Le dîner était bien entamé lorsque Blanche ouvrit la discussion avec une voix calme mais ferme, donnant à ses mots le poids d'une reine expérimentée.
— Il y a eu des rumeurs d'agitation près des frontières nord, dit-elle en posant son regard sur Josie. Des patrouilles ont été envoyées, mais la menace pourrait grandir si nous ne prenons pas des mesures supplémentaires.
Josie acquiesça, prenant un ton sérieux.
— Ces troubles ont également touché nos routes commerciales. Certains convois ont été attaqués récemment, ce qui nous inquiète pour nos échanges avec vos terres.
Liam, jusque-là silencieux, intervint avec assurance :
— Nous avons renforcé les garnisons près des routes principales. Toutefois, si des troupes supplémentaires sont nécessaires, je suis prêt à organiser une aide commune.
Mathilde sourit légèrement à cette déclaration, mais Josie, avec une lueur calculatrice dans les yeux, enchaîna doucement :
— Il est vrai que l'union fait la force. Une alliance renforcée entre nos royaumes pourrait dissuader toute tentative de déstabilisation, qu'elle soit militaire ou économique.
Blanche, feignant une spontanéité bien calculée, ajouta avec un sourire cordial :
— Et quel meilleur moyen de sceller une telle alliance qu'avec une union véritable, une union qui symbolise la paix et la prospérité pour nos deux royaumes ?
Liam, qui sirotait son vin, faillit s'étrangler. Il posa son verre précipitamment et jeta un regard furtif à sa mère.
— Mon fils, fit-elle innocemment, auriez-vous avalé quelque chose de travers ?
Josie, sans perdre son air amical, répliqua en souriant :
— Allons, Blanche, ne soyez pas trop dure. Peut-être qu'un verre d'eau l'aidera à ne pas s'étouffer bêtement.
Mathilde, bien que gardant une apparence détendue, sembla observer Liam avec une curiosité nouvelle. Elle glissa finalement d'un ton léger :
— Après tout, nous nous connaissons depuis longtemps. Ce serait... naturel, n'est-ce pas ?
Liam, bien qu'une ombre de réticence traversât son regard, s'inclina légèrement.
— Je suis certain que ce serait dans l'intérêt de nos royaumes, répondit-il poliment, tout en essayant de changer de sujet rapidement.
Mais il était évident pour tous à la table que cette question ne serait pas enterrée si facilement.
C'était la pause pour les domestiques. Dans l'effervescence de la cuisine, Alna mangeait son repas en compagnie des autres. Chacune racontait sa matinée ou partageait des anecdotes pour alléger l'ambiance après des heures fatigantes. Bien que l'atmosphère soit détendue ici, tout le monde savait que l'après-midi serait chargé, avec un petit brunch organisé au bord du lac pour le prince Liam, la reine Blanche, et Josie, une invitée de marque.
Pendant ce temps, dans les couloirs du château, la tension montait. Liam, loin de se réjouir de cet événement, avait été interpellé par sa mère, qui semblait vouloir profiter de l'occasion pour aborder un sujet délicat.
— Un mariage ? répéta Liam, l'air incrédule, en regardant Blanche. Tu plaisantes, j'espère ?
— Mathilde est une jeune femme accomplie, répondit la reine, imperturbable. Elle a de l'élégance, de l'éducation, et vient d'une famille influente avec laquelle nos relations sont solides depuis toujours. Son père serait ravi de sceller une alliance.
Liam croisa les bras, agacé.
— Je te remercie, mais il s'agit de ma vie. Et je ne vais pas épouser quelqu'un pour des raisons politiques.
Blanche esquissa un sourire amusé, ce qui accentua la colère de son fils.
— Ça t'amuse, mère ?
— Oui, un peu, admit-elle. Parce que tu crois encore que tout tourne autour de toi. Il ne s'agit pas seulement de toi, Liam, mais de l'avenir de ce royaume. Tu as assez joué ces derniers temps avec des femmes de passage. Maintenant, il est temps d'être sérieux.
Liam soupira, passant une main nerveuse dans ses cheveux.
— Cette situation m'insupporte.
