Le jour même du voyage de M. Elton à Londres un événement se produisit qui fut l’occasion pour Emma de juger de son influence sur Harriet. Celle-ci était venue faire une visite à Hartfield après déjeuner comme d’habitude ; elle était ensuite rentrée chez elle et devait revenir pour dîner ; elle arriva avant l’heure convenue ; son air nerveux et agité indiquait clairement qu’il s’était passé quelque chose d’extraordinaire dont elle brûlait de faire part à son amie. À peine assise, elle commença son récit : « Pendant mon absence, M. Martin est venu me demander ; il a rapporté différents morceaux de musique que j’avais prêtés à Elisabeth ; en ouvrant le rouleau j’ai été très étonnée d’y trouver une lettre de lui – de M. Martin – contenant une explicite demande en mariage. Qui aurait pu imaginer une chose pareille ? La lettre est bien tournée, du moins je le crois ; j’ai l’impression qu’il m’aime beaucoup et je suis très embarrassée pour répondre ; je me suis hâtée de venir vous trouver pour demander avis et conseil. » Emma se sentit honteuse en voyant son amie manifester une satisfaction si évidente. – Sur ma parole, dit-elle, ce jeune homme est décidé à ne pas laisser échapper l’occasion de se marier avantageusement. – Voulez-vous lire la lettre ? reprit Harriet. Emma ne se fit pas prier. Elle lut et demeura étonnée : non seulement il n’y avait pas de fautes de grammaire, mais la lettre était digne d’un homme d’éducation ; le ton tout en restant simple était sincère et convaincant et tous les sentiments exprimés faisaient honneur à celui qui l’avait rédigée ; Harriet observait attentivement son amie et dit enfin : – Eh bien, la lettre vous paraît-elle bien ? – C’est, ma foi, une lettre fort bien tournée, reprit Emma, et je suis portée à croire que ses sœurs ont dû y collaborer. J’imagine difficilement que le jeune homme que j’ai vu causer avec vous l’autre jour puisse, livré à ses propres moyens, s’exprimer avec tant d’élégance. Pourtant ce n’est pas le style d’une femme : c’est trop concis et vigoureux. Évidemment ce jeune homme a du bon sens ; il pense clairement et quand il prend la plume il trouve les mots appropriés. Elle ajouta, en rendant la lettre : – Vraiment cette lettre surpasse de beaucoup mon attente. – Eh bien ? Eh bien ? Que dois-je faire ? – À quel point de vue ? Voulez-vous dire relativement à cette lettre ? – Oui.
– Mais il faut y répondre, bien entendu, sans délai. – Que dois-je dire ? Chère Mlle Woodhouse donnez-moi votre avis. – Non, Harriet, écrivez votre réponse en toute liberté ; l’essentiel est de vous faire clairement comprendre : il ne faut pas d’équivoque, pas de doute, pas de sursis ; quant aux expressions de reconnaissance et de regret pour le désappointement que vous causez elles vous viendront tout naturellement sous la plume. – Alors… vous trouvez que je dois refuser, dit Harriet en baissant les yeux. – Si vous devez refuser ! Ma chère Harriet, que voulez-vous dire ? Il y a un malentendu entre nous, puisque vous avez un doute sur le sens même de votre réponse ; je croyais, moi, que vous me consultiez simplement sur la forme et je vous demande pardon de m’être avancée de la sorte. Harriet demeura silencieuse et Emma reprit avec une certaine réserve. – D’après ce que je comprends, vous comptez donner une réponse favorable. – Non, je n’ai pas cette intention… Que dois-je faire ? Je vous, en prie, mademoiselle Woodhouse, conseillez-moi. – Il ne m’appartient pas de vous donner un conseil, Harriet. Vous ne devez consulter que vous-même. – Je n’avais pas idée qu’il m’aimât autant, dit Harriet en contemplant la lettre. Pour s’en tenir à sa déclaration de neutralité, Emma se tut pendant quelques instants, mais, bientôt, craignant que l’influence de la délicieuse flatterie