VIII

460 Mots
VIIIOn ne voyait alors dans la banlieue que bonnes gens semant la justice, récoltant la joie. Par cent portes entrait l’abondance avec ses chariots regorgeants, et par vingt autres la paix. Nul ne convoitait rien, ayant tout à profusion, argent, vivres, habits, repos, et même assez d’amour ! La vanité ne faisait que de poindre ; personne n’eût vendu son âme pour un mot, un denier, un haillon, à peine pour un trésor ! Dans un bassin de marbre ciselé coulait à pleins bords la Seine virginale, où venaient boire les cerfs de Montmartre et de Vincennes, pêle-mêle avec les peuples, pêle-mêle aussi avec les gentilshommes, avec les barons et les rois. Montmartre était abaissé, le marais était élevé. Surènes produisait le vin de Candie. La vieille ville luisait comme une barque d’ivoire sur un fleuve d’argent. Au haut des tours de Notre-Dame, qui n’avait alors pas une ride au front, on lisait : Hic regnum Merlini. Ayant trouvé un nid d’alouettes, non loin de la Seine, il bâtit là une bastille, qu’il entoura par surcroit de fossés et de ponts-levis. « Qui habitera cette forteresse ? » lui demanda-t-on. Nous ne voyons ici ni toits de truands, ni moustier pour les moines, ni donjon pour le roi ! — Le plus beau des nouveaux-nés ! répondit Merlin. Mais vous, soyez sa meilleure forteresse. — Et quel est ce nouveau-né ? — La liberté, dit l’enchanteur ; elle ne fait que de naître. Écoutez-la qui pleure et se lamente ! Prenez garde qu’on ne vous la change en nourrice. Bonnes gens, voici des langes tissus de mes mains et marqués de mon nom. » Puis il leur remit en même temps les clefs qui étaient d’or pur ciselé et bosselé. « La liberté ? répondirent-ils ; le nom est doux et plaisant. Nous ne l’avons jamais vue, ni rencontrée, ni touchée. À quoi la reconnaîtrons-nous ? — À ces langes de lin, à ce bracelet d’or fin. » Des méchants l’ayant entendu, profitèrent seuls de ces paroles. Ils allèrent chercher dans la campagne un enfant égaré, velu, hideux, quelque fils, je pense, de Caliban. Après l’avoir vêtu des langes de lin, ils lui mirent un bracelet d’or fin au bras, et ils le firent entrer la nuit dans l’enceinte, à la place du nouveau-né annoncé par Merlin. Pour celui-là ils l’emportèrent dans les bois, afin de le faire périr ; et le peuple ne s’aperçut pas de la différence. Il nourrit de sa sueur l’enfant supposé, comme il aurait choyé le véritable, peut-être mieux encore. « C’est étrange ! disaient-ils quelquefois, comme il mord sa nourrice ! » Les plus honnêtes n’osaient en dire davantage ; il eût fallu des siècles pour imaginer que c’était là un enfant supposé.
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