1-2- LE DÉBUT : Elle

1922 Mots
J’adore l’automne. Il y a quelque chose de profondément envoûtant à observer les arbres se dépouiller de leurs feuilles. Ce n’est pas tant le spectacle de ces géants se dénudant qui me fascine, mais la manière gracieuse avec laquelle les feuilles s’abandonnent à l’air. Elles se détachent avec une délicatesse infinie, flottant doucement dans une ultime danse avant de toucher le sol, comme si elles étaient prêtes à accueillir leur fin avec élégance. Elles acceptent leur destin avec une sérénité presque poétique, se laissant porter par le vent, tourbillonnant dans une chorégraphie mélancolique. Aujourd’hui, je me tiens là, entourée de ces arbres qui, à leur tour, se séparent de leur parure. Nous sommes en plein automne, et je me trouve dans un jardin d’érables japonais, un lieu où la magie semble prendre vie. Partout autour de moi, des feuilles rouges, orange et dorées s’envolent en une myriade de nuances éclatantes. C’est un instant suspendu, une peinture mouvante où chaque couleur raconte une histoire. Ce que j’admire par-dessus tout dans la nature, c’est sa liberté. Elle ne se plie à aucune règle, aucune contrainte. Une voix m’appelle, me tirant de ma rêverie. — Tu viens ? Je tourne la tête et ne peux m’empêcher de sourire en voyant celui qui illumine mes journées. Lui, c’est Nathaniel, mais je l’appelle Nath. Mon petit copain, mon complice. — Oui, où sont les autres ? — On t’attend tous à la voiture. Alors, cette surprise, elle t’a plu ? Nath a toujours été attentionné, prêt à exaucer le moindre de mes souhaits. Son bonheur dépend du mien, et il ne recule devant rien pour me voir sourire. — Oui, merci d’avoir organisé ça avec mes parents. C’est le plus beau cadeau d’anniversaire que j’aurais pu espérer. Ma sœur, Yanie, nous interrompt en criant depuis la voiture : — Vous venez ? Cyana, dépêche-toi, on va rater la coupure du gâteau ! Yanie, c’est ma jumelle. Mais à part le fait que nous sommes nées le même jour, nous ne pourrions pas être plus différentes. Elle est le rayon de soleil de la famille, la préférée de tout le monde. Avec son énergie débordante, elle attire toujours l’attention, souvent sans même le vouloir. Moi, je suis plus discrète, plus réservée. Mais malgré nos différences, elle est ma moitié, mon autre moi. — On arrive ! répond Nath en me prenant par la main. Nous rejoignons tout le monde, prêts à repartir vers l’aéroport. Le voyage touche à sa fin, et il est temps de rentrer chez nous. Mais avant cela, une dernière surprise nous attend : un dîner organisé par la famille Morrano, des amis proches et restaurateurs renommés. Zack, mon meilleur ami, fait partie de cette famille. À peine arrivés, Zack m’accueille avec un énorme sourire et m’enlace. — Joyeux anniversaire, Cyana ! J’ai un cadeau pour toi. — Hé, tu oublies que c’est aussi mon anniversaire ! râle Yanie en croisant les bras. Zack rigole et l’attrape à son tour dans ses bras. — Comment pourrais-je oublier la fabuleuse jumelle de ma meilleure amie ? Suivez-moi, vos cadeaux sont à l’étage. Vous allez être gâtées ! Nous montons, laissant Nath et Christian en bas pour aider à préparer la table. Lorsque j’entre dans la pièce, je reste bouche bée. Des dizaines de paquets soigneusement emballés nous attendent. On se croirait à Noël. Mes yeux brillent d’émerveillement. On commence à ouvrir quelques présents avant d’entendre Pamela, la mère de Zack, nous appeler. — Ne tardez pas trop, les filles ! lance-t-elle depuis l’escalier. — Promis, cinq minutes ! répond Yanie. Après nous être changées, nous descendons, prêtes à profiter du dîner. Tout le monde est réuni, et la soirée est empreinte de bonne humeur. C’est un