épistolaire ne devînt prépondérante, elle crut opportun d’intervenir : – Je pose comme règle, Harriet, que si une femme hésite d’accepter les propositions d’un homme, elle doit prendre le parti de les repousser ; si elle ne peut se décider sur-le-champ à dire : « oui », c’est « non » qu’il faut répondre. On ne peut entrer dans l’état de mariage avec des sentiments douteux. J’estime qu’il est de mon devoir, comme votre amie et comme votre aînée, de vous donner cet avertissement, mais ne croyez pas que je veuille vous influencer. – Certainement non ; mais si vous vouliez être assez bonne pour me donner votre avis… Non, ce n’est pas ce que je veux dire ; vous avez raison, il faut savoir se décider soi-même ; c’est une question trop grave. Il serait peut-être plus sage de dire « non ». Ne le croyez-vous pas ? – Pour rien au monde, dit Emma en souriant, je ne voudrais vous conseiller dans un sens ni dans un autre : vous seule êtes juge des conditions de votre bonheur. Si vous jugez M. Martin l’homme le plus agréable que vous ayez rencontré, pourquoi hésiteriez-vous ? Vous rougissez, Harriet ! Est-ce qu’il vous semble qu’une autre personne réponde à cette définition ? Harriet, ne vous trompez pas vous-même, ne vous laissez pas entraîner par la reconnaissance. À qui pensez-vous en ce moment ? Les symptômes étaient favorables : au lieu de répondre Harriet se détourna pour cacher sa confusion ; elle se tenait devant la cheminée, tout en maniant machinalement la lettre qu’elle avait à la main. Emma attendait le résultat de cette lutte intérieure avec impatience, mais non sans espoir.
Finalement Harriet reprit avec quelque hésitation : – Mlle Woodhouse, puisque vous ne voulez pas me donner votre opinion, il faut que je prenne une décision toute seule : je suis maintenant résolue… J’ai l’intention de refuser M. Martin. Croyez-vous que j’aie raison ? – Tout à fait raison, ma bien chère Harriet ; vous faites précisément ce que vous deviez faire. Tant que vous étiez en suspens, j’ai gardé mon opinion pour moi, mais maintenant que vous êtes décidée, je m’empresse de vous approuver. Ma chère Harriet, vous me causez une vraie joie. Une des conséquences de votre mariage avec M. Martin eût été de vous séparer de moi. Je n’ai pas voulu vous le dire auparavant pour ne pas vous influencer ; je n’aurais pas pu rester en relations avec Mme Robert Martin d’Abbey Mill. Harriet n’avait pas envisagé cette éventualité ; elle s’écria : – C’est évident ! Je n’y avais jamais, réfléchi. Chère Mlle Woodhouse, pour aucune considération, je ne renoncerai au plaisir et à l’honneur de votre intimité. – À coup sûr, Harriet, j’aurais eu un véritable chagrin de vous perdre, mais c’était inévitable. Vous vous seriez exclue de la bonne société et j’aurais été forcée de vous abandonner. – Mon Dieu ! Comment aurais-je pu supporter cette séparation ! Je serais morte de chagrin de ne plus venir à Hartfield ! – Chère affectueuse créature ! Je ne puis vous imaginer exilée à Abbey Mill, réduite à la société de personnes vulgaires pour le reste de votre vie ! Je suis surprise que ce jeune homme se soit cru autorisé à vous demander en mariage. Il doit avoir une bonne opinion de lui-même. – Je ne le crois pourtant pas vaniteux, répondit Harriet dont la conscience se révoltait devant un pareil parti pris. Il a un excellent naturel et je lui serai toujours reconnaissante. Évidemment de ce qu’il m’aime il ne s’ensuit pas que je doive partager ses sentiments. Je puis l’avouer : j’ai rencontré à Hartfield des personnes avec lesquelles indiscutablement il ne supporte pas la comparaison. Je conserverai néanmoins une très bonne opinion de M. Martin et le souvenir de son affection ; mais quant à vous quitter, c’est à quoi je ne me résoudrai jamais… – Merci, ma chère