Prologue

751 Mots
ProloguePaul et Colette adorent les escapades culturelles qui les emmènent sur les rives ensoleillées de la Méditerranée, source intarissable de l’imaginaire artistique et littéraire avec Homère qui, au 8e siècle av. J.-C., modelait les chants transmis par les aèdes depuis plusieurs siècles. Le monde de l’Iliade et de l’Odyssée est peuplé de héros qui voguent sur cette mer. La Méditerranée, « Mare nostrum » comme le proclamaient orgueilleusement les Romains, n’est-elle pas le berceau de la civilisation gréco-romaine avec son histoire multimillénaire, ses traditions, ses mythes et ses légendes ? L’Italie, héritière de ce patrimoine inestimable, a toujours ébloui Paul et Colette par la diversité des paysages, la splendeur des cités antiques entre mer et montagnes. La lumière cristalline du ciel azuré, les senteurs du Midi, les saveurs des mets, le goût des vins fruités, l’héritage architectural de la Rome républicaine et impériale ravivent un sentiment de plénitude que le temps n’altère pas. L’île d’Elbe constituait la dernière étape d’un périple maritime qui les avait transportés de la Corse à Capri, longeant les côtes de la Sardaigne, de la Sicile et de Malte, l’ancienne colonie britannique. En visitant « la villa des Moulins » de Portoferraio où résida Napoléon après l’abdication et l’exil imposés par les Grandes Puissances en 1814, Paul ressentit une violente émotion. Par un heureux hasard, leur charmante guide de Portoferraio était une concitoyenne, originaire d’un village du Pays des Collines, en Wallonie picarde. Cette rencontre impromptue, inattendue, bouleversait le cours des événements, précipitait une prise de décision toujours reportée. Refoulée dans son inconscient durant des décennies, une légende associée au mythe de Napoléon lui revenait brutalement à l’esprit. Stéphanie, passionnée d’art et d’histoire, polyglotte de surcroît, captivait son auditoire cosmopolite composé de Français, d’Italiens et de quelques francophones de Belgique. Paul l’avait connue autrefois. C’était une enfant enjouée et malicieuse. Sa mère enseignante, écrivaine, avait publié plusieurs romans. Sa fille, férue du patrimoine dès l’adolescence, était fascinée par l’Italie. Lors d’un stage « Erasmus » à Pise, elle rencontra un étudiant italien originaire de Portoferraio. Elle décidait de quitter la Belgique pour s’installer avec son compagnon dans cette île paradisiaque, au cœur de Portoferraio, ville fortifiée à l’allure médiévale. Érudite, volubile, spontanée, Stéphanie accompagnait des touristes ravis, attentifs, dans un parcours mémoriel propice à la découverte du passé envoûtant de l’île d’Elbe. Napoléon en demeurait une figure de proue mythique, particulièrement en cette année 2015 qui marquait le bicentenaire de la bataille de Waterloo. La légende magnifiée de l’empereur des Français, libérateur des peuples, attira dans la villa du petit caporal des milliers de visiteurs accourus des quatre coins de la planète. La présence temporaire de cet hôte illustre marqua durablement l’imagination des habitants de Portoferraio. Napoléon n’était-il pas un enfant de la Corse, une île toute proche longtemps administrée par les Génois ? L’empereur avait fait construire dans le centre-ville, le théâtre « I Vigilanti » où se donnaient régulièrement des concerts prestigieux. Du haut de la vieille ville, chacun avait le loisir d’admirer les fortifications, particulièrement le fort « Stella » érigé sur un promontoire qui dominait la mer, offrant aux visiteurs un spectacle grandiose. En dégustant un cru toscan dans « L’Enoteca delle Fortezze », un bar à vins aménagé dans la grotte de la forteresse Médicis datant du 16e siècle, Paul et Colette échangèrent quelques propos avec leur guide Stéphanie. Cette jeune femme cultivée, au regard malicieux, à l’éloquence bien sentie, rappelait à Paul le souvenir de sa grand-mère Anna morte depuis plus de quarante ans. Comment l’expliquer ? Au siècle dernier, Anna évoquait aussi avec conviction la destinée dramatique des empereurs Napoléon Ier et Napoléon III. Dans son esprit, la légende du prince de Mont-Saint-Aubert était associée au mythe de Napoléon. Autrefois, une aventure amoureuse fugace avec un prince, neveu de Napoléon, avait bouleversé la vie d’une paysanne d’un modeste village du Tournaisis. Cette romance était longtemps demeurée vivace dans la mémoire populaire de Mont-Saint-Aubert. Aujourd’hui, cette histoire d’amour était oubliée, enterrée avec les derniers témoins qui la narraient à leurs proches lors des veillées hivernales. Il n’y a plus de veillées dans nos villages-dortoirs. Paul se rappelait soudain le serment juré à Anna qui agonisait sur un lit d’hôpital. N’était-il pas trop tard pour enfin honorer cette promesse solennelle faite à une mourante ? Saisi par le remords du velléitaire qui redoutait de passer à l’action, Paul se décidait enfin à prendre la plume en rassemblant péniblement ses souvenirs d’enfant. Aurait-il la force d’esprit nécessaire, le brin de talent indispensable, le peu de temps qui lui restait à vivre pour ressusciter, sans trop la déformer, cette légende oubliée du prince de Mont-Saint-Aubert ? L’Histoire, c’est la vie. Il ne faut pas s’accrocher uniquement aux faits historiques. Il y a aussi la mythologie autour des faits et il faut en tenir compte. Elle est la révélation de la mentalité d’une époque dans laquelle les faits se sont déroulés. Jacques STIENNON (1920-2012) Professeur d’Histoire à l’Université de Liège. Première Partie
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