moment parfait. J’ai tous ceux que j’aime autour de moi : mes parents, ma sœur, mon petit ami, et mon meilleur ami. Que pourrait-il manquer à ce tableau ? Et pourtant, la vie a cette façon sournoise de bouleverser nos certitudes. Une semaine plus tard. En rentrant de l’école avec Nath et Zack, nous trouvons Yanie et Christian déjà à la maison. À peine franchissons-nous le seuil qu’un cri résonne depuis le salon. Je me précipite, intriguée, et tombe sur une scène qui me laisse sans voix : Christian, le frère de Nath, est à genoux devant ma sœur, une bague à la main. — Tu plaisantes ? Tu veux vraiment m’épouser ? balbutie Yanie, les yeux écarquillés. Christian, avec son air sérieux mais sincère, répond : — J’y pense depuis longtemps. Je sais que tu n’as pas encore 18 ans, mais je te fais cette demande parce que je t’aime. Mes parents sont d’accord, ils t’adorent. Alors… veux-tu m’épouser, Yanie Perez ? Le temps semble s’arrêter. Yanie regarde autour d’elle, hésite un instant, puis sourit : — Oui, je le veux ! Je n’arrive pas à croire ce que je viens de voir. Ce n’est pas le fait qu’il veuille l’épouser qui me choque, mais qu’il ait osé franchir le pas si tôt. Christian, malgré sa gentillesse, peut parfois être maladroit, blessant sans le vouloir. Ma sœur en a souvent fait les frais. Nath glisse sa main autour de ma taille et murmure à mon oreille : — Tu sais, ça pourrait être nous, d’ici un an… Je souris à cette idée. — Tu sais que je t’aime, mais… — Mais quoi ? demande-t-il, les yeux pétillants. — Je crois qu’on est encore jeunes pour penser à ça, non ? — Ils ne semblent pas du même avis, dit-il en désignant nos sœurs. Je ris doucement. — Ils ont toujours été un peu fous. Nous, on est plus raisonnables. — C’est vrai. D’ailleurs, j’ai une surprise pour toi ce soir. Je viendrai te chercher, ça te va ? — Je dois d’abord demander à mes parents. Tu sais qu’ils sont stricts sur les sorties nocturnes. — Ne t’inquiète pas, je m’en charge. Il m’embrasse tendrement avant de partir. — À ce soir, murmuré-je. Le regard de Yanie brille encore d’excitation. Si elle est heureuse, alors je le suis aussi. Pour elle, se marier, c’est un rêve. Mais moi, je me demande toujours s’il n’y a pas plus à découvrir dans la vie. Est-ce vraiment le seul but, se marier, avoir des enfants, s’installer dans une routine ? La pensée me trouble, mais je la chasse rapidement. Épuisée par cette journée, je me laisse tomber sur mon lit, prête à me reposer avant mon rendez-vous avec Nath. Plus tard dans la soirée, Yanie me réveille en me secouant : — Cyana, tu es folle ! Nath n’arrête pas d’appeler. Tu te rends compte que tu pourrais louper ta surprise ? Qu’est-ce que je vais faire de toi ! Merde… Nath va vraiment m’en vouloir. Je me dépêche de me préparer, enfilant la première tenue qui me tombe sous la main avant de dévaler les escaliers. En bas, je le vois assis près de mon père, en pleine conversation. — Je croyais que tu étais parti… dis-je, un peu honteuse de l’avoir fait attendre. — Je discutais avec ton père en attendant que tu sois prête. On y va ? répond-il avec un sourire rassurant. Il est tellement adorable. — Oui, on y va. Je dépose un b****r sur la joue de mon père avant de suivre Nath, qui me prend la main avec cette douceur que j’aime tant. Nous marchons ensemble jusqu’à la voiture. Le silence est paisible, ponctué seulement par nos respirations et le bruit de nos pas. — Où m’emmènes-tu ? je demande, intriguée. — C’est une surprise, répond-il avec un sourire énigmatique. Je remarque une certaine nervosité chez lui. C’est rare de le voir ainsi, comme s’il portait un poids invisible. Durant tout le trajet, il ne cesse de me jeter des regards