Chapitre1

1662 Mots
Sous les éclats dorés des lustres et la musique langoureuse du bal, les mots de Graham tranchèrent l’air comme une lame glaciale : — Tu es ravissante, Zoé. Ces paroles, prononcées avec une tendresse que je n’avais pas entendue depuis des semaines, ne m’étaient pas destinées. Elles étaient pour Zoé Muller. L’atmosphère se figea aussitôt. Je sentis les regards peser sur moi, lourds de pitié et d’embarras, tandis que je demeurais là, figée, incapable d’esquisser le moindre mouvement. Les conversations s’éteignirent peu à peu, remplacées par un silence gêné qui semblait vibrer autour de moi. — Tu n’as pas l’air bien, Luna Kylie, murmura Ginger en me tendant un verre de limonade. Bois, je t’en prie. Je pris la coupe d’une main tremblante. Comment pouvais-je seulement avoir bonne mine alors que mon cœur se brisait à l’intérieur ? Mon mari, mon compagnon, celui qui avait juré devant la Déesse de la Lune de ne jamais aimer qu’une seule femme, valsait sous les yeux de tous avec Zoé Muller — son amour de jeunesse, la fille du Beta de son père. Le rire cristallin de Zoé s’éleva dans la salle. Elle me jeta un regard triomphant avant de poser sa tête contre la poitrine de Graham. Il se pencha vers elle, lui murmura quelque chose à l’oreille, puis déposa un b****r sur ses lèvres. Devant tout le monde. Devant moi. Je sentis mes doigts se crisper sur le verre, mais je gardai le sourire, au moins en apparence. Ce soir devait être une fête : notre deuxième anniversaire de mariage. Mais depuis que Zoé était revenue dans nos vies dix jours plus tôt, tout avait changé. La distance entre Graham et moi s’était creusée à une vitesse vertigineuse. — Merci, Ginger, murmurai-je d’une voix étranglée, retenant mes larmes. Je me rappelai la première fois que j’avais entendu parler de Zoé. Lorsque le père de Graham, l’ancien Alpha Johan, avait pressé son fils de prendre épouse, son choix s’était naturellement porté sur elle. Mais Zoé, capricieuse et ambitieuse, avait rejeté sa proposition, prétextant qu’elle aimait un autre — Alpha Liam, de la meute Fourrure Brune. Elle avait quitté Graham sans un regard en arrière, pour se précipiter vers une union plus prestigieuse. À cette époque, j’étais une jeune diplômée de vingt-deux ans, encore pleine de rêves et de projets. C’est lors d’une réception organisée par mon père pour célébrer ma réussite que le destin avait scellé ma vie : Graham Silas, futur Alpha de la meute Luna, avait ressenti le lien du destin. Moi aussi. Ce soir-là, tout avait commencé. Nous nous étions unis quelques mois plus tard. J’étais alors Kylie Kennedy, héritière de la meute Nightbloom, et j’étais devenue Luna de la meute Luna. Grâce à mes études en commerce, j’avais aidé Graham à redresser ses affaires et à renforcer notre meute. Lorsque mon père mourut l’année suivante, nos deux clans fusionnèrent, consolidant notre pouvoir. J’étais fière de ce que nous avions construit ensemble. Mais deux mois plus tôt, à la mort d’Alpha Johan, tout s’était effondré. Graham, devenu Alpha à son tour, s’était métamorphosé. Et Zoé était revenue, telle une ombre du passé, se glissant dans sa vie avec un sourire chargé de souvenirs. Cette réception, censée célébrer notre union, n’était qu’un spectacle cruel destiné à proclamer son retour. Une démonstration publique où Zoé brillait à mes dépens. — Déesse, tu m’as tellement manqué, Graham, gémit-elle en feignant les larmes. Depuis que je suis de retour, chaque minute loin de toi m’est insupportable. Elle posa sa tête contre son torse tandis qu’il caressait lentement son dos. Puis, relevant les yeux vers moi, elle eut un sourire provocateur. — Je veux arranger les choses, moi aussi, murmura-t-elle d’une voix douce. Arrange quoi ? Mon humiliation ? Mon mariage ? Je sentis une bouffée de rage brûler dans ma poitrine. Non. Je ne pouvais pas le laisser faire. Je m’avançai vers eux, le dos droit, le sourire figé. — Zoé, dis-je calmement, ce sera sans doute difficile pour toi, mais comme tu peux le constater, Alpha Graham est mon compagnon et mon mari. Il n’y a pas de place pour une troisième personne dans cette union. Peut-être devrais-tu songer à régler tes différends avec Alpha Liam. Je me tournai vers Graham, mes yeux plantés dans les siens. — N’est-ce pas, mon amour ? Le silence tomba sur la salle. Zoé, blême, resta immobile avant d’éclater en sanglots. Puis, dans un cri aigu, elle s’enfuit hors du bal. — Zoé ! cria Graham en la suivant du regard. Dans ma tête, la voix de ma louve, Coral, grondait furieusement. Laisse-moi sortir. Je vais la réduire en lambeaux. Je pris une profonde inspiration pour la calmer. — Ce que tu fais là est inacceptable, Graham, soufflai-je. Il se tourna brusquement, son regard flamboyant de colère, mais ne répondit pas. Plus tard, quand la fête s’acheva, il quitta la salle sans un mot. Je crus d’abord qu’il rejoignait notre chambre. Mais lorsqu’il tourna dans le couloir des invités, mon