II

3066 Mots
IIArrive de Brest un capitaine, Œil malicieux, sourire amène. Il est venu mener l’enquête Et, malgré lui, faire des conquêtes… — Le Gac ? Adrien sursaute à l’apostrophe de l’homme arrivé sans bruit derrière lui. — Cool, mec, ne sors pas ton flingue ! Moi c’est Fratello, Éric, mais tout le monde m’appelle Rico. C’est la première fois que tu viens à Quimper ? — Pour mener une affaire, oui, mais j’ai travaillé à plusieurs reprises en collaboration avec vos équipes, par téléphone ou mail. — OK ! C’était pas avec moi alors, jamais entendu parler de toi avant ce matin. T’aurais dû passer par l’entrée des artistes, sur le côté. Là, on va devoir traverser tout l’étage. Air outrecuidant de l’habitué qui s’amuse à faire lanterner le nouveau venu en ne délivrant les informations qu’au compte-gouttes. — Tu me montreras le raccourci plus tard. Mon supérieur m’a appelé à six heures ce matin pour m’ordonner de me présenter ici, au commissaire Montcharrois. N’ayant aucune grosse affaire en cours à Brest, j’ai été désigné d’office pour venir donner un coup de main sur une histoire de décès aux origines suspectes. — Montcharrois est certainement reparti se pieuter après avoir fait les constatations d’usage et lancé l’enquête. Moi, j’ai juste trouvé une note sur mon bureau pour m’indiquer ton arrivée et que nous bosserions ensemble. Je ne comprends pas qu’on t’ait fait rappliquer de Brest pour ça, j’aurais aussi bien pu m’en sortir tout seul ! Fratello guide Le Gac dans les couloirs du commissariat quimpérois jusqu’à un meuble chargé d’un fourbi hétéroclite, dossiers abandonnés, boîtes vides et autre matériel vétuste, voire inutilisable. — Tiens ! Celui-ci est dispo, tu te mettras là. Je te laisse t’installer, t’es un grand garçon, tu te démerdes. Ensuite, tu viendras me retrouver que je te briefe, ma place est plus loin… Et Rico plante son collègue. Adrien dégage un espace suffisant pour poser sa sacoche sur le bureau encombré et entreprend de ranger le reste afin de pouvoir travailler, lorsqu’un homme bedonnant et de forte carrure pénètre dans la pièce. — Le Gac ? Qu’est-ce que vous foutez ? — Ah ! Bonjour Commissaire. Le capitaine Fratello m’a trouvé cette place pour… — Capitaine ? Fratello n’est que lieutenant. Vous êtes son supérieur. — Il ne m’a pas indiqué son grade et s’est juste présenté par son nom, donc j’ai cru… Montcharrois lève la main pour stopper Adrien, inutile d’en dire plus. Sa voix forte tonne dans tout l’étage du bâtiment : — Fratello ! Ici, tout de suite ! L’interpellé arrive aussitôt, l’air nettement moins arrogant. — Oh ! Bonjour Commissaire. Je ne m’attendais pas à ce que vous soyez revenu aussi tôt… — Et donc, vous en avez profité pour prendre vos aises avec le capitaine Le Gac. Si j’ai demandé à la PJ brestoise de me prêter un officier, ce n’est pas pour faire le ménage, chose que je vous avais d’ailleurs ordonné plusieurs fois de faire auparavant. Vous allez immédiatement trouver une place correcte pour votre supérieur, et de préférence pas trop éloignée de vous, afin qu’il puisse surveiller que vous n’êtes pas en train de glander ! Avez-vous au moins pris connaissance des premières constatations ? — Bien sûr, Commissaire. J’ai parcouru vos notes et je m’apprêtais à les transmettre au capitaine… Montcharrois tend une nouvelle feuille au lieutenant. — J’ai recopié là les premières remarques du légiste ; il m’a promis un rapport complet dans l’après-midi. Le Gac, en cas de besoin, mon bureau se situe à l’étage supérieur. Et n’hésitez pas à secouer Fratello, je n’ai trouvé que cette méthode pour le rendre un tant soit peu efficace… Le commissaire reparti, Rico donne les ordres pour installer le capitaine à proximité. Pendant que ses subalternes s’activent, le lieutenant conduit Adrien en salle de réunion pour lui présenter l’affaire : une maison vide du vieux Quimper, les voisins qui entendent un fort craquement et, peu après, les hurlements d’hommes qui s’enfuient en courant. — On a envoyé une voiture. En constatant l’effraction, les bleus ont senti l’odeur provenant de l’intérieur. Ils ont cru qu’il y avait un animal crevé, un gros rongeur, genre ragondin ou un