petite amie, nous ne nous séparerons pas. Une femme ne doit pas épouser un homme pour la seule raison qu’il est amoureux d’elle et capable d’écrire une lettre convenable ! – Oh ! non… et du reste sa lettre est bien courte ! Emma sentit le manque de goût de son amie, mais elle se garda bien de le relever et répondit : – Certainement ; du reste, ses capacités épistolaires eussent été une bien maigre compensation à l’insuffisance de son éducation et de ses manières dont vous auriez eu à souffrir journellement. – Une lettre, ce n’est rien, reprit Harriet ; l’important est d’être heureuse et de passer sa vie avec des amis agréables ; je suis bien décidée à le refuser ; mais comment vais-je m’y prendre ? Que dois-je dire ? Emma lui assura que la réponse ne présentait aucune difficulté, et lui conseilla de s’y mettre immédiatement. Harriet acquiesça dans l’espoir d’être aidée. Tout en protestant de son absolu désintéressement, Emma intervint dans la rédaction de chaque phrase. À mesure qu’elle relisait la lettre pour y répondre, Harriet se laissait attendrir et avait grand besoin d’être encouragée ; elle se montra si préoccupée à l’idée de rendre M. Martin malheureux, si affectée du contre-coup qui allait atteindre la mère et les sœurs, elle manifesta tant d’appréhension à l’idée de paraître ingrate qu’Emma se rendit compte que si le jeune homme avait pu plaider lui-même sa cause, il aurait sans doute été agréé. Cependant, la lettre fut écrite, cachetée et envoyée ; Harriet était sauvée ! Emma ne s’étonna pas que son amie fût un peu déprimée pendant la soirée et s’efforça de la distraire tantôt en lui parlant de sa propre affection, tantôt en évoquant l’idée de M. Elton. – Je ne serai jamais plus invitée à Abbey Mill, dit Harriet d’un air triste. – En supposant que vous le fussiez, je ne sais s’il me serait possible de me priver de vous ; vous êtes trop nécessaire à Hartfield. – Où je suis parfaitement heureuse ! Mme Goddard serait bien surprise si elle apprenait ce qui est arrivé ; je suis sûre que Mlle Nash ne s’expliquerait pas mon refus : elle qui considère que sa sœur a fait un excellent mariage en épousant un marchand de drap. – Il serait fâcheux, Harriet, qu’une maîtresse d’école nourrisse des ambitions exagérées. Mlle Nash, sans aucun doute, considérerait cette conquête comme très flatteuse. Elle ne saurait imaginer rien de mieux pour vous. Les attentions d’une certaine personne ne doivent pas encore avoir transpiré à Highbury et nous sommes, je pense, les seules à soupçonner la vérité. Harriet sourit et rougit ; elle manifesta son étonnement de l’affection qu’elle semblait inspirer. Après quelque temps, toutefois, elle sentit sa compassion pour M. Martin se réveiller. – Maintenant il a reçu ma lettre… ses sœurs doivent être au courant : s’il est malheureux, elles seront malheureuses aussi. J’espère qu’il ne sera pas trop déçu. – Et moi, reprit Emma, j’imagine qu’en ce moment M. Elton est occupé à montrer votre portrait à sa mère et à ses sœurs ; il proteste que l’original est beaucoup plus charmant encore, et cédant à leurs instances il leur confie votre nom. – Mon portrait ! Mais il l’a laissé dans Bond Street. – Vous croyez ? Non, ma petite Harriet, quoiqu’il en coûte à votre modestie, apprenez que votre portrait ne sera sans doute déposé chez l’encadreur de Bond Street que demain au moment du départ. Ce soir, il tiendra compagnie à M. Elton, qui choisira ce prétexte pour mettre sa famille au courant de ses projets, pour vous présenter à elle, pour vous faire connaître les principaux attraits de votre personne. Quelle curiosité sa confidence a dû susciter ! J’entends d’ici les interrogations et les cris de surprise ! Cette gracieuse évocation amena sur les lèvres d’Harriet un sourire plus assuré.