— Tu pourrais au moins faire un effort, insista Blanche. Apprends à la connaître. Peut-être que tu découvriras qu'elle n'est pas aussi ennuyeuse que tu l'imagines. Avec un peu de chance, tu pourrais même tomber amoureux d'elle.
— S'il te plaît, mère, ne me fais pas ça, dit Liam en secouant la tête. Ces filles sont toutes rigides, sans aucune spontanéité. Elles suivent des règles comme si leur vie en dépendait. Prévisibles et ennuyantes, c'est lassant.
Blanche haussa un sourcil, un sourire ironique se dessinant sur ses lèvres.
— Eh bien, si tu la trouves si rigide, tu peux toujours l'épouser pour les apparences et continuer à t'amuser dans les maisons closes.
Liam soupira profondément, exaspéré.
— Mère...
Il marqua une pause, semblant réfléchir avant de poursuivre, plus calmement :
— C'est vrai que Mathilde est une très belle femme, je l'avoue. Mais ce n'est pas suffisant pour passer ma vie avec elle du moins de ce que je pense. Je vais me préparer à toute mère.
Josie entra dans les appartements de sa fille sans frapper, observant les lieux d'un regard critique.
— Mère ? Que faites-vous ici ? demanda Mathilde, surprise en se retournant vers elle.
— Rien de particulier, répondit Josie avec un sourire. Je voulais simplement voir la robe que tu as choisie pour tout à l'heure... Liam est un bel homme, tu ne trouves pas ?
— Je te l'accorde, répondit Mathilde en ajustant les plis de sa robe. Ce n'est pas étonnant que tant de femmes issues de grandes familles rêvent d'être à ses côtés.
— Mais toi, ma fille, tu as l'avantage, insista Josie en s'approchant. Nos familles se connaissent depuis des générations, et en plus de cela, tu es une très belle jeune femme. Tu es séduisante, alors utilise cet atout. Les hommes sont tous les mêmes, tu sais, il suffit de savoir comment les manipuler à ton avantage.
Mathilde esquissa un sourire, mi-amusée, mi-résignée.
— Même si je doute que cela suffise avec lui, je ferai de mon mieux. Liam ne semble pas être le genre d'homme à se laisser impressionner par les petites mimiques habituelles des dames de la cour.
Josie hocha légèrement la tête, un soupçon de réflexion dans son regard.
— Peut-être pas, mais il a forcément un point faible. Sois attentive, et tu sauras comment l'atteindre.
— Bien. En attendant, j'aurais besoin qu'on m'attribue une dame de compagnie. La mienne n'a pas pu venir, et je ne peux pas tout faire seule.
— Je vais en parler à Blanche, répondit Josie d'un ton assuré. Je suis certaine qu'elle te trouvera quelqu'un rapidement.
— Merci, mère. Je vous retrouve près du lac tout à l'heure, ajouta Mathilde avant de retourner à ses préparatifs.
Josie acquiesça avant de quitter les lieux, le visage illuminé par une détermination certaine.
Esme entra dans la cuisine, attirant immédiatement l'attention des domestiques.
— J'ai besoin de trois personnes pour aller près du lac servir la reine et ses invités, dit-elle d'une voix autoritaire.
Sans hésiter, Alna se proposa la première, le souvenir des remarques d'Esme la veille encore frais dans son esprit. Elle voulait à tout prix montrer qu'elle était prête à faire son travail et à conserver sa place. Esme, sans perdre de temps, désigna rapidement deux autres domestiques et les envoya toutes les trois vers le lac.
Arrivées sur place, elles furent surprises de ne trouver que le prince Liam et Mathilde. Ni la reine Blanche ni Josie n'étaient présentes. Manifestement, les deux femmes avaient orchestré cela pour laisser Liam et Mathilde seuls, espérant qu'ils puissent discuter et mieux se connaître.
Assis à une table élégamment dressée, Liam et Mathilde discutaient tranquillement. Lorsque les domestiques arrivèrent, le regard du prince croisa celui d'Alna. Elle détourna aussitôt les yeux, évitant à tout prix un échange prolongé. La présence de Mathilde à ses côtés lui rappelait qu'elle devait rester à sa place. Malgré tout, l'incident de la veille, où le prince lui avait accidentellement retiré sa couverture en pleine nuit, lui revint en tête. Elle secoua légèrement la tête, chassant ces pensées inutiles, et s'adressa à eux d'un ton professionnel.