truc comme ça – une rivière coule pas loin, alors une bestiole aurait pu en sortir, pénétrer on ne sait pas comment dans la baraque et clamser là. Un gars est entré pour vérifier et il a découvert le corps. Il paraît que c’était à gerber. D’ailleurs, il ne s’est pas gêné pour le faire, et même plusieurs fois. Il ne s’en est pas encore remis, une petite nature… — Et donc, tu as été appelé sur place… — Ben… normalement, oui, c’est moi qui aurais dû m’y coller, j’étais d’astreinte, mais, avant-hier, j’ai fait un poker qui s’est terminé bien tard. Du coup, j’ai coupé mon portable, pas envie d’être réveillé pour une histoire à la con qu’un simple brigadier peut régler. En général, le jeudi, c’est calme par ici, pas comme à Brest avec les soirées étudiantes. Mais là, j’ai merdé grave : le nuiteux n’a pas réussi à me joindre, alors il a appelé le commissaire direct… — Connaît-on l’identité du mort ? La porte de la salle de réunion s’ouvre à ce moment et Montcharrois passe juste la tête. — Au fait, Le Gac, le défunt avait ses papiers sur lui, mais je n’ai pas pensé à noter les données. Je ne m’étais pas rendu ainsi sur le terrain depuis bien longtemps, j’ai perdu les réflexes pourtant basiques. Appelez l’IJ1 afin qu’ils vous transmettent ces informations, il faudra prévenir la famille… — Je m’en charge, Monsieur, je vais passer les ordres… Regard étonné du commissaire : quelle grosse bêtise Fratello a-t-il à se faire pardonner pour devenir aussi zélé ? Profitant de son absence, Montcharrois continue l’énoncé des faits : — Le plus étrange est que la maison était entièrement vide : plus un meuble ni un tapis, rien de rien. L’explication a été fournie par les voisins qui nous ont appelés, suite aux hurlements : la propriétaire de cette demeure est décédée en février 2012 et, depuis, la succession est en cours. Ils m’ont indiqué l’étude notariale en charge de ce dossier, il se trouve que c’est un bon ami. Donc je me suis permis de le joindre tôt ce matin afin de lui demander les coordonnées des héritiers. Il s’agit des frères Person, Christian et Philippe, qui ont été prévenus et qui ne devraient pas tarder à se présenter ici. Rico revient, l’air satisfait. — J’ai récupéré le nom et l’adresse, et j’ai mis Yvon sur la recherche des proches à avertir. — Parfait ! Il semble que la présence de Le Gac vous rende particulièrement efficace, Fratello. Je vous laisse donc continuer… Le commissaire est déjà reparti. Rico reprend : — Pour la cause de la mort, le légiste n’a pas pu assurer qu’il soit question d’un crime, mais Jean-Louis m’a raconté que les salauds qui ont fait ça se sont amusés à lui enfoncer un tube dans la gorge pour l’étouffer. Le Gac a rapidement parcouru les notes manuscrites laissées par Montcharrois. — Où est ce Jean-Louis si bien renseigné ? Et sur quels indices se base-t-il pour déterminer que les éventuels agresseurs étaient plusieurs ? Quant au « tube », il s’agit d’une bombarde et, d’après les premières constatations, le corps ne comporte aucune trace permettant d’affirmer que la victime a été maintenue de force pour cela. — Ben… c’est Jean-Louis qui a dit. Il a vu le macchabée, donc il doit bien savoir ! Le Gac ne cherche pas à poursuivre sur ce sujet : même au sein d’un commissariat, les rumeurs se répandent vite. On frappe à la porte : un agent vient prévenir Fratello que les propriétaires de la maison attendent à l’accueil. Adrien répète au lieutenant les explications données par Montcharrois sur le bon ami notaire qui s’occupe de la succession. — C’est plutôt avec la femme de Tornarec que le commissaire est “bon ami”, si tu vois ce que je veux dire. Tous les jeudis, en début d’après-midi, notre cher supérieur s’offre une longue pause qui, curieusement, correspond exactement avec les horaires de golf de son pote, le notaire. Si tu as des trucs à réclamer, c’est à ce moment-là qu’il faut t’adresser à lui, il revient toujours euphorique de sa sieste crapuleuse… Afin de se familiariser avec les lieux, Le Gac choisit de descendre lui-même pour prendre en charge les personnes. Il trouve là deux couples de quinquagénaires : la ressemblance des deux hommes ne laisse aucun doute sur