furtifs, comme s’il cherchait à lire dans mes pensées. Après quelques minutes, nous arrivons devant une petite maison, charmante, illuminée par des guirlandes qui scintillent dans l’obscurité. — C’est magnifique, Nath ! Pourquoi ici ? — Parce que je voulais qu’on passe un moment rien qu’à nous, loin des regards des autres. Viens, entre. Il me guide à l’intérieur. Je suis immédiatement frappée par l’atmosphère chaleureuse qui s’y dégage. La pièce est presque vide, mais de grands coussins moelleux recouvrent le sol, créant un espace confortable. Au centre, une petite table basse est joliment dressée avec quelques snacks et boissons. Sur un mur, un projecteur diffuse un film, et des bougies parsèment la pièce, ajoutant une douce lueur dorée. — Tout ça pour moi ? dis-je, émue. — Joyeux anniversaire, murmure-t-il en sortant un écrin de sa poche. Il en tire un pendentif délicat, simple mais élégant, qu’il accroche autour de mon cou. Le bijou brille sous la lumière des bougies, mais ce n’est rien comparé à la lueur dans ses yeux. — Merci, il est splendide, dis-je en touchant le pendentif du bout des doigts. Nath s’approche doucement et pose ses lèvres sur les miennes. Son b****r est tendre, mais chargé d’une passion retenue. Je sens son hésitation, comme s’il s’efforçait de rester dans les limites qu’il s’est fixées. Sa main glisse lentement dans mon dos, me donnant des frissons. Je prolonge le b****r, mais il finit par s’écarter doucement, les yeux brillants. — Tu sais ce que je pense à propos de ton innocence… souffle-t-il. Nath a deux ans de plus que moi, et il a toujours été clair sur le fait qu’il voulait attendre que j’atteigne la majorité avant d’aller plus loin. C’est une de ses convictions les plus profondes, et malgré mon désir, je respecte cette limite. Nous finissons par nous installer confortablement sur les coussins, blottis l’un contre l’autre, profitant de cette soirée magique. La chaleur des bougies, les images du film, et le parfum subtil des fleurs séchées rendent ce moment presque irréel. Le temps semble s’arrêter. Une semaine plus tard. Si quelqu’un m’avait dit que ma vie allait basculer en un instant, je ne l’aurais jamais cru. Tout s’est passé si vite que j’en reste encore abasourdie. Je me sens comme une marionnette dont les fils sont tirés par une main invisible. Je viens d’apprendre quelque chose d’inimaginable en surprenant une conversation entre mon père et un homme inconnu. Moi, Cyana Perez, fiancée à un étranger ? C’est une blague ? Le cœur battant, je pousse la porte du bureau de mon père, le visage marqué par la colère. — De quoi est-ce que vous parlez ? Papa, tu veux vraiment me marier à un inconnu sans même m’en parler ? Ma mère, assise à ses côtés, lève un regard froid vers moi. — Ne sois pas insolente, Cyana. Sors d’ici, maintenant ! ordonne-t-elle d’une voix tranchante. — Oh non, je ne sortirai pas. Vous voulez décider de mon avenir sans mon consentement ? Et vous, vous n’avez pas honte ? dis-je en pointant l’homme du doigt. Comment pouvez-vous être aussi insensible ? Les mots à peine sortis de ma bouche, je sens une gifle brûlante sur ma joue. Je reste figée, abasourdie. Mon père n’a jamais levé la main sur moi… jusqu’à aujourd’hui. Ma mère reste impassible, comme si cette scène était normale. C’est alors que je comprends : tout est déjà décidé. Mon avis ne compte plus. L’émotion me submerge, mes larmes menacent de couler, mais je les retiens. Mon père vient de me montrer que je n’ai plus voix au chapitre. Le rêve que j’avais nourri jusque là venait de se briser en mille morceaux. Ils venaient d’annoncer clairement la couleur.
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