En un coup d'oeil je réussis à comprendre ce qu'il venait de se passer. Jean avait visiblement renversé un verre de vin sur cette jeune femme qui outrée de s'être fais détruire sa robe hurlait de tous ses poumons des syllabes de frustration tandis que les larmes coulaient sur ses joues. Ces vociférations avaient petit à petit attiré les regards de tous les membres de l'assemblée et l'orchestre lui-même s'était arrêté de jouer par je ne sais quel miracle.
N'ayant visiblement pas fais exprès et voulant être enterré six pieds sous Terre Jean se tenait là. Immobile à fixer la tâche impuissant et la bouche en rond. Il était tellement choqué qu'il en avait perdu la parole et avait même oublié comment s'excuser. Lui qui ne voulait pas se faire remarquer en mal ce soir c'était raté.
Une fois légèrement calmée la femme se mit à éjecter des phrases de sa bouche au lieu que ce soient des syllabes incompréhensibles:
"Tu! Tu... Tu as détruis ma robe! Il a fais exprès! Elle est fichue maintenant! Tu as tout gâché! Je ressemble à rien..."
Après quelques pleurs elle continua:
"Tu es un monstre! Un monstre tu entends! Un monstre mesdames et messieurs! Cette robe coûte plus cher qu'un an de paye pour toi! Comment tu vas me rembourser alors? Hein!"
Jean finit par revenir quelque peu dans son corps et commença à balbutier des excuses presque inaudibles. Mais la femme était prise dans son monologue alors elle ne fit pas attention à ses mots.
"Tu es viré! Viré tu m'entends! Et je vais faire en sorte que tu sois plus jamais embauché nul part! Vi! Ré!"
J'en avais marre alors j'entrais dans le cercle ce qui attira immédiatement les regards sur moi. Jean tremblant me regarda les yeux brillants de peine mais moi j'étais concentré sur la femme.
"Tu ne peux pas le virer il travaille pas pour toi."
Des chuchotements se soulevèrent dans l'assemblée tandis que la femme posait une main sur son cœur choquée de ma réponse.
"Tu te prends pour qui pour me parler? Tu as vu tes vêtements? Ça saute aux yeux que tu es un vulgaire paysan!
-Paysan ou pas je te parle comme je le juge convenable. Tu hurles depuis tout à l'heure comme une truie alors j'aurais plutôt dû te faire cuire donc estime toi heureuse que je t'ai répondu comme je l'ai fais."
Le menton de la femme à la tâche toucha le sol tandis que des éclats de surprise se faisaient entendre autour de moi.
L'homme se tenant derrière la femme marcha vers moi avec rage avant de balancer son bras pour me gifler. Malheureusement pour lui je fus plus rapide que cette montagne de viande et esquivais. Je n'eus pas autant de chance la deuxième fois et je crus que j'allais recracher mon cœur. Je sentis même quelque chose remonter mais heureusement c'était juste de la nourriture.
Je m'étalais dans mon vomi sous les rires de la foule tentant tant bien que mal de reprendre ma respiration.
"Personne ne traite ma femme de truie!"
L'homme se fit acclamer par la foule mais je n'en entendais rien. J'étais bien trop concentré sur ma propre respiration pour remarquer quoi que ce soit autour de moi.
Une fois ma respiration stabilisée je me levais aussi vite que possible et me redressais de toute ma hauteur prêt à en découdre. Mon égo était bien trop froissé pour que je laisse cet homme s'en tirer comme ça.
J'avais beau ne pas voir l'expression de Jean je pouvais très bien l'imaginer. Il devait être entré la vie et la mort. Paralysé.
Voyant qu'il n'en avait pas fini avec moi l'homme sourit ayant visiblement prit goût à la bagarre. Sa femme ainsi que les autres membres du public lui ordonnaient de me donner une leçon. En une fraction de seconde cet homme était devenu un héros quand à moi je n'étais même pas un monstre. J'étais simplement un cafard qui avait eu des envies de grandeur.
Et bien soit. J'allais être un cafard. J'allais être intuable et insupportable. Je pouvais déjà me voir gagner ce match provoquant un immense indignement chez l'assemblée.
