Le hurlement de la chair-1

2020 Mots
Le hurlement de la chair Roman ISBN : 978-2-35962-844-9 Collection Blanche Dépôt légal mai 2016 © 2016Couverture Ex Aequo © 2016 Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays. Toute modification interdite. Éditions Ex Aequo 6, rue des Sybilles 88370 Plombières-les-Bains www.editions-exaequo.fr Parfois la chair hurle… Parce que frémit au plus profond des corps et des sentiments… Une magnifique nudité de l’âme par-dessus la morale et les hommes ! Sous la chair, le sang ! récit Stanislas BRICE Comment remonter à l’origine de cette rencontre ? S’il est possible de figer ces souffles qui nourrissent la vie alors je me blottis dans l’un d’eux pour arrêter le temps… prendre conscience de ce qui m’est arrivé et le partager avec qui voudra m’entendre. Cet instant de répit, nourri d’amour et de mort, me permet enfin un regard sur ce qui, je peux le dire maintenant, justifie que je sois né parmi les hommes ; alors, veuillez me l’accorder  ! Et s’il n’est jamais trop tard pour bien faire, voici le moment venu pour dénoncer ce qui me mènera droit en enfer. Cela ne dénaturera en rien les quelques minutes qu’il me reste ! Je veux, jusqu’à l’expiration finale, hurler mon bonheur ! Il est temps, maintenant. J’espère que ce destin qui m’est dû comme à chacun ne me jouera pas de mauvais tour dans cette dernière longueur. Puissé-je tenir et tout vous dire ! « Alors que je croyais vivre… j’apprenais à mourir ! » L. De Vinci 1 Comme un pari sur le hasard, j’ai toujours été persuadé qu’un destin m’appartenait et, de toute ma vie, je n’ai rien fait de mieux qu’attendre ce que mon passage sur cette planète se devait de m’offrir. Je suis venu au monde au bon endroit pour ne manquer de rien de vital. J’ai toujours mangé à ma faim et n’ai été vraiment assoiffé qu’après un effort prolongé ; donc pas de manque important pour ce qui est de boire et de manger. De ces autres commodités naturelles, occupations humaines à usage fonctionnel, relationnel ou culturel, je ne vous parlerai que très peu, car en nuançant vos a priori et vos généralités sur la gent humaine, vous pourrez vous imaginer sans trop d’effort ce que peut être la vie d’un homme bien né, sans ambition, solitaire et sauvage, mais bien éduqué, respectueux de tout et de tous, qui ne recherche rien, pas même l’argent et occupe son temps sans déranger personne, n’oubliant pas à l’occasion de s’encanailler pour se donner le sentiment de vivre de façon originale. Ce soir-là, je devais sortir ! Me rendre d’un endroit à un autre me paraissait l’attente la plus absurde ; cela me demandait donc une préparation digne d’un plongeur avant un record d’apnée. À chaque déplacement envisagé, je m’interrogeais sur les bienfaits dont mon côté animal se verrait récompensé si mon côté humain jouait son rôle social ; en l’occurrence sortir pour une soirée. Ces questions ridicules, sans réponse en ce qui me concerne, étaient le grave problème de ma vie. Le temps de ces réflexions devenues trop banales et mon côté animal était pris au piège par l’humain social. J’étais déjà devant mes cravates, j’avais enfilé mon pantalon, ma chemise et changé mes chaussettes. C’est le costume maintenant qui confirmait la décision sociale. J’étais devenu l’autre, cet homme que j’acceptais d’être parfois… l’homme croyant dominer l’animal ! Mais à cette minute, d’où je vous raconte cette histoire, c’est mon animal qui a gagné ! Pour ne rien ajouter à ma conception déjà originale de la civilisation, je me déplaçais donc avec une automobile. J’avais développé un vrai rapport humain avec ma voiture. J’avais pour elle une affection naïve que je ressentais dès que je venais la chercher dans le garage. J’étais le seul à fréquenter cette voiture. Installé côté chauffeur, il me semble n’avoir jamais utilisé l’autre siège. Je jetais toujours un regard sur l’intérieur ; comme je le fais au présent dans cette pièce blanche qui absorbe mes souffles et nos derniers soupirs… Je tournai la clé de contact, et voulant me rendre la sympathie que je lui prouvais, elle ne me décevait jamais quant au prompt démarrage qu’un être normal pouvait attendre d’une telle machine. Moteur en marche, je lui laissais toujours quelques minutes d’accoutumance à son sempiternel devoir mécanique ; minutes pendant lesquelles je vérifiais sur le peu de vieux voyants lumineux dont elle était équipée que « tout allait bien ». Après ce premier contact, je redescendis pour ouvrir la porte du garage. Au fil du