Harriet coucha ce soir-là à Hartfield ; depuis quelques semaines elle y passait plus de la moitié de son temps et insensiblement une chambre lui avait été réservée ; Emma jugeait qu’il valait mieux, à tous les points de vue, garder son amie auprès d’elle le plus possible pendant cette période de crise. Le lendemain matin Harriet fut obligée d’aller chez Mme Goddard, mais il avait été entendu qu’elle viendrait passer une semaine à Hartfield. Peu d’instants après le départ d’Harriet, M. Knightley fut introduit : les salutations terminées, Emma encouragea son père, qui était précisément sur le point de sortir, à mettre son projet à exécution ; M. Knightley joignit ses instances à celles d’Emma et malgré ses scrupules de politesse M. Woodhouse finit par céder. – Eh bien ! dit-il, si vous voulez bien, Monsieur Knightley, excuser mon impolitesse, je crois que je vais suivre l’avis d’Emma et sortir pendant un quart d’heure. Sans doute il est préférable que je profite des heures de soleil pour aller faire un tour. Je vous traite sans cérémonie. Nous autres valétudinaires, nous nous arrogeons des privilèges ! – Mon cher Monsieur, ne me considérez pas comme un étranger ; je vous en prie. – Ma fille me remplacera avantageusement ; elle se fera un plaisir de vous tenir compagnie. Dans ces conditions je prendrai la liberté d’aller faire ma promenade quotidienne. – Rien de plus opportun, Monsieur. – Je vous demanderais bien de me faire le plaisir de m’accompagner, Monsieur Knightley, mais je marche si lentement que ce serait un ennui pour vous ; du reste vous avez encore une longue route à faire pour rentrer à Donwell Abbey. – Merci, Monsieur, merci ; je m’en vais moi-même dans quelques instants, mais je crois qu’il serait préférable que vous ne perdiez pas de temps. Je vais aller chercher votre paletot et vous ouvrir la porte du jardin. Finalement M. Woodhouse s’éloigna, mais M. Knightley, au lieu d’en faire autant, s’assit aussitôt, tout disposé à causer. Après un court préambule il se mit, contre son habitude, à faire l’éloge d’Harriet : – Je n’ai pas une si haute opinion que vous de sa beauté, mais je reconnais que c’est une jolie petite créature ; elle a je crois un bon caractère ; c’est une nature malléable : bien dirigée elle peut devenir une femme de mérite. – Je suis heureuse de vous entendre parler ainsi et j’espère bien qu’elle ne manquera pas de bonnes influences. – Allons, je vois que vous attendez un compliment ; je vous dirai donc que vous l’avez améliorée ; ce n’est plus l’écolière qu’elle était ; elle vous fait honneur. – Je vous remercie. Je serais humiliée, en effet, si je ne croyais pas lui avoir été de quelque utilité ; et je vous suis d’autant plus obligée de votre observation que vous n’êtes pas d’habitude prodigue de louanges. – Ne m’avez-vous pas dit que vous l’attendiez ce matin ? – D’un moment à l’autre ; je suis même étonnée qu’elle ne soit pas ici. – Peut-être a-t-elle été retenue par quelque visite ? – De peu d’intérêt, en tout cas ! – Qui sait si Harriet partage sur ce point votre manière de voir ! Puis il ajouta en souriant : – Je ne prétends pas être sûr de l’heure et du jour, mais je puis vous dire que votre jeune amie apprendra bientôt une nouvelle tout à son avantage. – Vraiment et dans quel genre ? – J’ai des raisons de croire, reprit-il, qu’Harriet Smith recevra bientôt une demande en mariage – de premier ordre. Il s’agit de Robert Martin. La visite qu’elle a faite cet été à Abbey Mill paraît avoir porté ses fruits : il est extrêmement amoureux d’elle et est décidé à l’épouser. – C’est bien aimable de sa part, répondit Emma ; mais a-t-il la certitude de trouver chez l’intéressée une ardeur égale ? – Bien ! Bien ! J’emploierai des termes plus protocolaires : il se propose de demander la main d’Harriet. Il est venu avant hier à l’Abbaye pour me consulter à ce sujet. Il sait que j’ai pour lui et pour sa famille une grande estime et il me considère comme un de ses meilleurs amis ; il venait me