IV

467 Mots
IVL’amour n’avait pas produit dans Merlin son effet ordinaire : il ne l’avait pas rendu oisif. Au contraire, Merlin ne cessait de visiter les contrées voisines pour faire le bien. Tout sentier lui était bon, pourvu que ses yeux rencontrassent Viviane. De son côté, elle ne pouvait le perdre de vue, sans craindre de mourir. À mesure qu’ils cheminaient tous deux, la terre desséchée se couvrait de verdure. On eût dit que les mondes naissaient sous leurs pas. Un jour (moment immortel !), au lever du soleil, ils arrivèrent au bord d’un fleuve aux eaux tranquilles, verdâtres, qui serpentait dans un lit embarrassé d’herbes et de joncs, à travers une forêt de chênes, de bouleaux et de hêtres. Les deux rives étaient couvertes d’ombre et de mystère ; le lieu paraissait inhabité, hormis par des hérons immobiles sur la lisière des marécages et par quelques pics-verts qui, debout contre le tronc des vieux chênes, attendaient qu’une voix d’oracle sortît de la moelle des arbres centenaires. Celui qui a perdu son chemin dans les forêts d’Amérique, celui-là a rencontré des solitudes aussi profondes, sans pouvoir dire si elles resteront le domaine des bêtes sauvages ou si c’est là le berceau d’un peuple naissant. Ce lieu abritera-t-il un nid d’oiseau, d’insecte, une fourmilière ou un empire ? Qui le sait ? Toute la sagesse humaine ne pourrait décider encore entre l’empire et la fourmi. Au milieu du fleuve, nos voyageurs aperçoivent une île boisée, plantureuse, bordée de peupliers qui perçaient un épais brouillard ; elle avait la forme allongée d’une barque dont la proue fend le cours de l’eau. Ils n’y entendirent, en s’approchant, aucun bruit, si ce n’est le gloussement d’une poule et les cris d’une volée de moineaux effrayés qui s’abattaient bruyamment sur un pommier en fleurs. À ce bruit, Merlin tourne la tête ; la brume, dont la terre était enveloppée, venait de s’éclaircir au premier souffle du jour ; elle laissa voir un petit village de chaumine, ramassé au milieu de l’îlot sous le massif frissonnant des aunes. La fumée des cabanes se perdait dans l’air bleu avec la vapeur matinale qu’un beau rayon d’automne achevait de dissiper. « Quel lieu plaisant ! s’écria l’enchanteur, et que je voudrais y aborder ! » Or il y avait justement tout près de là un bûcheron qui venait de couper sa charge de ramée, et il se préparait à entrer dans une barque ; déjà il détachait la corde de chanvre par laquelle elle était liée au rivage. « Prenez-nous avec vous, cria Merlin. — Volontiers, » dit le paysan. Merlin et Viviane s’assirent en souriant dans le fond de la barque, sur la ramée amoncelée. « Quel est ce fleuve ? dit Merlin. — La Seine. — Et ce village ? — Lutèce ! »
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