Les deux frères sont passés pas loin de nous au environ de 17h. Nadir est venu nous tcheker et m'a un peu parlé histoire de prendre de mes nouvelles. Je lui ai expliqué la distance qu'y avait entre son frère et moi et il m'a dit que ça allait passer. J'espère vraiment qu’il a raison. Parce que sans les deux je suis un peu sans repères je l'avoue.
Dans ma vie y a pas beaucoup de personnes que j'aime. Juste ma mère et mon petit frère, mes cousines, les deux frères et mes potes. Et encore, mes potes je leur parle certes mais je ne leur raconte pas tout de moi. De toute façon y aura toujours des secrets qui resteront au fond de nous sans jamais y ressortir. Parce que tout raconter c’est simplement montrer ses faiblesses.
Salwa rentre chez elle quand il commence à faire nuit et je reste encore un peu sur le banc à surveiller mon petit frère. Enfin, je sais pas si on peut appeler ça surveiller, mais je veille sur ses arrières. Younes dribble, met un petit pond à son pote et tire. Poteaux rentrant. Trop fort. En même temps c'est de famille. Il enlève ensuite son maillot comme les joueurs pro et cours tout autour du terrain pour se venter de son but. Ses potes le félicite et lui saute dessus. Ils me fatiguent ces petits. Au même moment Nadir repasse au fond de la cité et je le vois accompagné d'une nouvelle racli. Il change de meuf toutes les semaines ou bien ? La dernière fois c’était Ines. Qui ça peut bien être aujourd’hui ? Je rigole en les regardant marcher jusqu'au parking et soudain, quelqu'un surgit de nul part pour venir vers moi. C'est justement Ines. p****n, comme par hasard...
— Tu me gâche la vue là, je lui dis un peu sec.
— Désolée Anna, c'est juste que... Est-ce que je pourrais te parler ?
D'où elle connaît mon blaze déjà ? Rah ouais. Je dis rien et elle se pose à côté de moi. Je me recule un peu parce que voilà quoi, les tâches de fond de teint sur mon ensemble du Barça à 130 balles nan merci.
— C'est par rapport à Nadir... commence-t-elle.
Sans déconner ? Comme si je m'attendais à ce qu'on parle de chicha et de caves.
— Quoi Nadir ?
— Tu sais s'il a quelqu'un d'autre en vue ? Parce que j'essaie de le contacter depuis plusieurs jours mais il ne me répond pas.
Elle est conne ou elle le fait exprès là ?
— Je sais pas si t'es au courant mais la vie c'est pas gaufrette. S'il te répond pas c'est que...
Et là elle tourne la tête et voit Nadir avec l'autre meuf. Mais vraiment comme par hasard quoi ! Bon bah voilà, il est cramé. Ines baisse la tête et reporte son attention sur moi. Elle a une larme qui coule sur sa joue. Pourquoi se met-elle à pleurer ? Elle le kif ou quoi ?
— Wah... pleure pas toi aussi, fais-je.
— Il me trompe...
Mais ?????? Depuis quand les putes se font tromper merde !
— J'aurais jamais cru ça de lui. Il m'a promis plein de choses et là il traîne avec une autre fille. p****n je suis trop bête.
Et elle continue de pleurer. Elle chouine au sérieux. Je suis choquée ma parole.
— Eh tu l'aime de ouf ou quoi ? je veux savoir.
Ines hoche la tête et essuie ses larmes.
— Bah oui. Je me suis vite attachée. C'est ça mon problème, à peine je rencontre un gars que je finis par tomber amoureuse de lui. Et comme toujours, il me la met à l'envers.
Vas-y j'aime grave pas voir les gens pleurer. Faut je trouve un mito. Je regarde Nadir et la meuf au loin : ils n'ont pas l'air proche. Bon, on va lui sortir une diskette hein.
— Nan mais tu sais, la fille avec qui il est, c'est pas sa meuf hein.
Ines lève directement la tête.
— T'es sérieuse ?
— Bah... ouais. C'est sa cousine Aïcha. Ils se voit souvent.
— C'est pas un peu bizarre ?
— Bah nan. C'est QLF quoi.
Je suis vraiment une grosse mito.
— C'est quoi QLF ? demande alors Ines.
Faut tout lui apprendre à elle.
