Dans la leur, Faizah s’était assise sur le lit, les jambes croisées sous sa robe fluide. Elle observait son mari qui, comme toujours, s’était plongé dans ses papiers de travail à peine la porte refermée.
Elle murmura dans le silence :
— Jaannah est une fille bien.
Sadid, concentré, hocha lentement la tête sans lever les yeux.
— Je sais.
Elle laissa passer un souffle. Son regard s’attarda sur lui, puis sur la lampe douce qui baignait la pièce d’une lumière dorée.
— J’appréhende une chose, dit-elle enfin.
Sadid leva les yeux, la fixant pour la première fois depuis qu’ils étaient entrés. Il s’interrompit, le stylo suspendu entre ses doigts.
— Qu’est-ce qui t’inquiète ?
Elle baissa les yeux, triturant l’extrémité de son foulard posé sur l’épaule.
— Et s’il repartait ? Kadir… Et s’il devait repartir longtemps ? Et que les femmes du village… exigent que tu… que tu prennes sa place, comme la tradition le demande ? Tu sais bien ce que ça implique.
Il comprit tout de suite. Son regard changea. Il posa son stylo sur la table, puis se leva doucement. Il marcha vers elle, s’arrêta à sa hauteur, puis s’assit à côté d’elle. Son ton devint bas, rassurant, ferme.
— Écoute-moi bien. Je suis occupé. Trop. Bientôt, je passerai plus de temps dans les maisons de la ville qu’ici. Et cette tradition, aussi ancienne soit-elle, ne se fera pas. Pas avec moi.
Faizah tourna la tête vers lui. Elle le regarda longtemps, silencieuse, avant de poser sa main sur sa nuque et l’embrasser doucement.
— Je t’aime, murmura-t-elle.
Sadid répondit en glissant sa main contre la sienne.
— Moi aussi. Toi, et personne d’autre.
Sa main glissa, ferme, possessive. Il prit le contrôle, dominateur, guidant chaque geste. Elle se laissait faire, adorant cette puissance qu’il exerçait sur elle.
La nuit devint un feu brûlant, une danse entre désir et domination, où chacun trouvait sa place.
Il la regarda un instant sans émotion, puis ordonna :
— Mets-toi à genoux. Montre-moi que tu es à moi.
Sans hésiter, elle s’agenouilla, le regard humble mais brûlant d’envie.
— Je suis à toi, entièrement.
Il glissa sa main derrière sa nuque, la maintenant contre lui.
— Tu es faible, et c’est pour ça que je t’aime. Tu obéis, tu me donnes tout, sans poser de questions.
Elle gémit doucement, offerte, prête à tout.
— Fais de moi ce que tu veux. Je t’appartiens.
Il hocha la tête, froid et sûr.
— Parfait. Ce soir, tu vas apprendre ce que signifie vraiment être mienne.
Au milieu de la nuit, Jaanaah se leva pour aller boire un verre d’eau. En passant près de la chambre de Sadid et Faizah, des voix lui parvinrent, basses mais intenses. Elle s’arrêta, le cœur battant, choquée par la crudité et la dureté des mots échangés. Elle détourna le regard, les images lui brûlant l’esprit, puis referma doucement la porte derrière elle, incapable de chasser cette scène de sa tête. Elle retourna se coucher, le sommeil difficile à trouver, encore troublée par ce qu’elle venait d’entendre.
Le lendemain matin, la grande salle accueillit le petit déjeuner familial dans une ambiance détendue. Autour de la table basse dressée avec des galettes chaudes, du miel et du fromage frais, les discussions allaient bon train. Mais Jaanah, elle, n’osait à peine lever les yeux.
Assise à côté de Kadir, elle gardait les mains posées sur ses genoux, la tête légèrement baissée. Chaque mot échangé, chaque éclat de voix autour d’elle paraissait lointain. Ce n’était pas la fatigue. C’était ce qu’elle avait entendu, la veille au soir, en se levant pour boire de l’eau. Les murs étaient fins, et les paroles entre Sadid et Faizah, accompagnées de bruits explicites, n’avaient laissé aucun doute sur ce qu’il se passait dans leur chambre.
Quand elle croisa le regard de Sadid, un frisson lui traversa l’échine. Un silence bref flotta entre eux. Il la regarda un instant sans rien dire, comme s’il devinait son trouble. Elle détourna aussitôt les yeux, confuse, la gorge serrée.
Après le dîner, alors que les hommes reprenaient leurs activités et que Sadid partait en ville pour ses affaires, Faizah prit Jaanah à part. Elles s’assirent à l’écart, sur le tapis de l’ancienne terrasse, dans un coin baigné par la lumière du crépuscule.
— Tu as l’air bizarre aujourd’hui, souffla Faizah en la regardant de biais.
Jaanah sourit maladroitement.
— Non… rien du tout.