— Avez-vous besoin de quelque chose, Votre Altesse ?
Liam, avec son habituel sens de l'humour, répondit avec un sourire en coin :
— Trois domestiques pour deux personnes ? Voilà qui me semble un peu exagéré, vous ne trouvez pas ?
Avant qu'Alna ou l'une des autres ne réagisse, Sabine, incapable de garder sa langue, intervint aussitôt :
— C'est sûrement une erreur de la gouvernante, dit-elle avec une pointe de désinvolture. Elle a dû penser que vous seriez quatre au lieu de deux à savourer le goûter.
Liam haussa un sourcil amusé, tandis que Mathilde jeta un regard légèrement dédaigneux à Sabine. Alna, pour sa part, se contenta de rester en retrait, espérant que cette maladresse n'attirerait pas trop l'attention.
Liam, toujours calme mais avec une pointe d'ironie dans la voix, ajouta :
— Décidément, vous avez vraiment un problème avec le thé...
Puis, prenant une serviette, il la trempa dans de l'eau froide et la tendit à Alna, la dirigeant avec douceur sous son bras.
— Vous devriez aller vous soigner, appliquer une crème, et si possible, vous changer, lui dit-il d'un ton un peu plus sérieux.
Alna hocha la tête, acceptant sans protester. Malgré la frustration grandissante en elle, elle obéit sans un mot. Elle en voulait à Sabine, mais au fond, elle se demandait si c'était vraiment de sa faute. Après tout, Sabine avait seulement trébuché, n'est-ce pas ? Une simple maladresse, ou était-ce autre chose ? Cette pensée la tourmentait un peu plus à chaque pas qu'elle faisait vers sa chambre.
Une fois dans la chambre, la porte se referma derrière elle et Alna se laissa tomber sur son lit, la serviette toujours sous son bras. C'est alors qu'elle remarqua une lettre posée sur l'oreiller, la seule chose qui semblait attirer son attention en cet instant. Elle la prit, hésitant un moment avant de briser le sceau. En la dépliant, elle reconnut l'écriture de Marguerite.
Les mots qu'elle lut firent sauter son souffle. Glenda, sa petite sœur, était malade, et son état empirait de jour en jour. Alna sentit une douleur vive, comme un coup au cœur. Les larmes lui montèrent instantanément aux yeux, et un poids immense se posa sur sa poitrine, lui coupant presque la respiration. Sa sœur... elle était tout pour elle. Sans elle, Alna ne savait pas comment elle pourrait continuer. Ses mains tremblaient légèrement, et elle se laissa tomber sur le lit, incapable de retenir ses larmes, se demandant si elle serait à la hauteur pour affronter cette nouvelle épreuve.
La nuit tombée, Alna n'avait plus qu'une idée en tête : s'éclipser pour rejoindre son quartier. Cela faisait plusieurs jours qu'elle n'avait pas eu de nouvelles de Glenda, et l'interdiction de sortir du palais pendant un mois pesait lourdement sur elle. Mais cette fois, elle n'avait pas le choix. Elle devait voir sa sœur, comprendre son état. Elle ne pouvait plus attendre.
Comme à son habitude, elle se glissa furtivement entre les ombres du palais, évitant les gardes et les surveillants. Ses pas étaient discrets, mais son cœur battait à tout rompre, résonnant dans ses oreilles à chaque mouvement qu'elle faisait. Elle savait qu'elle risquait gros, mais Glenda était sa priorité.
Le prince, qui rodait chaque soir dans le jardin pour tenter de trouver le sommeil, remarqua une silhouette s'éloigner dans l'ombre. Il savait très bien que c'était une femme, mais il ne l'interpella pas. Il resta figé un instant, observant la scène sans un mot, sentant que quelque chose ne tournait pas rond, mais ne sachant pas quoi. Ce moment d'isolement dans le jardin, loin des préoccupations du palais, était pour lui un instant de solitude où il pouvait échapper à ses propres pensées.
Alna traversa les ruelles sombres et arriva chez elle. Son petit logis, modeste mais plein de souvenirs, était toujours là, mais l'air en était plus lourd, plus oppressant.
Elle frappa doucement à la porte. Après un instant, la silhouette de Marguerite apparut.
