Chapitre Deux
Je passe à toute vitesse devant une Venessa outrée et fonce au bureau de Nero sans me faire annoncer.
Son bureau réglable est en position debout et il tapote joyeusement sur son clavier, n’ayant apparemment pas conscience de mon arrivée. Il est vêtu d’une chemise rayée et a enroulé ses manches jusqu’aux coudes, comme le font les magiciens pour prouver qu’ils ne cachent rien dans leurs vêtements.
N’importe quoi.
J’accorde autant de confiance à Nero qu’aux magiciens. C’est-à-dire, aucune.
Je me racle la gorge.
Il ne réagit pas à ma présence.
— Où est mon bureau ?
Même s’il est entièrement vêtu, je ne peux m’empêcher de l’imaginer nu. C’est sans doute par la faute de ses avant-bras exposés.
— Comment dois-je travailler sans chaise et sans ordinateur ? reprends-je.
— Tu nous fais enfin l’honneur de ta présence ?
Nero arrête de taper sur son clavier et me dévisage, son regard s’attardant sur mon pantalon en cuir.
— En plus du Friday Wear, existe-t-il aussi un lundi décontracté ?
— Les conseils mode font-ils partie de ton célèbre entraînement de mentor ?
Je me laisse tomber sur la chaise en face de son bureau sans y avoir été invitée.
— Si c’est le cas, j’aurais besoin de tes conseils en maquillage. ironisé-je.
— Tu n’as pas besoin de maquillage.
Les yeux de Nero scrutent mon visage comme s’il en créait un plan pour une imprimante 3D.
Je fronce les sourcils.
— Était-ce un compliment ?
S’il avait l’intention de me faire penser à autre chose, il a très bien réussi.
Nero baisse son bureau et s’assoit sur sa propre chaise, mettant nos yeux au même niveau.
— Dis-moi tout, ordonne-t-il d’un ton impérieux.
— Quarante-deux, lâché-je.
Il lève un sourcil, alors j’explique :
— C’est la réponse à la vie, l’univers et tout le reste.
— J’ai rencontré Douglas Adams, tu sais, l’auteur du livre auquel tu fais référence.
Les lèvres de Nero forment un sourire sardonique. Avant que je puisse le bombarder de questions au sujet d’une telle information, il poursuit :
— Je vais être très clair. Comment t’es-tu retrouvée dans ce bazar avec Baba Yaga ?
— Je n’ai pas l’impression que c’est lié au travail.
Je croise lentement mes jambes couvertes du pantalon en cuir, canalisant mon Basic Instinct intérieur.
Ma manœuvre fonctionne comme prévu. Les anneaux cornéo-limbiques de Nero semblent croître et, pendant un instant, il paraît sur le point de me sauter dessus.
Une seconde. Pourquoi voudrais-je cela ? Mon pouls accélère, je décroise les jambes et me penche en avant d’un air belligérant.
— Pourquoi devrais-je te le dire ?
Il parvient à se contrôler en un clin d’œil et, avec un calme irritant, il réplique :
— Parce que tu ne veux pas m’énerver ?
Je suis sur le point de lui avouer du fond du cœur « Si, c’est ce que je veux faire », mais il doit comprendre mon intention, car il m’adresse un sourire entendu de requin en ajoutant :
— Peu importe. Je suis ton mentor. Savoir ce genre de choses fait partie de mes prérogatives, alors tu vas répondre. Est-ce clair ?
En soupirant, j’explique comment la recherche de mes origines m’a conduite vers Baba Yaga et ce que voulait la sorcière en échange du souvenir qu’elle a rendu à Fluffster concernant Raspoutine. Lorsque j’arrive au moment où elle voulait que je couche avec Yaroslav le bannik, le visage de Nero devient si sombre que je crains l’apparition de ses griffes capables de déchiqueter des orques.
Je me dépêche d’expliquer comment le sexe avec le bannik n’a pas eu lieu et n’aurait jamais eu lieu tant que mon corps était conscient, et Nero se détend légèrement. Je mentionne ensuite ma fuite, et comment j’ai appris qu’Ariel avait été kidnappée. Enfin, je lui parle du sauvetage jusqu’au moment où je l’ai appelé à l’aide.
— Tout était ta faute, dis-je pour conclure. Tu as toujours su qui était mon père. Si tu me l’avais simplement dit, je n’aurais pas rencontré Baba Yaga.
— Tu vas aller voir Lucretia.
Nero sort son téléphone et regarde l’écran.
— Dans deux minutes.
— Tu changes de sujet, comme ça ?
Je résiste à l’envie de me lever d’un bond.
— Voir Lucretia fera partie de ton mentorat, et c’est pourquoi le temps que tu passeras avec elle ne sera pas soustrait à ta charge de travail.
Ma charge de travail ? Il plaisante ? Et mes réponses ?
— Qui est ma mère ? Et où est…
— Lucretia te recevra dans son bureau.
Nero range son téléphone.
— Je ne vais nulle part tant que tu ne m’as pas parlé de mes parents.
— Nous avons conclu un marché, rétorque froidement Nero. En ce qui concerne ton mentorat et ton travail ici, tu feras ce que l’on te demande.
— Est-ce à cause de la clause de confidentialité dans ce stupide contrat ?
Je croise les bras.
— Ne pouvons-nous pas trouver une façon de la contourner ? Tu pourrais m’écrire un mail, Internet n’avait pas été inventé en mille neuf cent seize.
Nero me regarde avant de jeter un regard appuyé vers la porte.
— S’il te plaît, Nero.
Laissant tomber mon attitude combative, je fais des yeux de chiot en espérant qu’il se fasse avoir comme cela arrive toujours à Felix.
— Imagine si quelqu’un te cachait ta famille. Si…
J’arrête de parler, car le visage de Nero devient terrifiant. Même les cieux au-dessus du Mordor sont moins effrayants que ça. Il devient flou, bougeant de la façon surnaturelle qui avait précédé le m******e des orques. Une fraction de seconde plus tard, il se tient près de la porte.
— Dehors, grogne-t-il en montrant la sortie avec le pouce. Maintenant.
Quelque chose dans sa voix me pousse à obéir sans poser de questions.
Je me lève vite et me précipite dehors comme si quelque chose d’extrêmement dangereux était sur le point de me pourchasser.
Et d’après ce que je sais, ça pourrait bien être le cas.