— Jaanah, dit Faizah doucement, mais avec fermeté. Je te connais. Qu’est-ce qu’il y a ?
Jaanah hésita. Elle joua nerveusement avec le bord de sa manche, puis soupira.
— Hier soir… je suis sortie de la chambre… pour boire un peu d’eau… et… j’ai entendu… vous deux.
Faizah éclata de rire, un rire franc, sans moquerie mais empli de complicité. Elle se pencha vers elle.
— Ah, ça. Oui… Sadid est… disons… très expressif.
Jaanah rougit, ne sachant plus où regarder.
— Je suis désolée. Je ne voulais pas écouter…
— Ne t’excuse pas, Jaanah, répondit Faizah en souriant. C’est naturel. Sadid aime dominer, et moi… j’aime obéir. C’est comme ça entre nous. Chaque couple a ses… équilibres, ses désirs, ses jeux.
Jaanah se contenta d’un petit rire gêné.
— Toi et Kadir, vous découvrirez les vôtres. Laisse le temps faire. Le désir, ça se cultive, ça s’apprivoise aussi. Et puis… parfois, les choses les plus belles se construisent dans la douceur.
Elles restèrent ensemble un moment encore, à parler de tout et de rien, le regard perdu vers les montagnes qui rosissaient sous le ciel du soir.
Les jours suivants furent doux. Kadir et Jaanah profitaient du calme retrouvé. Ils allaient souvent marcher ensemble jusqu’au bord du fleuve, là où l’eau rencontrait les pierres avec une lenteur apaisante. Ils y pique-niquaient parfois, partageant des morceaux de pain et des dattes, les pieds nus dans le sable chaud, leurs rires se mêlant au chant des oiseaux.
L’amour grandissait doucement entre eux. Discret, sincère, patient.
Ce jour-là, ils étaient partis plus tôt que d’habitude. Le soleil était encore doux, et l’air portait la fraîcheur rare des matinées de fin de saison. Kadir avait pris une grande couverture qu’il avait étendue à l’ombre d’un figuier. Jaanah s’installa en silence, observant les reflets du ciel dans l’eau claire.
Il sortit de son sac de quoi grignoter : du pain, quelques fruits, des noix et deux fioles de jus de grenade. Elle sourit en voyant qu’il avait pensé à tout.
— Tu crois qu’un jour, on habitera près d’un fleuve ? demanda-t-elle doucement.
Kadir la fixa un instant avant de répondre.
— Si c’est ce que tu veux… alors oui.
Il la regardait avec cette intensité tranquille qui l’avait toujours troublée. Le silence s’installa, mais il n’était ni lourd, ni gênant. C’était un silence apaisant, celui de deux êtres qui n’avaient plus besoin de parler pour se comprendre.
Elle baissa les yeux, passa ses doigts sur les plis de la couverture, puis murmura :
— Je ne pensais pas qu’on en arriverait là… toi et moi.
— Moi si, dit-il, presque aussitôt. Je t’ai toujours voulu, Jaanah. Même quand je n’avais pas le droit de le dire.
Elle tourna la tête, un peu émue, un peu hésitante aussi. Il s’approcha, glissa sa main contre la sienne, et ajouta :
— On a traversé trop de choses pour ne pas vivre ce bonheur. Même s’il est simple.
Elle hocha la tête. Une brise légère souleva quelques mèches de ses cheveux. Elle sourit doucement.
— Je suis heureuse, Kadir. Je veux que ça dure.
Il s’approcha, l’embrassa sur le front, longuement, et resta là, la main posée contre sa nuque.
— Moi aussi, Jaanah. Et je ferai tout pour que ça dure.
Ils passèrent là une grande partie de la journée, parlant de projets simples, riant de souvenirs communs, s’allongeant côte à côte pour regarder les nuages qui dérivaient paresseusement au-dessus d’eux.
Ce jour-là, tout semblait suspendu. Comme si le monde avait cessé de bouger pour leur laisser, enfin, un peu de paix.
Ils étaient rentrés un peu avant le coucher du soleil. Dans la maison, l’ambiance était détendue. La télévision tournait dans le salon, et tout le monde s’était installé pour regarder un feuilleton qui faisait rire Faizah aux éclats. Jaanah, assise à côté d’elle, riait aussi, la tête légèrement penchée sur son épaule. Kadir, lui, était adossé au mur, son téléphone en main.
Il reçut l’appel alors que les rires résonnaient encore dans la pièce. Le nom de son recruteur s’afficha sur l’écran. Il quitta le salon sans bruit, sortit sur la terrasse et décrocha.
— Kadir, bonne nouvelle. On a besoin de toi pour une mission spéciale. Six autres chauffeurs partent aussi. Ce sera long, plusieurs pays à traverser, beaucoup de marchandises à transporter. Mais très bien payé. Tu vas gagner gros, mon frère.
Le cœur de Kadir s’accéléra.
À suivre