demander si je ne trouvais pas que ce fût imprudent de sa part de se marier, si la jeune fille ne me paraissait pas trop jeune ; en un mot, si j’approuvais son choix. Il appréhendait – surtout depuis que vous en avez fait votre amie – qu’Harriet ne fût considérée comme occupant une situation sociale supérieure à la sienne. J’approuvai tout ce qu’il me dit ; je n’ai jamais entendu personne parler plus sensément que Robert Martin ; il est franc, loyal ; son jugement est excellent. C’est un bon fils et un bon frère. Il me fit entendre, en outre, qu’il avait les moyens de se marier ; dans ces conditions, je n’ai eu qu’à donner mon approbation pleine et entière. Je louai aussi la blonde personne et il me quitta fort satisfait. Cette visite a eu lieu avant-hier. Il est naturel de supposer qu’il ne tardera pas à mettre son projet à exécution : il n’a pas parlé hier, j’en infère qu’il est allé aujourd’hui chez Mme Goddard. – Mais, dit Emma, qui depuis le commencement de ce discours souriait intérieurement, comment savez-vous que M. Martin ne s’est pas déclaré hier ? – Ce n’est qu’une supposition, évidemment, mais elle me paraît plausible. Harriet n’a-t-elle pas passé toute la journée avec vous ? – Allons, dit-elle, je vais vous faire une confidence en échange de la vôtre. Il a parlé hier ou pour mieux dire, il a fait sa demande par écrit et il n’a pas été agréé.
Elle dut répéter à deux reprises la dernière phrase pour convaincre son interlocuteur. M. Knightley se leva brusquement, le sang au visage, et dit d’un ton où perçaient la surprise et le dépit : – Alors, c’est une plus grande sotte que je ne l’avais imaginé ! – Ah ! dit Emma, les hommes ne peuvent jamais s’expliquer qu’une femme rejette une demande en mariage : il leur semble qu’on ne saurait récuser pareil honneur ! – Qu’est-ce que vous dites ? Les hommes ne s’imaginent rien de tout cela. Que signifie cette nouvelle : Harriet Smith refuser Robert Martin ! Quelle folie ! Mais j’espère que vous vous trompez. – J’ai vu sa réponse, rien ne pouvait être plus clair. – Vous avez vu sa réponse ! Et sans doute vous l’avez dictée ! Emma, ceci est votre œuvre ; c’est vous qui avez persuadé Harriet de refuser. – Quand bien même je serais intervenue (ce qui n’est nullement le cas) je ne croirais pas avoir mal fait ! M. Martin est un jeune homme respectable, mais je ne puis admettre qu’il soit l’égal d’Harriet ; ses scrupules étaient justifiés. – Comment pas l’égal d’Harriet ! reprit M. Knightley en élevant la voix. Puis il ajouta quelques instants après, d’un ton radouci mais incisif : – En effet, il n’est pas son égal, car il est de beaucoup son supérieur en intelligence et en situation. Emma, votre infatuation pour cette jeune fille vous aveugle. Quels sont les titres d’Harriet Smith, soit comme naissance, soit comme éducation, à une alliance supérieure ? C’est la fille naturelle d’on ne sait qui ; elle n’a probablement aucune dot assurée et, en tout cas, pas de parenté respectable. Nous ne la connaissons que comme la pensionnaire de Mme Goddard. Elle n’est ni intelligente ni cultivée. On ne lui a rien enseigné d’utile et elle est trop jeune pour avoir acquis une expérience personnelle. Elle est jolie et elle a un aimable caractère : c’est tout. J’ai eu des scrupules au moment de donner mon approbation à Robert Martin ; j’estimais qu’il pouvait prétendre faire un mariage plus avantageux : selon toutes les probabilités, il aurait pu trouver beaucoup mieux au point de vue de la fortune et il ne pouvait guère tomber plus mal s’il cherchait une compagne intelligente ou une utile ménagère. Mais à quoi bon parler raison à un homme amoureux ! J’étais disposé à croire qu’entre ses mains Harriet deviendrait une autre femme. D’autre part j’étais persuadé que, de l’avis unanime, elle serait considérée comme extrêmement favorisée du sort. J’escomptais même votre satisfecit ; je pensais que vous ne regretteriez pas que votre amie vous quittât, quand vous la sauriez si heureusement établie.