leur lien de parenté : — Bonjour ! Messieurs Person, je suppose. Je suis le capitaine Adrien Le Gac. Êtes-vous bien les propriétaires de la maison située rue Saint-Nicolas ? Avant que l’un ou l’autre des interrogés n’ait pu ouvrir la bouche, la femme accrochée au bras du plus jeune intervient : — Christian n’est propriétaire qu’à cinquante pour cent, le reste appartient à mon mari ! Quel est le problème ? Parce que s’il faut payer quelque chose… Le capitaine lève la main pour stopper le flot de paroles et tâche de reprendre les rênes de l’opération : — Je vais essayer de vous l’expliquer, mais, d’abord, vous devrez m’accompagner à mon bureau afin que je puisse noter vos réponses. Par contre, je ne suis pas sûr de disposer d’assez de place pour vous, Mesdames. Vous attendrez vos maris ici… Regard affolé de la première et courroucé de la seconde, chacune s’agrippant au bras de sa moitié respective ; impossible de se débarrasser d’elles. Tout le monde suit donc Le Gac pour le trajet retour dans les couloirs et escaliers du bâtiment – progressivement, le capitaine adopte les lieux. Il retrouve son bureau dans lequel Fratello case avec difficulté deux chaises supplémentaires. Le Gac s’installe à son clavier et commence par relever l’identité de chacun des frères. — Ainsi, la succession n’étant pas close, la demeure de la rue Saint-Nicolas vous appartient autant à l’un qu’à l’autre. Est-ce bien cela ? Les deux hommes hochent la tête simultanément. — Depuis combien de temps dure cette situation ? La femme ayant répondu à l’accueil se charge à nouveau de parler à la place des principaux concernés : — Ma belle-mère est morte il y a quatorze mois maintenant, et nous n’arrivons pas à nous mettre d’accord : moi, je dis qu’il faut s’en débarrasser, cet héritage ne nous apportera que des problèmes ! Mais ces deux-là rêvent de la transformer en maison d’hôte, parce qu’il paraît que ça marcherait bien. Ils n’imaginent pas la quantité de travail que cela représente. Toutefois, je suis d’accord, tant qu’ils me payent la moitié de la valeur estimée. Ils prétendent qu’ils ne pourront pas assumer à la fois le prêt pour l’acheter et le montant des aménagements nécessaires pour la rendre agréable, et voudraient que nous participions, mais cela est hors de question ! Préférant éviter la réponse de l’équipe adverse, Le Gac enchaîne : — De quand date votre dernière visite là-bas ? Étonnement dans les regards, suivi d’une grande brume : ce n’est certes pas récent. Le plus âgé des frères prend la parole : — Nous avons récupéré tous les meubles qui s’y trouvaient, en faisant le partage. C’était il y a environ un an ; j’ai toujours dans mes dossiers la facture pour le véhicule de location que nous avons alors utilisé, je pourrai donc vous renseigner plus précisément en la consultant. Depuis, pour ma part, je n’y suis pas retourné. La femme jusqu’alors muette prend la parole : — Nous nous y sommes rendus il y a dix ou onze mois, pour estimer une mise en état afin de transformer les lieux. Ensuite, il nous fallait l’accord de ceux-ci, mais ils font obstruction au projet. Donc… Le Gac regrette que cette famille ait été convoquée aussi tôt. N’ayant pas encore assez de connaissance du sujet pour poser des questions pertinentes, il préfère passer directement à l’essentiel : — Avez-vous l’un ou l’autre donné ou prêté les clefs de votre maison à quelqu’un ? Réponse unanime des deux couples : non, pourquoi auraient-ils fait cela ? — Par exemple, vous auriez pu la laisser à un ami, pour qu’il puisse l’utiliser temporairement lors de travaux chez lui, ou à des ouvriers, afin qu’ils établissent le devis concernant les rénovations nécessaires… Confirmation de l’assemblée : les clefs n’ont pas quitté les tiroirs où elles ont été rangées. Le capitaine en vient enfin à l’explication : — Il se trouve que, ce matin, le cadavre de monsieur Yannick Moysan a été découvert dans votre maison. Je n’ai pas encore de photo de la victime à vous présenter, pour vous demander si vous le connaissiez, mais avez-vous la moindre idée de qui cela peut être ? L’effarement se lit sur l’ensemble des visages, et les têtes font toutes le même signe de