Je me mis donc en position de combat tandis que l'homme se tournait vers le public pour recevoir leurs acclamations. J'attendais qu'il se tourne vers moi parce que je n'étais pas non plus un lâché qui attaquait le autres dans le dos.
Il finit par arrêter de tourner sur lui-même et me regarda dans les yeux. Il me fit signe d'avancer vers lui tandis que Jean ayant enfin retrouvé ses esprits me hurlait de partir. Je ne lui accordais même pas un regard. Cette homme avait beau être immense je n'allais pas reculer. Je ne reculais jamais. J'allais me battre jusqu'au bout quoi qu'il advienne.
Enfin c'est ce que je pensais. Avant que qui que ce soit de nous deux ait eu le temps de faire quoi que ce soit la duchesse apparut elle aussi dans le cercle suivie de Louis. En la voyant l'homme s'immobilisa immédiatement avant de faire une révérence.
Le regard de la duchesse passa avec une lenteur inquiétante sur la scène. Prenant trop de temps pour parler, la femme avec la tâche de vin accourut devant la duchesse pour rapporter ce quil venait de se passer.
"Duchesse, je dansais paisiblement quand je sentis soudain..."
Elle n'eut pas le temps d'aller beaucoup plus loin parce que la duchesse lui fit signe de se taire. La femme s'exécuta visiblement frustrée mais elle se força à sourire.
La duchesse commença par se tourner vers l'homme qui m'avait frappé.
"Aux dernières nouvelles il n'est pas acceptable de se battre durant un bal. Si vous avez un different à régler alors sortez."
L'homme fit de nouveau une révérence visiblement honteux de se faire réprimander tel un enfant devant tous les invités.
Soudain j'entendis Audrey m'appeler. Elle avait dû entendre qu'on m'avait frappé et était venue aussi vite que possible pour voir si tout allait bien. Je le savais parce que la première chose qu'elle me demanda une fois à ma hauteur était si j'allais bien.
Je lui souris et lui affirmais que tout était sous contrôle à présent. Elle ne parut pas convaincue en observant mon visage mais elle n'eut pas le temps de dire grand-chose car la truie s'exclama:
"C'est l'esclave enceinte que la duchesse a acheté au marché il y a pas longtemps!"
Elle s'approcha et posa les mains sur le ventre d'Audrey pas gênée le moins du monde. Audrey quand à elle grimaça mais ne sut pas comment réagir. Je poussais donc la main de la femme pour qu'elle la laisse tranquille. Mais la truie était tellement subjuguée par la vue de la jeune maman qu'elle ne s'en était pas rendue compte.
"Tu vas bientôt accoucher non? Tu comptes faire quoi du bébé? Je peux l'avoir? Je vais t'en donner un très bon prix."
Audrey ouvrit la bouche outrée mais je la devançais pour remettre la truie à sa place.
"Ce bébé n'est pas à vendre. Et surtout pas à une truie."
Une lumière passa sur le visage de la femme et elle écarquilla grand les yeux.
"Mais oui! Tu es le rebelle! Je me souviens de toi!"
Soudain elle se mit à rire.
"Tu nous avais bien fais rire au marché. Je suis déçue que tu n'es pas à moi... J'aurais pu t'apprendre à être sage."
Les chuchotements reprirent dans l'assemblée mais devenant de plus en plus fort. En quelques secondes ce n'étaient plus des chuchotements mais des cris vers la duchesse et vers moi. Entre autres nous pouvions entendre:
"Un esclave a osé traiter un membre de l'aristocratie de truie? Outrage!"
"Il doit être puni! Quel genre de maitresse laisse son esclave parler ainsi?"
"Je l'aurais tué sur place!"
Audrey m'attrapa la main inquiète tandis que les cris devenaient de plus en plus forts.
Soudain un regard de la duchesse suffit et le silence se fit. Tel le calme après la tempête sauf que je sentais que ce calme n'était que de façade. Je le voyais dans ses yeux. Quelque chose de bien pire m'attendait qu'une simple tempête.
