe noire cintrée, des escarpins sobres, et un parfum musqué à peine perceptible. Son élégance ne criait pas, elle murmurait. Pas de fioritures, pas de pitié inutile. Seulement de la présence. Une autorité douce mais indiscutable. - Tu sais pourquoi il t'a dit ça, Vittoria ? La cliente essuya ses larmes, maquillage intact, réflexe de femme bien élevée. - Parce qu'il ne m'aime plus ? - Non. Parce que toi, tu ne t'aimes plus. Il ne fait que te refléter ta propre indifférence. Un silence tomba dans la pièce. Pas lourd. Juste vrai. Vittoria hocha lentement la tête, comme si cette phrase venait de faire basculer quelque chose en elle. - Je ne sais même plus ce que j'aime manger. Ce que j'aime faire. Qui je suis. - C'est là qu'on va commencer, répondit Amaya en décroisant enfin les jambes. On va aller te chercher. Là où tu t'es laissée tomber. Son ton n'était ni dur, ni maternel. Il était précis. Chirurgical. C'était ça, le vrai luxe. Se faire dire la vérité, sans fard, dans un monde où tout le monde mentait avec élégance. Amaya se leva pour aller chercher une bouteille d'eau, la tendit à sa cliente sans un mot, puis reprit place avec la même grâce calculée qu'une ballerine en scène. Ses gestes étaient lents, étudiés, comme si chaque mouvement avait une signification. Parce que dans son bureau, tout avait une signification. Vittoria s'empara de la bouteille, but à petites gorgées comme si elle se réapprenait elle-même. Amaya la laissa faire. Laisser du vide, c'était parfois plus puissant que d'imposer des réponses. Elle observait. Elle attendait le moment où les femmes cessaient de se raconter des excuses et commençaient enfin à s'écouter. - Tu sais que tu peux partir, dit-elle doucement. Ce n'est pas une prison. Vittoria releva les yeux. - Je sais... Mais partir, c'est admettre que tout est fini. - Non, répondit Amaya. Partir, c'est reconnaître que tu mérites mieux que presque rien. Il y eut un frémissement. Une fissure dans l'armure. Ce n'était pas la première fois qu'une cliente pleurait en entendant ces mots. Mais Amaya ne cherchait pas les larmes. Elle visait les déclics. Elle se leva à nouveau, s'approcha de la grande baie vitrée qui ouvrait sur Rome. Les toits antiques, les ruelles étroites, les voitures de luxe garées devant les palazzi. Elle contempla la ville comme on regarde un amant volage : belle, mais pleine de traîtrises. - Tu n'as pas besoin qu'il te valide pour exister, dit-elle sans la regarder. Tu existais bien avant lui. Il t'a fait oublier. Je suis là pour te le rappeler. Derrière elle, Vittoria serrait la bouteille d'eau comme un talisman. Amaya s'autorisa un instant de silence, puis revint vers son fauteuil. Elle ouvrit un carnet, griffonna quelque chose rapidement et tendit la page arrachée. - Voici trois choses à faire avant notre prochain rendez-vous. Rien de spectaculaire. Mais ça va te bousculer. Tu devras sortir seule. Marcher dans un lieu que tu aimes. Manger un plat que tu choisiras pour toi. Et écrire une lettre. Une lettre à toi-même. Celle que tu étais avant tout ça. Vittoria prit le papier, hocha la tête. Elle avait encore peur, mais cette peur-là n'était plus paralysante. Elle était fondatrice. Le premier pas d'un déménagement intérieur. - Merci, Amaya. - Ne me remercie pas. C'est toi qui vas faire le travail. Le rendez-vous se termina sans étreinte, sans embrassade. Juste un regard. Un de ceux qui laissent une trace. Lorsque la porte se referma, Amaya souffla longuement et nota une phrase dans son dossier : "Client réveillée. Encore fragile. Mais ouverte." Elle se leva, rangea les coussins du canapé, fit couler un café noir, fort, brûlant. Le genre qu'elle prenait toujours après une séance qui touchait à l'os. Elle savait déjà qui serait la suivante. Une femme très différente. Giulia Moretti. L'épouse du genre d'homme qu'Amaya détestait. Mais ça, elle ne le savait pas encore. Elle jeta un œil à l'agenda en cuir brun posé sur son bureau. Le nom de Giulia Moretti était encerclé au feutre doré, suivi de la mention : Première consultation. Recommandée par V.R. Vittoria n'avait pas perdu de temps. C'était souvent comme ça : une femme en réveillait une autre. En silence. Par ricochets. Amaya prit une dernière gorgée de son café, se recoiffa machinalement devant le miroir de l'entrée, puis s'assit à nouveau, droite, alerte, dans le grand fauteuil d'accueil. Elle aimait recevoir ses clientes comme on reçoit des reines. Pas pour flatter leur ego, mais pour leur rappeler qu'elles en avaient eu un, autrefois. La porte s'ouvrit à l'heure exacte. Pas une minute de plus, pas une de moins. Giulia entra comme on entre dans un musée : avec prudence, les épaules légèrement rentrées, mais vêtue d'un trench beige hors de prix, les talons cliquetant sur le parquet comme pour compenser l'assurance qu'elle n'avait plus. Elle était belle. Trop apprêtée, comme si elle avait voulu camoufler l'effondrement sous du maquillage et des boucles parfaites. Une élégance crispée. Amaya reconnut tout de suite les signes. Le masque social. L'armure des femmes riches et effacées. - Madame Moretti ? Amaya, ici. Prenez place. Giulia hésita à poser son sac Hermès sur le sol. Elle le garda contre elle. C'était déjà une information. - Vous avez été recommandée par Vittoria. - Oui. Elle m'a dit que... que vous l'aviez aidée à voir clair. Moi, je... je n'y vois rien. Ou trop. Je ne sais plus. Amaya hocha doucement la tête. - Vous avez déjà dit quelque chose d'important. Le problème, ce n'est pas ce que vous voyez. C'est ce qu'on vous a appris à ne pas regarder. Giulia eut un rire nerveux, les mains crispées sur le cuir de son sac. - Vous savez... Lorenzo me traite bien. Il m'offre tout. On ne manque de rien. On a une maison à Trastevere, une villa à Capri, deux enfants en bonne santé. J'ai honte d'être ici, à me plaindre. Amaya croisa les jambes. Le décor changeait, mais le tableau était toujours le même. - Il vous traite bien ? D'accord. Alors pourquoi êtes-vous là, Giulia ? Un silence. Long. Dense. - Parce qu'il ne me touche plus. Parce qu'il m'évite. Et quand il me parle, c'est comme s'il s'adressait à une gouvernante. Je suis... invisible dans ma propre vie. Amaya ne bougea pas. Ce n'était pas encore le moment de parler. À suivre
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