Chapitre 1

1446 Mots
Au début des années 1997, Mila portait les stigmates d’un pays rongé de l’intérieur. Les murs tagués de menaces politiques, les sirènes trop fréquentes dans la nuit, les familles qui murmuraient dans les cages d’escalier. Officiellement, la ville se relevait. Officieusement, elle s’enfonçait. Dans l’ombre, une organisation florissante agissait sans contrainte. Les Réseaux Sombres, héritiers du clan Del Iero, s’étendaient comme une m********e invisible. Paris clandestins, blanchiment d’argent, trafics d’armes et d’organes, enlèvements ciblés. Rien n’échappait à leur influence. Les juges se taisaient, les commissaires détournaient les yeux, les journalistes disparaissaient. Et ceux qui parlaient ne parlaient qu’une seule fois. En 2025, la mission d’infiltration fut confiée à une indépendante. Une femme sans attaches, sans passif connu. Olivia Cavanna. Vingt-sept ans. Née à Bergame, élevée à Florence, formée à Bologne. Depuis deux ans, elle vivait à Porta Romana, dans un petit appartement modeste aux volets toujours fermés. Personne ne venait. Personne ne sortait. Elle aimait la discrétion, la solitude, le silence. Ce silence-là, plein de tension. Olivia travaillait seule, sauf avec une : Pamela Vitalli. Jeune, vive, loyale. Elles s’étaient rencontrées à un séminaire sur les écoutes téléphoniques illégales. Une tape sur l’épaule, un rire échangé, et très vite, une alliance rare entre deux femmes dans un monde qui les sous-estimait constamment. – T’as pas encore dormi, Olivia ? demanda Pamela en entrant dans leur planque de fortune, un ancien local de pressing transformé en bureau. – Dormir, c’est pour ceux qui n’ont pas un mafieux sur le dos, répondit Olivia sans lever les yeux de son dossier. La lumière froide du néon soulignait les cernes sous ses yeux, mais sa concentration ne fléchissait pas. Des photos étalées sur le mur, reliées par des fils rouges : des visages, des plaques d’immatriculation, des dates, des heures. – Le transfert d’argent passe par le club "La Lune Noire", murmura-t-elle. C’est là qu’il faut commencer. Pamela s’approcha, posa un café sur le bord du bureau. – Tu sais que si tu tombes sur Del Iero lui-même, t’en sortiras pas vivante, pas même avec ton joli flingue ? Olivia releva enfin la tête. Son regard, noir et profond, se planta dans celui de son amie. – Justement. Je veux le voir. Ses cheveux bruns, lâchés autour de son visage, bougeaient à peine dans la pièce close. Ses traits, d’une finesse presque fragile, étaient en contradiction totale avec l’énergie qu’elle dégageait. Elle avait la grâce d’une danseuse, la froideur d’un soldat, et l’obsession d’un chasseur. Elle sortit sans un mot, enfilant son manteau en laine gris anthracite. Dans son sac, un enregistreur, une arme non déclarée, un passe universel, et un nom. Celle d’un homme. Del Iero. Trente-sept ans. Aucun casier officiel. Aucun domicile fixe. Et pourtant, tout le monde savait. C’était lui qui tirait les ficelles. Lui, l’intouchable. Le maître de Mila. Olivia referma la porte du bureau derrière elle sans un mot. Elle avait besoin de silence. De solitude. Elle traversa Porta Romana sous le ciel gris d’une fin d’après-midi italienne, les mains dans les poches de son long manteau en laine anthracite. Chaque pas résonnait dans sa tête. Ce soir, elle allait s’approcher un peu plus du danger. Une fois dans son appartement, elle ne perdit pas de temps. Elle jeta ses clés sur la table, se déchaussa rapidement et attrapa un sandwich qu’elle mangea debout, dans la cuisine, sans même allumer la lumière. Puis elle fila sous la douche. L’eau chaude glissa sur sa peau tendue, traçant des sillons brûlants sur ses épaules crispées. Elle ferma les yeux. Le nom tournait encore dans sa tête. Del Iero. Trente-sept ans. Aucun casier judiciaire. Pas de photos, pas d’adresse. Juste un nom. Et la peur qu’il inspirait suffisait à faire trembler la ville. C’était lui le cœur noir de Mila, l’ombre derrière les Réseaux Sombres. Elle sortit de la salle de bain, enveloppée dans une serviette. Le miroir lui renvoya l’image d’une femme aux yeux calmes mais décidés. Elle ouvrit sa penderie, hésita, puis choisit la robe noire. Une robe dos-nu entièrement pailletée, qui s’attachait autour du cou par une fine lanière. Le tissu moulait ses courbes, s’arrêtant à mi-cuisse, laissant deviner la finesse de ses jambes. Le décolleté plongeant attirait l’attention, mais c’était un piège. Rien n’était laissé au hasard. Elle compléta la tenue avec des talons aiguilles à bride verticale, une pochette noire griffée et une barrette strassée pour retenir une mèche de cheveux.  