La duchesse avait son regard ancré dans le mien. Ancré tellement profond que je n'osais même pas bouger. J'étais comme sous hypnose tandis qu'elle disait:
"Mon fouet."
Louis comprit immédiatement et lui tendit l'objet en question. Le cercle qui s'était formé autour de nous s'élargit et j'ai pu voir le sourire sadique sur le visage de l'homme avant qu'il ne se joigne à la foule. Jean et Audrey n'avaient cependant pas bougés mais très vite ils se firent traîner hors du cercle.
Il ne restait plus que la duchesse et moi. Un frisson me parcoura l'échine. Pas de peur mais de froid. J'avais littéralement froid en regardant cette femme. Elle se tenait droite comme un pic et tout ce que j'avais envie de faire était de lui mettre un manteau espérant ainsi faire fondre toute cette glace.
La duchesse me détailla des yeux longuement tandis qu'un silence de tombe s'emparait de la salle. Puis soudain elle parla:
"Déshabille toi."
Sa voix était tellement froide que le public eut un mouvement de recul de peur qu'ils ne subissent le même sort.
Mais moi je n'avais pas bougé. La rage commença à bouillir en moins avec l'injustice de la situation. Mon corps avait tellement chaud que j'en avais oublié la froideur de la duchesse.
"Non."
L'assemblée eut une exclamation de surprise tandis que la duchesse restait de marbre. Elle ne bougea pas d'un millimètre et reprit:
"Je t'ai dis de te déshabiller."
Je bombais le torse. Je ne connaissais que trop bien cette situation et jamais je n'allais me déshabiller. Je n'étais pas un petit toutou obéissant.
"J'ai entendu. Et j'ai dis non."
Visiblement la foule appréciait beaucoup ce petit spectacle ce qui m'aurait irrité si j'y avais fais attention. Cependant tandis que la duchesse se tenait devant moi je ne voyais qu'elle. J'avais beau entendre les rires ou la surprise autour de moi je m'en fichais. La duchesse, elle ne riait pas. Son visage avait beau être inexpressif comme à son habitude je sentais que quelque chose était différent.
Elle était en colère. Et pas qu'un peu. Ses yeux brûlaient d'un feu ardent quand elle posait les yeux sur moi mais cela ne me fit pas peur. Moi aussi je brûlais.
Je n'avais encore jamais vu de regard comme cela porté sur moi avant une correction mais étrangement ce fut ce regard mon préféré.
Les autres m'avaient regardé avec dégoût, avec amusement. Ils appréciaient me frapper mais la duchesse était juste en colère. Il n'y avait aucune once d'amusement dans son regard ou de dégoût. Elle continuait de me regarder comme un vulgaire cafard qui avait fais une immense bêtise.
Le fait qu'elle me regarde de la sorte avait beau m'irriter, là tout de suite je m'en fichais. Elle regardait tout le monde ainsi. Je n'étais qu'un cafard parmi tant d'autres. Mais aujourd'hui c'était différent. Aucun autre cafard n'avait osé la rendre énervée. J'étais le seul et j'étais sorti du lot.
Pas que je voulais être différent dans les yeux de la duchesse. Je ne supportais simplement pas d'être comme les autres. Juste un esclave, juste un cafard. J'étais bien plus que ça.
"Dans ce cas nous passons de 25 à 50 coups.
-J'ai déjà reçu pire.
-100.
-C'est toujours pas mon record.
-125.
-Je ne me déshabillerai pas.
-150.
-Je n'ai aucun ordre à recevoir.
-175.
-Jamais.
-200."
Je souris.
"225.
-Non."
Je la regardais droit dans les yeux avec un air de challenge. Je me fichais des nombres qu'elle annonçait, je n'allais pas sciller.
J'ancrais mon regard droit dans le sien comme elle avait l'habitude de faire. Je voulais qu'elle lise mon âme et sente toute ma détermination. Elle aurait beau annoncer 1000 coups je n'allais pas me déshabiller pour autant.