temps, j’avais réussi à établir un vrai contact avec « ma » voiture et je pouvais donc dire que nous nous entendions très bien. D’un point de vue marchand, elle était assez chère ; du mien, c’était — mais seulement quand je l’utilisais — l’objet le plus inestimable du monde. Sans doute elle t’aurait plu, tu aurais été la première reçue dans son intérieur. L’endroit où j’habitais, et où, par définition de la mort, j’habite encore pour les quelques instants de conscience qu’il me reste, était assez retiré du village dont je dépendais administrativement. Cela me permettait de laisser la porte du garage ouverte sans craindre qu’un être peu moral puisse succomber à la tentation que représentaient les quelques bidons, pinces et marteaux de mon coin d’atelier. Je pris donc une petite route bombée pour en rejoindre une plus grande, plus plane, d’où partait une vraie départementale. Ma campagne à cette heure ! ? Tiens  ! Il doit être, en ce présent d’où je vous parle la même heure que ce soir-là… Pleine lune aussi, ciel limpide et majestueusement étoilé. Les premières étoiles caressaient la terre, mais me fuyaient au fur et à mesure que je roulais vers elles pour ne pas me livrer leurs secrets, disant juste, « admire-moi toujours, mais ne cherche jamais à savoir qui je suis ! » Les secousses, dues à l’état de la chaussée, me donnaient le sentiment de conduire un engin volant prenant des trous d’air ; alors je partais dans mes délires d’au-delà et devenais « amiral de vaisseau spatial ». Traversant mon village, je croise un piéton poussant un vélo, qui devient alors pour mon scénario de science-fiction un être extraterrestre. Je hurle trois sons par la fenêtre pour signifier le « bonjour » sur cette planète… il hurle à son tour et gesticule à grands bras en se retournant sur mon passage ! Je dois dire que ce sont là les seules circonstances durant lesquelles je tentais d’établir un vrai contact avec les gens du village. Leurs discussions à mon sujet au café feront sûrement vivre mon souvenir après ma mort. Ma présence ici les interpelle surtout par ce qu’ils n’en voient pas. Un homme seul dans une si grande maison, si retiré, si solitaire  ! Si secret ! J’habitais une vaste gentilhommière familiale en bord de Vienne dont j’avais hérité. L’automne pointait ses intentions de douceur. Je me rendais à un dîner. Je connaissais l’endroit où je me rendais pour y assumer à chaque dîner mondain le rôle du vieux célibataire respectable. Statut social qui collait à l’ambiance de cette superbe demeure du 18ème siècle. Ce manoir était la propriété d’amis avec lesquels j’avais en commun les soucis d’entretien de demeure et le bien-être de leurs soirées. Nous nous entendions à merveille par cette intelligence que nous avions d’accepter et de débattre sans pudeur de nos différences. Nous allions « dîner » dans un « salon » d’époque ; l’apéritif sera servi dans la bibliothèque. La table sera fournie de mets d’un intérêt culinaire des plus fins puis suivra l’épilogue digestif, avec promenade dans le parc, et enfin, pour les plus délurés, danse de salon dans le fameux d’époque ou sur les balcons selon l’humeur. La nuit s’annonçait douce. Dans le lointain, une forêt sous les étoiles. Des cimes d’arbres dépourvues de leurs feuilles se découpaient dans le rond de la lune. Je demandai à ma voiture une accélération pour m’enfoncer plus vite dans ce décor ; chose rare, elle répondit efficacement à ma demande. Si la route avait été en ligne droite pendant un kilomètre, j’aurais certainement décollé pour l’au-delà, vers mon royaume… c’est sûr  ! Je me sens aussi décoller, vers toi, là, présentement, de mon lieu de narration, comme si mon cerveau quittait mon crâne ! Plus loin, ce ciel, toujours aussi beau, aussi riche en mystère de lumière et d’obscur. Je me suis arrêté sur le bas-côté pour profiter de ce que je ressentais là, avec ce qui était là. J’aurais voulu retourner au village, réveiller les gens, leur dire : « Regardez le ciel ! Les arbres ! Regardez ! » Mais je savais par expérience que chacun ne voyait dans les choses que ce qui lui correspondait, alors je gardais mon secret, et le rangeais avec toutes ces histoires dont je ne parlerai jamais. Je remontai dans la voiture et ne m’arrêtai plus jusqu’au portail de l’entrée principale de ma destination. Je stoppai mon auto. Une lumière sur l’un des poteaux s’alluma, permettant au gardien placé devant l’écran à l’autre bout de la caméra de m’identifier. Les portes se sont ouvertes, j’ai redémarré et