dénégation : il semble que le mort n’ait pas été invité par la famille. Le capitaine les remercie et charge Fratello de les raccompagner à l’accueil. Montcharrois reparaît, pour prendre des informations. Le Gac fait un résumé de l’entrevue et du conflit familial à propos de la demeure, et surtout que personne ne sait ce que la victime faisait là. — Le rapport préliminaire de l’IJ vient d’arriver, vous demanderez à Fratello de vous le retransmettre. En gros, ce gars s’est glissé par un soupirail pour entrer, il n’a jamais utilisé la porte. Les seules traces de pas qui ont été relevées sont celles des deux cambrioleurs. La police scientifique a encore des tests à effectuer sur des objets découverts sur place. Le cadavre avait également ses clefs dans ses poches, vous pourrez les récupérer pour aller faire un tour chez lui… Le commissaire est déjà reparti lorsque Fratello revient enfin, un gobelet de café fumant à la main. — Oh ! Excuse-moi, j’ai oublié de te demander si tu voulais que je t’en rapporte un… — Pas grave, on n’a pas vraiment le temps… Yvon a-t-il obtenu des informations sur la victime ? Fratello appelle son collègue pour récupérer les renseignements : ni femme ni enfant. Les parents ont été prévenus et convoqués. Le Gac se lève. — J’espère que ton café n’est pas trop chaud, tu vas devoir le descendre cul sec et me conduire d’abord à l’IJ pour prendre les clefs trouvées sur le cadavre, puis rue Saint Nicolas ! Tout comme toi, je meurs d’envie de visiter ces lieux… * * * Rue Saint-Nicolas, Le Gac commence par inspecter le soupirail et ses alentours. Il découvre rapidement les traces de l’effraction : propre et discrète, impossible à remarquer si l’on n’observe l’ouverture que de loin. Avant d’entrer, Adrien s’étale sous le nez une épaisse couche de crème mentholée très odoriférante, sous le regard amusé de Fratello. Le capitaine propose le tube à son subordonné, mais, bravache, celui-ci refuse : — C’est bon maintenant ; le corps a été emporté il y a plusieurs heures, je ne suis pas une gonzesse ! À l’intérieur, le lieutenant regrette immédiatement sa fanfaronnade : même enlevé, le cadavre a laissé derrière lui une puanteur tenace, écœurante à l’extrême, impossible à ignorer. Malgré la barrière de pâte parfumée, les miasmes putrides parviennent à passer. Fratello ressort en courant, la main sur la bouche. Au centre de la pièce principale, une silhouette tracée à la craie signale emplacement et position de la victime. Plusieurs marqueurs numérotés indiquent les endroits où des objets ont été ramassés. Le Gac prend les photos récupérées aux laboratoires de l’Identité Judiciaire. Au 2, un petit projecteur sur batterie : l’électricité du bâtiment est certainement coupée depuis le décès de la propriétaire, et l’homme avait besoin de lumière pour son activité. L’interrupteur de la lampe portative était sur “Marche”, mais, bien sûr, les accus sont vidés depuis longtemps. Contre le mur, au marqueur 3, un sac à dos avec quelques affaires : canette de bière, paquet de biscuits, boîte pour ranger la bombarde, ainsi qu’une pince et un tournevis, sans doute les outils utilisés pour forcer le soupirail. Et là, près du corps en position 1, l’objet le plus étrange, un bouchon de liège percé prolongé d’un tube métallique sur lequel sont montées deux fines lames de roseau bombées : une anche de bombarde. Enfin, indicateur 4, un classeur souple contenant des partitions, appuyé au havresac. Par acquit de conscience, le capitaine fait le tour de la demeure, constatant qu’en effet, tout a été vidé. À la cave, il retrouve les traces laissées par le passage de la victime ; comme l’a décrit l’IJ dans son rapport, celui-ci s’introduisait dans la maison par le soupirail, prenait l’escalier et s’installait au milieu de la grande pièce pour jouer de la bombarde, ce que semble confirmer le lecteur MP3 et son casque auriculaire découverts dans ses poches ; gavottes, andro, valses écossaises, marches, un ensemble d’airs généralement interprétés par un bagad y est enregistré. Adossé au mur face à l’entrée, Fratello s’amuse avec son téléphone lorsque Le Gac ressort. — Tu n’aurais pas dû me presser comme