Chapitre 3
Levi n’avait pas eu besoin d’élever la voix très haut pour que la menace y vibre comme une lame prête à trancher.
« Dis-moi ce que j’ai besoin d’entendre, Olivia, avant que ma patience ne s’éteigne pour de bon. »
Je restai plantée là, incapable de comprendre comment j’en étais arrivée, encore une fois, à devoir me défendre d’un vol que je n’avais pas commis. La scène avait un goût amer de déjà-vu, un cauchemar qui se répète jusqu’à dévorer toute raison.
« Olivia ! » rugit-il soudain, et je sursautai. « Ma liasse d’argent n’est plus dans mon tiroir. Où l’as-tu mise, voleuse ? »
Le mot s’abattit sur moi avec une violence brutale. Mes lèvres s’ouvrirent, mais aucun son n’en sortit.
La porte claqua, et Louis entra d’un pas furieux.
« Où est mon argent ? » me lança-t-il sans préambule, comme si mon simple visage confirmait déjà ma culpabilité.
Un souffle s’étrangla dans ma gorge. Les deux me fixaient comme si j’étais prise la main dans le sac, alors que je ne comprenais même pas ce qui se passait. Mon cœur cognait si fort que j’avais l’impression qu’il allait transpercer ma poitrine.
« Je n’ai rien pris », articulai-je finalement, les doigts tremblants malgré moi.
Levi eut un rire bref, sans humour. « Et qui veux-tu que je accuse ? Tu es la seule à avoir accès à notre chambre. »
Louis secoua la tête, exaspéré. « Arrête cette comédie. Rends l’argent, et on en finit là. »
Les larmes menacèrent, prêtes à déborder, mais je refusai de les laisser tomber devant eux.
« Je n’ai rien volé », répétai-je, cette fois d’une voix plus assurée, même si un tremblement trahissait ma peur. « Jamais je n’oserais vous voler. Pas vous. »
Une voix s’éleva derrière moi.
« Mensonge. »
Je me retournai, et mon regard se heurta à celui de Lennox, figé sur moi comme une lame de givre. Il se tenait dans l’encadrement de la porte, un mépris silencieux accroché à ses lèvres.
« Le collier que j’avais offert à Anita a disparu, lui aussi », déclara-t-il simplement en rejoignant ses frères.
Le poids de ces trois regards combinés me donna la sensation d’être vidée de toute force. Je respirais difficilement. Ils me jugeaient déjà, prêts à me condamner.
Levi s’approcha en premier. La panique me saisit et je tentai de reculer, mais les trois frères m’encerclaient. Piégée.
En une seconde, Levi m’attrapa les poignets et me plaqua contre le mur. Mes mains furent immobilisées au-dessus de ma tête, et la chaleur de sa colère me frappa en plein visage.
« On te laisse une ultime occasion, Olivia. Avoue et rends ce que tu nous as pris, ou tu regretteras d’avoir respiré sous notre toit. »
Une larme glissa le long de ma joue, malgré ma résistance. Ils avaient déjà rendu leur verdict. Peu importait que je dise la vérité.
« Un… » commença Levi.
Mon corps se contracta.
« Deux… »
Les sanglots me brûlaient la gorge. Mes pensées tourbillonnaient : le cachot où mon père avait fini, les histoires de ceux à qui on avait tranché les mains, de ceux qu’on avait laissés mourir. Ma peau frissonna d’horreur.
« Dix. »
Levi relâcha mes poignets comme si le simple contact avec moi l’écœurait.
« Elle est à l’image de son père. Une voleuse incapable d’admettre ses actes », cracha Lennox. Le mot s’insinua en moi comme du poison.
Louis leva la main. « Des gardes ! Et faites venir des servantes. »
Ma respiration se bloqua. Pourquoi des servantes ? Qu’allaient-ils me faire ?
Lennox me fusilla du regard, une haine implacable dans les yeux. Comment avait-il pu passer de la tendresse de notre enfance à un tel dégoût ?
Les trois jeunes femmes arrivèrent et s’inclinèrent.
Ce fut Levi qui parla.
« Emmenez-la sur le toit. Qu’on la dénude et qu’on couvre son corps de poivre. Qu’elle reste à genoux sous le soleil. »
Je sentis ma gorge se serrer. Peu importe l’humiliation, la douleur : je savais que bien pire existait dans cette maison pour ceux qu’on déclarait voleurs. Peut-être devais-je m’estimer chanceuse.
« Emmenez-la », ajouta Lennox avec froideur.
Les servantes me saisirent doucement, presque avec compassion, et me guidèrent hors de la pièce. Je n’opposai aucune résistance. À quoi bon ?
En passant dans le couloir, j’aperçus ma mère. Elle pleurait à chaudes larmes, pétrifiée. Un pas vers moi aurait suffi pour la condamner à subir le même sort. Elle se contenta de trembler.
Arrivées sur le toit, les servantes me libérèrent.
« Il faut enlever vos vêtements », murmura l’une d’elles, la voix hésitante.
Mes doigts tremblaient. La honte brûlait déjà avant même que le poivre ne touche ma peau. Lentement, j’obéis, incapable de retenir mes sanglots.
Une servante s’approcha avec un bol rempli d’un rouge sombre. Mes muscles se crispèrent.
La brûlure fut instantanée. Le premier contact du poivre sur ma peau me fit hurler sans réfléchir. Une sensation de feu pur se propagea en vagues furieuses. Elles continuèrent méthodiquement, couvrant chaque zone exposée, sauf mon visage. Je n’arrivais même plus à respirer correctement.
« Il faut vous mettre à genoux », souffla l’une d’elles.
Mes jambes cédèrent presque d’elles-mêmes. Je m’agenouillai, secouée par la douleur et le soleil implacable qui amplifiait le supplice. J’avais l’impression que ma peau fondait.
Je voulais supplier qu’on arrête, mais je savais que ce n’était pas une option. Supplier ne ferait qu’ajouter une humiliation supplémentaire et peut-être déclencher une punition pire.
Le soleil cognait, la brûlure décuplée. Ma vision devint floue. Les servantes me regardaient avec une détresse silencieuse. Au milieu du brouillard de douleur, un souvenir enfoui refit surface : trois garçons riant avec moi, me prenant par la main, promettant qu’ils se battraient pour m’avoir pour épouse un jour.
Que restait-il d’eux ?
Comment ces mêmes garçons pouvaient-ils être les hommes qui m’infligeaient cela aujourd’hui ?
Un goût amer me remplit la bouche. Si mon père n’avait pas été accusé, si son nom n’avait pas été traîné dans la boue, m’auraient-ils regardée autrement ?
La brûlure devint insupportable. Chaque souffle était une déchirure. Le monde tournait dangereusement.
Finalement, mon corps céda. Je basculai sur le côté, incapable de lutter davantage. Les voix devinrent lointaines, brouillées, étouffées.
Et au milieu de cette obscurité naissante, je revis brièvement les triplés tels qu’ils étaient autrefois : protecteurs, attentionnés, se disputant pour savoir lequel m’épouserait…
Pas ceux qui, aujourd’hui, me brisaient sans une once d’hésitation.