Gabrielle
Cela faisait trois jours que monsieur Koffi était parti, et je devais reconnaître que son absence me rendait plus sereine. Il m’adressait rarement la parole, ce qui n’empêchait pas une certaine gêne persister quand il était là.
J’avais malgré tout l’impression d’être constamment sous surveillance. Nous nous croisions rarement, mais il semblait scruter chacun de mes faits et gestes, ce qui était tout à fait compréhensible. Après tout, je gardais ce qui lui était le plus précieux : ses enfants.
J’étais assise dans la salle dédiée aux travaux scolaires des enfants, surveillant leurs devoirs.
- Nathalie, tu devrais reposer ce téléphone et finir tes devoirs. Je te l’ai déjà dit plusieurs fois, lançai-je d’une voix cette fois plus sévère.
- Et pourquoi ? Je ne vois pas en quoi cela m’empêche d’étudier.
- C’est une question de concentration. Il te distrait.
- Peut-être, mais c’est mon choix, lança-t-elle d’un ton désinvolte.
Je comptai jusqu’à dix avant de parler, d’une voix calme mais ferme.
- Nathalie, tu vas reposer immédiatement ce téléphone sur la table et finir tes devoirs.
Elle releva la tête et me fixa un bref instant, une lueur de défi dans les yeux, avant de le reposer enfin sur la table. Je poussai un soupir de soulagement à ce geste.
Son père avait promis de lui parler, mais je ne pense pas qu’il ait vraiment pris la peine de le faire. Il était toujours tellement pris. Il essayait d’être présent pour ses enfants, mais c’était évident que son travail l’absorbait énormément. À son attitude, je pensais qu’il croyait que le personnel de maison pouvait se substituer à lui, à sa présence, à son éducation.
Les enfants étaient très liés à lui, mais en même temps, je lisais dans leur regard un respect mêlé de crainte. Il suffisait qu’il leur lance un regard sévère pour qu’elles se tassent. Il avait voyagé trois jours après notre discussion, et à l’attitude de Nathalie, je doutais fort qu’il ait eu le temps de lui parler. Je ne les avais pas vus se retirer ensemble pour quelques minutes. Il avait certainement remis cette discussion à son retour.
- Gabrielle, s’il te plaît, je peux dormir dans le même lit que Léonie ? demanda Merveille, une supplique dans la voix.
J’étais dans la chambre avec les filles. C’était l’heure du coucher, et le retour de leur père était prévu pour le lendemain.
- Hum… je réfléchis encore, fis-je, le pouce sur le menton, faisant mine de réfléchir.
- S’il te plaît, s’il te plaît, insista cette fois Léonie.
- À une condition : que vous fassiez vous-mêmes le lit demain matin, répondis-je finalement.
Elles se fixèrent un bref instant avant d’acquiescer de la tête. Je fus soulagée sur le coup, car j’avais craint une mauvaise réaction de leur part. Elles avaient été élevées comme des petites princesses, ne faisant pratiquement rien de leurs dix doigts, à part étudier.
- Allez, ouste, couchez-vous alors. Quel lit préférez-vous ? demandai-je.
- Le mien ! hurla Léonie.
- Celui de Léonie ! renchérit Merveille.
Elles coururent se jeter sur le lit de Léonie en riant de bon cœur. Je vins vers elles pour les aider à arranger la couverture.
- Bonne nuit, les filles, dis-je d’une voix douce.
- Bonne nuit, Gabrielle, répondit Léonie, et à ma grande surprise, elle me prit dans ses bras et me serra contre elle.
Je refermai chaleureusement les bras autour d’elle. Quand je me détachai, Merveille, après un bref moment d’hésitation, me serra fort à son tour. Je lui fis un léger bisou sur la tempe avant de me retirer.
J’avais comme un nœud à la gorge et préférai éviter de parler, sentant une émotion m’étrangler. C’était la première fois qu’elles manifestaient ainsi leur affection envers moi, et pour être totalement sincère, c’était la première étreinte sincère que je recevais depuis des années.
Le geste spontané de Léonie me fit réaliser que j’étais vraiment sur la bonne voie. Quant à Merveille, elle gardait une certaine réserve naturelle. Je l’avais remarqué dès le premier jour avec son père : elle se lâchait vraiment seulement en compagnie de Léonie. Même avec Nathalie, elle ne semblait pas totalement se laisser aller. Je ne cessais de me demander à quoi cela pouvait être dû.
Je sortis de leur chambre et refermai la porte doucement, sans un bruit. Je longeai le couloir jusqu’à la chambre de Nathalie. J’hésitai longuement avant de frapper doucement à la porte. Nathalie restait toujours aussi hostile envers moi.
- Quoi ? hurla-t-elle de l’intérieur, d’une voix hargneuse.
- Puis-je entrer ? demandai-je.
Après un long moment d’attente, je me décidai à toquer une deuxième fois. Toujours pas de réponse. Je pris alors l’initiative d’ouvrir la porte et trouvai Nathalie couchée sur son lit, les jambes croisées, apparemment en pleine conversation téléphonique.
- Je te rappelle, lança-t-elle en raccrochant précipitamment.
Elle tourna ensuite vers moi un regard féroce.
- Qui t’a permis d’entrer ? hurla-t-elle en se redressant.
- Nathalie, tu devrais essayer de dormir, tu vas devoir te lever tôt demain pour aller à l’éco...
- Qui es-tu pour me dicter ma conduite ? s’écria-t-elle d'une voix agressive en se levant et en s’approchant de moi.
Je connaissais déjà la scène qui allait suivre. Elle allait insister pour me jeter hors de la chambre comme une malpropre avant de me claquer la porte au nez.
Elle s’avança à grandes enjambées et arriva à ma hauteur. Elle ouvrit grand la bouche pour hurler, la main tendue vers la sortie, mais s’arrêta brusquement, une expression choquée sur le visage.