ça, m’obliger à avaler mon café d’un coup et ensuite à fond dans les couloirs. C’est ça qui m’a barbouillé. Pas la peine de se magner autant, ça ne fera pas ressusciter ton macchabée ! Le capitaine referme soigneusement la porte et remet en place les scellés, préférant ne pas répondre à la mauvaise foi de son collègue. Lorsque les policiers redescendent la rue Saint-Nicolas, le porche de la propriété située en aval s’ouvre pour laisser sortir un couple de personnes âgées, visiblement des touristes équipés pour déambuler dans Quimper. D’ailleurs, l’élégante femme blonde qui les accompagne sur le seuil leur indique en anglais le chemin à emprunter pour rejoindre le musée des Beaux-Arts. Profitant de l’occasion, Adrien s’approche et présente sa carte tricolore. — Bonjour Madame, capitaine Le Gac, de la Police Judiciaire. — Bonjour Capitaine. Depuis le cambriolage, il y a eu beaucoup de passage dans notre petite voie d’habitude si calme… — Nous ferons notre possible pour ne pas vous perturber trop longtemps. Est-ce vous qui avez prévenu mes collègues cette nuit ? — Oui, à mon grand regret ! Lorsque j’accueille des clients, je préfère autant que possible leur éviter ce genre de désagrément, mais là, il nous était difficile de ne pas le faire : d’abord, ce craquement qui nous a réveillés en sursaut. J’ai eu peur que l’on ne vienne cambrioler ma gentilhommière ! Bernard, mon mari, est parti chercher la canne à pommeau que l’un de nos anciens visiteurs a oubliée dans sa chambre : elle est très lourde et aurait pu lui servir d’arme, Bernard pratiquait la savate dans sa jeunesse, sinon nous n’avons rien pour nous défendre. Mais, ensuite, il y a eu ces hurlements, au moins deux hommes, et un bruit de cavalcade, comme s’ils fuyaient le diable lui-même… Je n’étais pas rassurée, mais Bernard a insisté pour sortir voir, et a constaté que la porte de la maison Person avait été fracturée. Nos hôtes étaient déjà réveillés et s’étaient levés pour s’enquérir de ce qui se passait, donc nous avons préféré vous appeler afin de signaler ce méfait… — Saviez-vous que cette demeure était totalement vide ? — Bien sûr. Nous avons même donné un peu d’aide à Christian et Philippe lors du déménagement. En remerciement, ils nous ont d’ailleurs cédé à prix intéressant quelques petites choses bien utiles pour la décoration de mes chambres… — Je suppose que vous avez été prévenue de la macabre découverte… La grimace sur le visage de la maîtresse de maison confirme la présomption du capitaine, mais la femme ne peut apporter davantage d’informations concernant ce squatter particulier. Elle raconte la bombarde que l’on entendait le soir, une ou deux fois par semaine depuis quelques mois, et qui a soudain cessé… — Dommage, j’avais bien travaillé mon récit de fantôme, en anglais et en italien ; pour l’allemand, j’ai encore des difficultés avec leurs mots trop longs. J’ai demandé à Bernard d’étudier un moyen d’installer des petits haut-parleurs discrets dans le jardin, diffusant en sourdine une musique de bombarde, les soirs où je reçois des hôtes à qui conter la légende. Quoique je n’aie pas besoin de celle-là, ce lieu est rempli de mythes, parfois véridiques… Et la femme de raconter sa rue ayant servi de cadre au film Les fantômes du Chapelier de Claude Chabrol, sa « gentilhommière » à la façade inscrite aux monuments historiques. Adrien aurait apprécié pouvoir continuer à écouter l’évocation des anciennes paroisses de Quimper, mais les trépignements de Fratello le rappellent au temps présent. Le capitaine remercie la propriétaire de la maison d’hôte et rejoint son collègue, déjà parti. — Quelle conscience professionnelle ! Tu es donc si pressé d’aller visiter l’appartement de la victime ? — Je me faisais chier, c’est tout ! Elle est gonflante, celle-là, avec sa gentilhommière. Elle ne peut pas dire « ma baraque » comme tout le monde… Sans chercher à discuter, les deux hommes reprennent la rue des Gentilshommes en direction du Steïr, la rivière qui traverse le nord de Quimper et longe la rue de Pen Ar Steir où est garée la voiture. 1 Identité Judiciaire, la police scientifique.
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