Mais tandis que j'ancrais mon regard dans le sien je pus moi aussi lire des bribes de son esprit. Elle était en colère, ça je le savais déjà. Elle devait m'en vouloir de détruire sa stupide soirée. Mais c'était quand même étrange qu'elle réagisse ainsi maintenant alors qu'elle n'avait rien fais quand j'avais essayé de la tuer. Peut-être que ce bal était plus important pour elle que sa propre vie après tout.
Je l'avais poussée à bout et elle ne pouvait à présent plus ignorer mes piques. Cependant je ne voyais pas que de la colère dans ses yeux. Mélangé à cette dernière se trouvait de la peur. Ou pas vraiment de la peur mais un sentiment complexe et très proche. Je n'étais pas aussi doué que la duchesse pour lire dans les âmes alors je n'étais pas sûr. Je devais sûrement me tromper. Qu'elle soit en colère je pouvais le concevoir mais je ne pouvais pas imaginer une seconde qu'elle puisse avoir peur de quoi que ce soit.
Et puis de quoi avait-elle peur au juste? De moi? Non certainement pas. Je n'étais qu'un vulgaire cafard. J'aurais adoré que ce soit moi l'origine de sa peur mais je devais me rendre à l'évidence. Je n'étais pas encore assez fort pour cela.
"250."
Maintenant que j'y pensais même sa voix était différente de d'habitude. C'était dure à entendre parce que elle avait toujours une voix monotone et froide mais cette dernière était montée très légèrement dans les aigus. Serait-elle tellement en colère qu'elle n'arrivait même plus à contrôler sa voix?
"Vous devriez plutôt fouetter la truie.
-275.
-Ça lui apprendra peut-être à se taire
-300."
J'aurais bien continué à répliquer indéfiniment si l'assemblée n'avait pas perdue patiente et que soudainement des mains venues de derrière m'avaient immobilisé et forcé à me déshabiller.
Je me débattais de toutes mes forces sous les pleurs d'Audrey mais les mains étaient trop nombreuses pour que j'y échappe.
Je me retrouvais donc le haut nu agenouillé par terre face à la duchesse.
Je serrais les dents de toutes mes forces avant de me détendre. J'avais abandonné pendant une seconde et je m'en voulais mais le nombre de gens qui voulaient me voir souffrir était bien trop important pour que je me battes. Et même sans la foule la duchesse m'aurait donné du fil à retordre.
Cette punition était inévitable visiblement alors je comptais la supporter la tête haute. Je secouais la tête. Qu'est-ce que je racontais? Moi qui ne m'étais encore jamais laissé battre. Je m'étais toujours relevé pour en demander plus d'où le surnom de rebelle. Et j'acceptais mon sort sans sciller? Il en était hors de question.
Dès que les mains me lachèrent je me relevais donc ce qui les força à revenir pour m'immobiliser de nouveau. Mais je continuais à me relever encore et encore alors ayant perdu patience je me pris un coup à la tête de la part du mari de la truie et je tombais à terre sonné.
Je devais me relever encore. Je ne pouvais pas rester assis. Mais ma tête tournait tellement que je n'arrivais plus à me souvenir d'où se trouvaient mes pieds. Je restais donc à terre grognant et essayant de toutes mes forces de me relever mais sans résultat.
Soudain je sentis le premier coup. Je criais de surprise et pinçais les lèvres immédiatement pour que cela ne se reproduise plus.
Je n'avais pas vu la duchesse bouger alors je la cherchais des yeux. Elle devait être derrière moi donc je ne pouvais pas la voir. Dommage j'aurais aimé la fixer dans les yeux tout le long.
Au second coup je ne criais pas. Je grognais simplement en basculant la tête en arrière. Je me mordais la lèvre tellement fort pour ne pas crier que j'en saignais.
Au bout de quelques coups les forces finirent par revenir dans mes jambes et j'essayais de nouveau de me relever mais à chaque fois je recevais un coup qui me repoussais à tomber.
Hors cette fois ci je n'abandonnais pas une seule fois. J'essayais de me relever encore et encore. Tellement que je n'avais même plus besoin d'y penser. Mon corps essayait de se relever tout seul comme par réflexe.