cœur se serra : il se dirigeait vers la chambre où Zoé logeait. — Graham ! criai-je. Il se retourna, me lança un regard plein de menace et grogna, un son guttural qui fit frissonner ma louve. Je m’arrêtai net. Il entra et claqua la porte derrière lui. Cette nuit-là, je ne dormis pas. J’attendis. Chaque minute semblait une éternité. L’obscurité du plafond pesait sur moi comme un couvercle. Quand la douleur arriva, elle fut brutale : une brûlure au ventre, si intense que je tombai à genoux. J’eus à peine la force de me traîner jusqu’à la salle de bain avant de vomir. Après de longues minutes, la douleur s’apaisa. Je levai les yeux vers le miroir. Mon reflet me parut étranger : visage pâle, cernes sombres, maquillage ruiné. Les larmes ruisselaient sans fin. Et soudain, je compris. Ce que je ressentais n’était pas une maladie. C’était la marque de la trahison. Dans le monde des loups, lorsqu’un compagnon s’unissait à une autre après t’avoir marqué, la Déesse infligeait cette douleur à celle ou celui qui avait été trahi. Une souffrance si vive qu’elle brûlait le lien d’âme lui-même. Mais pourquoi punir la victime ? Pourquoi moi ? J’aurais voulu qu’Alpha Johan soit encore là. Il m’aurait défendue. Il aurait parlé raison à son fils. Je restai des heures à pleurer, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien de mes larmes. Puis, lentement, une autre émotion prit la place du chagrin : la détermination. Je ne laisserais pas Zoé détruire tout ce que j’avais construit. Je me lavai, m’habillai avec soin. J’enfilai une robe de soie couleur aigue-marine — la teinte que Graham disait adorer —, tressai mes cheveux blonds, accentuai le vert de mes yeux d’un peu de mascara. Si Zoé voulait jouer à ce jeu, je ne serais pas la femme faible qu’elle imaginait. Lorsque je descendis pour le petit-déjeuner, les omégas baissèrent les yeux en me voyant passer. Leurs visages trahissaient la compassion, ou peut-être la pitié. Je les ignorai et me dirigeai vers l’aile des invités. Deux gardes montaient la surveillance devant la chambre. — Luna Kylie, dit l’un d’eux en s’interposant. Vous ne pouvez pas entrer. Ce sont les ordres de l’Alpha. — Je suis sa femme, la Luna de cette meute, répondis-je d’un ton tranchant. Vous n’avez pas autorité pour m’empêcher d’entrer. Le garde échangea un regard nerveux avec son compagnon. — Je suis désolé, Luna. L’Alpha a ordonné que vous deviez prendre rendez-vous avant de le voir. Je le dévisageai, incrédule. — Un rendez-vous ? Avec mon propre mari ? À cet instant, Beta Asher arriva, mal à l’aise. — Luna Kylie, dit-il d’une voix rauque, l’Alpha est… très occupé. Peut-être pourriez-vous déjeuner avec lui plus tard ? — Asher, tu n’oses pas… Je n’eus pas le temps de terminer. Un bruit étouffé s’éleva de l’intérieur de la chambre. Puis une voix, haletante, reconnaissable entre toutes : — Plus fort, Graham… plus fort ! La douleur me frappa de plein fouet, m’arrachant un cri. Je pliai en deux, incapable de respirer. — Luna Kylie ! s’écria Asher en me rattrapant avant que je ne tombe. Il me souleva dans ses bras et m’emporta jusqu’à ma chambre. — Je vais chercher le médecin, dit-il en m’allongeant sur le lit. La porte se referma derrière lui, me laissant seule dans le silence. Et dans ce silence, je compris que quelque chose s’était brisé pour de bon — dans mon mariage, dans mon cœur, dans mon âme de louve. Le temps semblait se dérouler au ralenti, et pourtant deux jours s’étaient écoulés sans qu’un pas de Graham ne franchisse l’entrée de notre chambre. La douleur qui me tenaillait l’abdomen augmentait par vagues, me coupant le souffle et me plongeant dans des réflexions qui tournaient en boucle : pourquoi Zoé avait-elle refait surface dans nos vies ? Qu’est-ce qui l’avait poussée à fuir Alpha Liam pour revenir vers Graham ? Je brûlais d’apprendre la vérité afin d’en tirer les armes nécessaires pour contrer cette invasion. Il me suffisait d’une seule erreur de sa part pour faire vaciller les certitudes de Graham. Était-il si ébloui par elle qu’il ne voyait pas la logique qui la menait d’un alpha à l’autre ? Si Zoé l’aimait vraiment, pourquoi l’avait-elle abandonné auparavant ? N’avait-il jamais remarqué ses allées et venues, ses calculs, son goût pour le confort du pouvoir plutôt que pour la loyauté ? Autant de questions qui restaient sans réponse dans cette meute où, désormais, j’étais isolée. Personne ne venait à mon secours. Beta Asher, fidèle à l’Alpha, affichait une neutralité glaciale qui masquait mal son choix. Les servantes et les guerriers ricanaient derrière mon dos, nourrissant des rumeurs cruelles — je n’arrivais pas à garder mon mari, j’étais devenue la femme faible du domaine. Les épouses des conseillers cessaient de m’inviter, et des réceptions où ma présence était attendue furent annulées. Chaque sourire détourné, chaque porte fermée creusait un peu plus le fossé. Pro
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