IX

1208 Mots
IXPar une belle matinée de printemps, Merlin errait sur les cimes désertes. De quelque côté qu’il portât ses pas, il se trouvait toujours au milieu du même cercle immense qu’un grand magicien traçait et refaisait autour de lui, à l’horizon, avec des landes, des rochers, des bois, des prés, des blés jaunissants, des sommets bleuâtres. Çà et là un sapin effilé en fer de lance perçait sur l’azur du ciel, à perte de vue, comme un cil noir au bord d’une grande paupière. La mélancolie, les désirs inconnus, l’aspiration vers les cimes lointaines, arrachèrent un soupir à Merlin ; las de poursuivre l’inaccessible horizon, il s’arrêta près d’une source ; ses larmes tombaient goutte à goutte dans la fontaine. Par dépit il y jetait une pierre et il suivait de l’œil, pendant de longues heures, les ondulations qui se succédaient à la surface de l’eau. « Ma vie, disait-il, est plus vaine que ces vains cercles d’écume qui m’amusent un moment et disparaissent pour toujours ; que suis-je venu faire ici ? Hélas ! je ne suis moi-même qu’une ombre. J’aspire à tout, je ne puis rien saisir. » Puis bientôt, passant de l’humilité à l’orgueil, il s’abandonnait à croire que ce monde n’était pas digne de lui, que le Créateur s’était trompé en le jetant sur cette terre indigente, qu’il était fait pour un univers meilleur. Mais ces bouffées de vanité ne duraient pas chez lui. Dans le fond, Merlin était bon, simple, sans prétention ; sa souffrance n’en était que plus vive. Comme il flottait dans ces pensées cruelles, il entendit un concert de voix au milieu de la forêt, et l’idée singulière lui vint que ces voix si douces et emmiellées sortaient des fleurs. Bientôt la réflexion lui montra que des fleurs ne pouvaient parler, encore moins chanter. Il se coucha dans l’herbe neuve, odorante, et il crut entendre un chœur de cigales, où il démêla à peu près ce qui suit : « Ô vous tous qui habitez les forêts et qui les faites résonner de vos voix matinales, dispersez-vous dans les bruyères, dans les chaumes sonores ; allez, annoncez que Viviane se réveille, que le doux éclair de ses yeux a réjoui la terre. « Sentinelles vigilantes, qui vous nourrissez de rosée, allez ! éveillez partout l’abeille paresseuse. Dites, publiez, annoncez que l’herbe a poussé dans la nuit, que le froid hiver s’est enfui, que l’aurore printanière a devancé l’alouette. « Commandez à tout ce qui vit de revêtir sa parure de printemps. Volez, publiez la saison nouvelle. Montez sur les sommets, descendez en sautillant dans les profonds abîmes ; de votre hymne strident évoquez dans les troncs caverneux des chênes, dans les fentes béantes des rochers, dans les rides de la terre, l’insecte sourd qui rôde au milieu de la nuit, el le rossignol devenu muet sous la ramée. « Dispersez-vous à travers les ravins des forêts impénétrables. De vos pieds et de vos ailes aidez les premiers bourgeons à s’épanouir. Déployez au bout des branches le bouton verdissant de l’aubépine et du châtaignier précoce. « Pour nous, qui avons chanté le dernier chœur sur les degrés du temple de Sunium, nous saluons aujourd’hui le printemps nouveau dans les bruyères des Gaules. Nulle d’entre nous ne sait ce qui se prépare. Mais la terre a vraiment une odeur d’encens. « Nous nous levons en sursaut dans la nuit, et nous errons dans les moissons sacrées pour cueillir avant l’aube l’herbe d’or. « Voici, voici notre maîtresse rayonnante qui nous fait signe : elle nous impose silence. Il faut se taire ; maintenant c’est aux dieux de parler. » Merlin fit de nouveau la réflexion que des cigales ne pouvaient parler en chœur. Il rit même de sa crédulité. « Qu’est-ce donc que cet univers ? pensait-il. Quel piége continuel tendu à mes sens ? Je n’en serai plus si aisément la dupe. » Cela dit, il prêta plus attentivement l’oreille ; aucun bruit ne se fit plus entendre. Bientôt Merlin éclata en sanglots. Le cœur accablé de son isolement, il cria de toutes ses forces : « Suis-je seul dans cette immensité ? Toi que j’appelle, où es-tu ? » Une voix répondit ici très-distinctement : « Où es-tu ? » comme si elle sortait du rocher. Cette réponse haletante troubla d’abord Merlin. Il comprit que sa voix avait frappé le rocher, et qu’il n’y avait rien là que le phénomène très-vulgaire de l’écho. Cette découverte, après un moment d’extase, le couvrit de confusion. « Funeste science ! disait-il, voilà donc ce que je te dois : le désenchantement ! Si j’avais conservé ma première ignorance, je croirais que les pierres se sont émues de ma peine. Je ne mourrais pas sans penser qu’un esprit a répondu au mien ! » Et il retombait dans sa contemplation désolée. Cependant il releva les yeux sur la crête de la montagne qui était couverte de noirs sapins, et il vit ou crut voir une femme assise au pied d’un arbre. Elle lui parut radieuse, plongée comme lui dans une rêverie éternelle. Des b****s d’oiseaux sortaient des bois pour venir becqueter dans ses mains. Sa robe avait le même vert que la forêt ; son front était blanc et poli comme la pierre des sommets lavés par de continuels orages. Ses yeux étaient couleur de la violette des champs. Comment des oiseaux sauvages iraient-ils becqueter dans la main même d’une fille de roi ? Avait-on vu que les forêts donnassent à qui que ce fût leur manteau de verdure ? Ce n’était là qu’une parole de poëte brouillé avec la vie ordinaire. Merlin en conclut que l’ennui, l’isolement, le rendaient visionnaire ; que la femme qu’il apercevait de loin n’était qu’un brouillard du matin ; et il faut remarquer, en effet, que la contrée était alors très-boisée, et que cette multitude d’haleines de plantes produisait des fantômes de vapeur sur lesquels eût pu s’abuser un esprit moins avisé que le sien. Le soir, Merlin rentra la tête basse, tout pensif. Il savait que c’étaient là des songes, des fantômes ; il se promettait bien de ne pas leur donner de crédit ; et pourtant, malgré lui, il avait l’esprit plein à la fois de délices et d’un vague effroi. Il ressemblait à une harpe éolienne dont une corde a été effleurée par un génie. Elle résonne longtemps après que l’instrument a été replongé dans son étui sombre, sous une double serrure. Ne pouvant dormir, il réfléchit longtemps sur sa fortune : deux triades ébauchées, quelques vagues prophéties, beaucoup de rêves, c’était là tout son avoir. Quelle fiancée s’en contenterait ? Il savait combien dans ce pays les jeunes filles prisaient haut la richesse, non pour l’or seulement, mais pour le brillant. Et les parents ? C’était bien pis encore. Qui voudrait lui donner sa fille ? S’il n’épousait quelque fée ou dame des bois, il était donc condamné d’avance au célibat presque éternel des hommes de son art ? Cette pensée le navrait. La nuit se passa dans ces réflexions. Le jour l’y surprit encore, un jour triste, brumeux, grisâtre, mais qui pouvait encore devenir radieux, si un souffle d’air dispersait les nuées déjà traversées çà et là de nimbes d’opale et de pourpre.
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