Sentir les coups sur ma peau fraîchement cicatrisée me renvoya à des souvenirs que j'aurais préféré oublier. Au début j'étais aveuglé par ma haine envers la duchesse et envers le monde en général. Elle emplissait tous les recoins de ma tête sans exception. Mais petit à petit la rage s'estompait pour laisser place aux souvenirs tout aussi douloureux que mon corps. Peut-être même plus.
J'avais beau cicatriser après des coups, ces souvenirs eux ne disparaissaient jamais. Je me revoyais sur les bateaux, attaché dans la cale essayant de dormir malgré les vagues et la peur.
Je voyais des images sans son où je me faisais battre par diverses personnes. Mais je voyais aussi d'autres images. Des enfants qui pleuraient, des personnes âgées qui mourraient...
Je refusais de me laisser aller dans ces souvenirs mais je n'arrivais pas à mes arrêter. Je ne me rendis même pas compte que les larmes coulaient sur mes joues. Je me mordais les lèvres encore plus fort pour ne pas me laisser aller à ces images mais rien ne faisait.
J'étais impuissant face aux événements. Qu'avais-je fais pour mériter cela? Un certain Philibert m'avait appris dans notre cale qu'apparemment il y a quelques dizaines d'années tout le monde était considéré égal à leur naissance. Je ne pouvais y croire mais je voyais dans les yeux de mon ami que cela lui donnait de l'espoir. Il s'accrochait à ce monde idyllique dans l'espoir d'un jour être lui aussi libre.
Personne n'a demandé à être esclaves mais nous ne nous plaignions pas. Mais surtout personne ne méritait ça. Je me disais que ces aristocrates auraient dû passer ne serait-ce qu'un jour dans nos peaux pour comprendre ce que c'était et pour que le monde puisse enfin avancer mais en y repensant je doutais que cela change quoi que ce soit. Je ne souhaitais même pas à cette truie de se faire fouetter de la sorte.
Petit à petit ma vision se brouillait et je n'étais plus tellement présent dans mon corps. Je me faisais projeter dans mes souvenirs et j'avais beau me débattre je ne pouvais pas m'en enfuir. Il y avait quelque chose de rassurant dans cette cale de bateau. Au moins là bas je n'étais pas seul.
Je restais donc assis par terre écoutant un ménage de vagues et de pleures étouffés. Nous ne devions pas faire tro de bruit sinon nous nous faisions punir mais certains n'arrivaient pas à retenir leurs larmes.
Je me demandais ce que les personnes dans la cale étaient devenus. Ils devaient se faire fouetter quotidiennement faisant des tâches plus inhumaines les unes que les autres. J'avais de la chance je le savais. Ces derniers jours j'avais vécu une vie assez calme. Je n'osais pas les regarder dans les yeux. Pourquoi est-ce que j'avais pu vivre tranquillement tandis que les autres restaient enfermés dans le cauchemar? Pourquoi moi et pas quelqu'un d'autre?
Quoi que pour être honnête mon corps avait beau ne plus vivre dans le cauchemar, mon esprit ne l'avait jamais quitté. Je les rejoignais tous les soirs. J'espérais qu'ils me sentaient venir et que cela leur apportait un léger réconfort de savoir que j'étais à leurs côtés.
J'avais beau ne pas connaitre leurs prénoms ou leur histoire je n'avais jamais oublié aucun de leurs visages. Si j'avais su dessiner j'aurais pu les reproduire au détail près.
Pour être entièrement honnête je ne savais pas si je savais dessiner ou pas. Ce n'est pas comme si un des marchants était descendu à la cale et m'avait passer un crayon pour voir si j'avais du talent.
Tout le monde s'en fichait des qualités d'une marchandise. Tant que j'étais fort c'était tout ce qui importait. Mais ce n'était pas un choix. Personne ne choisissait d'être fort. On ne faisait que le devenir à suite aux événements.
J'ignorais j'en étais à combien de coups. Je n'avais pas compté. Je ne sentais plus mon dos alors ça devait quand même faire pas mal de coups déjà. Le sang que je sentais me réchauffer les pieds me poussait aussi dans cette interprétation.