Elle se regarda une dernière fois. Séduisante. Mystérieuse. Dangereuse. Dans son sac, elle glissa un petit enregistreur, une arme non déclarée, un passe universel... et l’enveloppe contenant le nom. Puis elle sortit, sans un mot. Le club s’appelait La Lune Noire. Caché dans une ruelle de la vieille ville, il était le point de rendez-vous des puissants, des pourris, et des fantômes. L’ambiance était moite, saturée de parfums forts et de musique feutrée. Les regards glissaient sur Olivia dès qu’elle franchit la porte. Elle se déplaçait comme une ombre brillante au milieu des corps. Au fond de la salle, dans un coin faiblement éclairé, il était là. Assis. Détendu. Le regard opaque. Entouré de deux hommes en costume. Il ne parlait pas, observait. Olivia sentit son cœur rater un battement. Ils échangèrent un regard. Bref. Chargé. Elle soutint ses yeux sans fléchir, sans savoir que cet homme, là, derrière ce regard impassible, était l’homme qu’elle traquait depuis deux ans. Lui, il la détailla. Une call-girl ? Une cliente ? Une espionne d’un clan rival ? Il n’en savait rien. Mais elle l’intriguait. Et c’était le début. Elle s’approcha du bar, lentement, comme si elle dansait avec les ombres. La musique vibrait dans le sol, envahissait sa cage thoracique. Les conversations autour d’elle semblaient s’estomper à mesure qu’elle s’installait sur un tabouret, dos droit, jambes croisées. – Un Negroni, demanda-t-elle sans le regarder. Le barman hocha la tête, la détailla rapidement, puis se détourna. Elle n’avait pas besoin de séduire ce soir. Elle devait écouter, observer. Derrière elle, les murmures recommencèrent. Des noms, des chiffres, des langues qui se mêlaient. Mais aucun ne prononçait celui qu’elle avait dans sa poche. Del Iero. Il ne parlait jamais en public. Ses hommes géraient, discutaient, négociaient. Lui se contentait d’être là. Présent. C’était suffisant. Elle sentit son regard. Il ne la quittait pas. Elle le devinait plus qu’elle ne le voyait. Un homme s’approcha d’elle. Blond, veste claire, sourire d’habitude. – Première fois ici ? demanda-t-il, appuyé contre le bar. – Peut-être, répondit-elle d’un ton neutre. – Tu cherches quelqu’un ? – Juste un verre. Et du calme. Il rit, un peu trop fort. – Ici, c’est rare. Mais je peux t’aider. Comment tu t’appelles ? Elle tourna lentement la tête vers lui. – Lia. Il sembla hésiter, puis lui tendit la main. – Lorenzo. Tu veux qu’on monte à l’étage ? C’est plus tranquille. – Non. Son ton était tranchant, sans appel. Le type leva les mains, recula avec un petit sourire. – T’es pas facile, Lia. Mais t’es jolie. Fais attention, ce soir. Elle l’ignora. Son verre arriva. Elle but une gorgée. Puis une autre. Et le regard était toujours là. Elle finit par se tourner. Il s’était levé. Del Iero. Il s’approchait, lentement. Comme un fauve tranquille, sûr de sa force. Ses hommes restèrent en arrière. Il ne disait toujours rien. Arrivé à sa hauteur, il la fixa un instant. Puis s’assit à côté d’elle, sans demander la permission. – Tu n’es pas d’ici. Sa voix était grave, basse. – Je pourrais dire la même chose, répondit Olivia. Un silence. – Tu t’appelles comment ? Elle le regarda droit dans les yeux. – Lia. Il hocha la tête lentement, comme s’il enregistrait l’information. – Tu es venue seule ? – Est-ce que c’est une question ou une menace ? Un mince sourire effleura ses lèvres. – Une simple curiosité. Les solitaires m’intriguent. – Et toi ? Quel genre d’homme tu es ? – Le genre qui n’aime pas être défini. Elle soutint son regard. Il n’y avait aucune hostilité, mais tout en lui criait le pouvoir. Il n’avait pas besoin de parler fort. Il imposait. Elle se força à garder son calme. Il ne savait pas qui elle était. Pas encore. Et elle non plus. Pas vraiment. Pas encore. – Tu danses ? Il avait demandé ça simplement, sans insister. Mais ce n’était pas une invitation. C’était un test. Olivia hésita une seconde. Puis elle se leva. – Pourquoi pas. Elle lui tendit la main, volontairement. Il la prit sans un mot. Sa paume était chaude, ferme. Ils traversèrent la salle lentement, comme si le reste du monde s’effaçait autour d’eux. Les regards les suivaient, mais personne n’osait les arrêter. À suivre
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