je me suis garé devant ce large escalier de pierre qui surélevait le palier de la maison. « Parfois le hasard, c’est la volonté des autres ! » A. Capus 2 Grâce à la température agréable, la porte d’entrée avait été laissée ouverte. Je n’eus ni à sonner ni à me faire annoncer. Je me retrouvai seul dans le hall, debout, tendu comme dans une salle d’attente de cabinet dentaire avant l’extraction difficile. Derrière la plus grande porte de ce hall, le champagne m’attendait. Figé, je n’osais pas avancer. Intimidé par l’entrée en public à assumer, je me réfugiai dans des gestes de circonstance. Je renouai ma cravate, toussotai, resserrai mes boutons de manchettes, et trouvai dans le peu de cheveux qu’il me restait deux ou trois rebelles permettant à mon narcissisme aigu de se prononcer devant l’immense miroir placé face à l’entrée. Je tremblais nerveusement, mélange de cette peur d’entrer et d’avoir été observé dans ma paranoïa grave ; mais je réussis à entrer. Je n’aurais pu souhaiter meilleure entrée ; la porte que je venais d’ouvrir provoqua un courant d’air si v*****t, que les rideaux s’élevèrent jusqu’à l’horizontale. Dans le même instant, les battants de la porte-fenêtre claquèrent si fort dans une vibration de bois et de vitres que je m’empressai de refermer la porte derrière moi, mais il était trop tard ; déjà, toutes les têtes s’étaient tournées vers moi, le regard chargé d’agressivité envers celui qui, dans un surprenant fracas, se permettait de leur faire peur, pour certains d’en perdre leur superbe, et d’arriver en retard. La vitre aurait pu se briser, ils en avaient déjà condamné et fusillé le coupable. Tout le monde était debout verre à la main entre tables basses et fauteuils. En compassion à mon martyr, j’eus droit à un sourire de Jean-Michel, le maître de maison, qui me pardonna cette entrée fracassante. Cet incident m’empêcha de voir qui se trouvait là, mais déjà Jean-Michel m’entraîna pour les présentations. Le comité était restreint, il y avait Jean-Michel, sa femme Brigitte, Raymond et son épouse puis Charles Trudier que je ne connaissais pas. Serait-il un vieux célibataire concurrent ? Brigitte me précisa que sa nièce, venue se reposer quelques jours, descendrait parmi nous au moment du dîner. Les gens de maison étaient restés pour assurer le service, ce qui me permit très rapidement de goûter le champagne. La première situation de la soirée se passa très bien. Dans les discussions d’usage, j’avais raconté calmement les évènements importants de mes dernières semaines. Le simple fait de les reporter dans un contexte de narration et d’écoute favorable me faisait accentuer des détails. À en parler ainsi, je trouvais même que j’avais été très occupé et qui plus est, par des choses assez intéressantes ! Toujours est-il que mon auditoire s’enthousiasmait à ce que j’appelais « ne rien faire de mes journées » ! J’avais, moi aussi, écouté patiemment les occupations de chacun ; politesse oblige, flânant de petits fours en plateau et de plateau en buffet. J’en avais oublié la nièce que Brigitte appela pour le dîner. J’eus une brève discussion avec la femme de Raymond. Elle me raconta comment ils avaient souffert de la chaleur égyptienne sur le bord de la piscine de l’Hôtel à Louxor ; si chaud que leur appareil photo n’avait pu supporter l’excédent de chaleur et qu’il leur avait fallu se contenter de quelques cartes postales, que la nourriture était bonne, mais grasse, et que les gens avaient les mains moites, et puis encore que, et puis patati et patata et enfin... je réussis à m’éloigner d’elle ! Tout le monde, après une ou deux coupes de champagne et autant de gâteries salées était venu sur la terrasse profiter de la fraîcheur du parc, de ses odeurs et de ses bruits. Le champagne donnait à nos regards une brillance de gentillesse et de bien-être ; comme si une bonne fée ne nous avait réunis que pour nous bien entendre et nous comprendre. Avec les bulles s’étaient envolées les quelques « tenons » de ma dualité humain/animal. La jeune femme qui s’était occupée de remplir les coupes nous en avait débarrassés et nous priait maintenant de passer à table. Elle ouvrit les deux hautes portes du petit salon où était dressée une longue table ovale. La pièce était vide de tout mobilier et malgré la noblesse de l’endroit, j’avais l’impression d’entrer dans une boîte ; sans doute à cause du rigoureux carré de cette pièce après tant d’espace dans le fastueux salon.
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