Finalement les coups cessèrent d'arriver. Je ne m'en rendis pas compte mais compris seulement que c'était fini que on vint me voir pour m'aider à me relever. Je repoussais les mains aidantes fermement et me levais tout seul. Je grimaçais de douleur mais il était hors de question que je tombe au sol.
Je dus m'y prendre plusieurs fois mais je finis par tenir debout. Mes jambes tremblaient insupportablement et je n'arrivais pas à redresser mon dos. Mais j'étais debout.
Je pensais que c'étaient juste mes oreilles qui avaient arrêté de marcher mais je me rendis compte qu'il n'y avait juste rien à entendre. Les aristocrates qui au début avaient l'air d'avoir hâte d'assister au spectacle gardaient à présent la tête baissée de gène. Ils n'osaient pas me regarder à cause du sang qui séchait déjà sur mes jambes mais surtout à cause des plaies béantes dans mon dos.
Visiblement ils ne s'étaient pas attendus à un spectacle aussi sanglant. Il fallait leur accorder que la duchesse m'avait asséné un nombre inhumain de coups. Rien que le fait de traiter un être humain de la sorte était inacceptable mais la duchesse battait tous les records.
Les rumeurs au sujet de sa cruauté allaient s'envoler après ce bal c'était sûr.
Je me tournais vers la duchesse et la fixais droit dans les yeux. Je ne m'étais attendu à aucune once d'humanité dans son regard et j'avais raison. Aucun sentiment ne transparaissait de ses yeux clairs. Elle n'avait pas l'air le moins du monde touchée par la cruauté de son action.
Dès le premier regard j'avais su que cette femme était différente des autres êtres vivants. La voir accueillir la mort avec indifférence avait confirmé cette première impression mais maintenant je commençais à me demander si elle n'était pas la mort en personne.
Elle n'avait rien d'humain c'était sûr. C'était peut-être pour cela qu'elle n'avait pas réagi quand je l'étranglais. Elle n'avait pas vu la mort parce que elle ne pouvait pas mourir cela expliquant son manque de réaction. Ou peut-être la mort elle-même était celle qui avait eu peur en voyant la duchesse.
Ceux qui nous frappaient avec amusement n'avaient rien d'humain non plus. Ils oubliaient que nous étions leurs égales pour pouvoir nous faire souffrir sans avoir des problèmes de conscience. Hors le prix à payer était leur humanité. Je ne leur en voulais pas vraiment car n'ayant pas de morales ils ne pouvaient être de bonnes personnes.
Mais la duchesse était bien pire qu'eux. Elle avait beau être étrange je sentais qu'elle avait un sens de la morale. Bien à elle certes mais il était là. Hors quand je la regardais dans les yeux je ne voyais rien. Aucun sentiment. Pas d'amusement pas de gêne et surtout pas de honte. Si c'était l'effet que lui faisait de faire souffrir un autre être vivant alors elle avait tout d'un monstre.
Je détournais le regard. Elle ne méritait pas mon intérêt le plus infime soit-il.
Je dis quelques pas douloureux et voyant ma difficulté Audrey et Jean accourèrent pour m'aider. Je les repoussais au début mais fini par accepter leurs mains tendues et ils me firent sortir de cette salle de bal sous les yeux pesants des invités.
J'entendis la musique reprendre derrière moi comme si de rien n'était mais les invités ne se remirent pas à danser tant que je n'avais pas complètement disparu.
Jean et Audrey sous le choc ne me dirent aucun mot jusqu'à notre arrivée dans la chambre du médecin. Ils n'avaient pas vraiment besoin de parler. Leur soutient était assez explicite en soit.
Audrey savait exactement ce que je ressentais et j'avais peur que d'avoir revu cette scène lui ai fais perdre toute illusion de bonheur qu'elle avait pu avoir précédemment.
Mais pour Jean tout cela était nouveau. Je me demandais ce qu'il se disait dans sa tête. Il était choqué cela ne faisait aucun doute mais je me demandais quelles proportions ce choc pouvait avoir.
Il avait idolâtré la duchesse depuis des mois mais la voir ainsi avait sûrement changé pas mal de choses. Ce n'était pas pour le pire. Un monstre n'avait aucune raison d'être admiré.