— Glenda ? Où est-elle ? demanda Alna, son visage marqué par l'angoisse.
Marguerite la laissa entrer sans un mot, mais ne tarda pas à s'interposer. Alna traversa précipitamment la pièce commune, ignorant l'échange furtif que Marguerite tentait de lui adresser, et se dirigea vers la chambre qui servait de refuge à Glenda.
— Glenda, ma petite sœur, je suis là... dit-elle d'une voix tremblante.
La petite voix faible de Glenda répondit presque immédiatement.
— Grande sœur ? Tu es venue... répondit-elle, avec un soupir de soulagement, ses yeux fatigués brillant faiblement dans la pénombre.
Alna s'approcha d'elle, les bras ouverts, mais son cœur se serra lorsqu'elle vit l'état de sa sœur. La pâleur de son visage, ses joues creuses, la toux incessante qui la secouait, tout indiquait que la maladie avait fait des ravages en peu de temps.
— Non, ne dis pas ça... je vais tout faire pour que tu guérisses et que tu restes avec moi, d'accord ? dit Alna en prenant la main de Glenda, sa voix pleine de détermination.
Mais juste à ce moment-là, Glenda toussa violemment. Une toux sèche et douloureuse. Alna la regarda, inquiète, mais Marguerite s'approcha alors rapidement et lui fit signe de s'éloigner.
— Pourquoi ? Pourquoi tu veux que je m'éloigne ? Je veux juste la voir... juste quelques minutes, c'est tout.
Alna sentit la frustration l'envahir, mais Marguerite la regarda d'un air grave.
— C'est parce que Glenda a la tuberculose... murmura-t-elle, ses mots lourds de sens.
Le choc traversa Alna comme un coup de poignard. Son souffle se coupa, et son regard se figea sur sa sœur, qui semblait si fragile, si vulnérable dans ce lit.
— La tuberculose... ? répéta Alna, choquée, les larmes montant instantanément à ses yeux. Mais... pourquoi ne m'as-tu rien dit ?!
Marguerite lui expliqua d'une voix basse, presque à regret :
— Elle a commencé à tousser il y a quelques semaines, et sa condition s'est rapidement aggravée. Si tu veux qu'elle guérisse plus rapidement, il faudra qu'elle soit prise en charge à l'hôpital. Mais cela coûte très cher, Alna...
Alna serra les poings, la tension montant dans sa poitrine. Elle n'avait pas les moyens. Non, elle n'avait rien. Elle avait à peine commencé à travailler, et le peu qu'elle gagnait ne suffirait jamais à payer un traitement médical coûteux.
— Combien... combien faut-il pour qu'elle puisse être soignée ? demanda Alna d'une voix faible, les yeux pleins d'espoir.
Marguerite haussait les épaules, mais sa réponse ne laissait aucun doute :
— Il faut agir maintenant. Si tu veux qu'elle guérisse rapidement, il faut qu'elle soit prise en charge immédiatement. Tu dois trouver les moyens financiers, Alna. Sinon... ça pourrait être trop tard.
Alna était dévastée. Elle ne savait pas où aller, ni comment obtenir cette somme. Chaque porte semblait fermée, chaque solution semblait hors de portée. Elle se tourna vers Marguerite, désespérée.
— Mais comment ? Comment trouver l'argent ?
Marguerite la regarda, une lueur étrange dans ses yeux. Elle savait bien que la situation d'Alna était complexe, mais elle n'avait pas d'autre choix.
— Tu dois te dépêcher, Alna.
—Emmène-la à l'hôpital, négocie une place pour elle. Je le chargerai de trouver de l'argent pour que tout se passe rapidement. Le temps presse.
Alna se sentait accablée par le poids des responsabilités qui reposaient soudainement sur ses épaules. Sa sœur avait besoin d'elle, mais comment pouvait-elle l'aider sans ressources ? Son esprit était en ébullition, cherchant désespérément une solution, mais la réalité de la situation était trop dure à accepter.
Elle s'assit près de Glenda, caressant doucement ses cheveux, une nouvelle détermination naissant en elle. Peu importe les obstacles, peu importe les sacrifices. Elle ferait tout pour sa sœur. Elle devait, à tout prix, trouver un moyen.