— C'est comme ce qui nous représente nous. Que la famille si tu préfères...
— Et toi, tu fais partie de ce groupe ?
— Ouais.
— Et Aïcha ?
— C'est qui ça ?
— Bah tu viens de me dire que c'était la cousine de Nadir !
Ah ouais c'est vrai. J'avais déjà oublié.
— Nan elle est pas QLF.
— Hum... Eh est-ce que tu penses qu'un jour moi je serais QL...
— Bref ta gueule.
Je la laisse en plan et crie à mon frère de remonter à la maison. Il est 20h30, c'est l'heure de la bouffe.
A la maison c'est le calme complet. Même les mouches on les entend pas. Je fronce les sourcils et pars voir la madré dans la cuisine. Quand je la vois allongée par terre les yeux fermés je comprends directe ce qui se passe. Pas le temps de réfléchir, je crie à Younes d'appeler les urgences et je me précipite vers elle pour lui relever la tête. J'essaie de lui donner des petites claques pour qu'elle se réveille mais rien, aucune réaction. Je m'approche de sa poitrine, elle respire encore.
Un quart d'heure plus tard les pompiers arrivent et l'embarquent avec eux dans le camion jusqu'à l'hôpital du coin. Je la suis avec Younes et on nous demande de patienter dans les couloirs. J'ai le temps de me bousiller les ongles durant toute l'attente. Ils prennent trop de temps c'est enfoirés !
— Calme toi, me conseille Younes.
Je réponds pas et continue de bouger frénétiquement ma jambe de haut en bas. J'ai les nerfs. J'ai le stress. J'ai le doute. Mama a souvent ce genre de malaise. Ça a commencé y a trois ans mais plus les mois passaient et plus j'avais l'impression que ça se calmait. J'ai peur mais en même temps je me dis que c'est habituel et qu'ils savent comment faire pour qu'elle se rétablisse. Je sais plus ce qu'elle a exactement. Un truc pas forcément grave, mais assez important pour qu'on se fasse du mauvais sang Younes et moi.
Le docteur ressort de sa chambre et je me relève.
— Alors ? fais-je. Elle peut ressortir quand ?
— Je suis désolé mais nous devons la garder avec nous cette nuit, mademoiselle Zenoud.
— Attendez comment ça vous devez la garder ? C'est bien un malaise qu'elle a fait, non ? Maintenant elle est réveillée, hein ? C'est calme nan ?
Je le mitraille de question. Rien à foutre.
— Eh bien... C'est-à-dire que nous avons quelques doutes et nous souhaitons voir ce qu'elle a exactement... Je vous ai dit cette nuit mais il se pourrait qu'on la garde plus longtemps. Mais ne vous inquiétez pas, elle n'est pas dans un état alarmant.
Mon frère me retient. Comme si j'allais sauter sur le docteur. Je sais me maîtriser.
— OK OK, grogné-je. Quand on aura des réponses ?
— Nous vous rappellerons dès que possible. Pour l'instant vous pouvez rentrer chez vous.
J'ai envie de cracher sur le coté mais je me rappelle qu'on est à l'hosto, c'est vrai. Avec Younes on fait volte face.
— Attendez ! me retient le docteur.
— Quoi ?
— Êtes-vous majeur ? Parce que sinon nous sommes dans l'obligation d'appeler un membre de votre famille.
Qu'est-ce qu'il me chante le con ?
— Bien sûr que je suis majeur frère ! Vas-y viens on se tire Younes.
Mon frère me suit et on sort de leur hôpital de merde.
— On fait comment pour rentrer du coup ? dit Younes.
— Je vais appeler Nadir.
Quand je lui dis ma situation il est déjà sur la route pour venir nous chercher. C'est un bon. Nadir insiste pour qu'on dorme chez lui mais je préfère rester seule avec mon frère pour réfléchir à tout ça, et pourquoi pas pleurer seule dans mon coin. Bah ouais, si j'aime pas voir les gens chialer j'aime encore moins chialer devant eux.
Les heures passent et j'arrive toujours pas à dormir. Je suis sur le canapé du salon, avec un bas de survêtement et un débardeur sur le dos. La télé est allumée mais en vrai j'ignore le film. J'ai pas la tête à ça. J'ai juste envie de dormir et qu'on soit demain.
A minuit sa toque à la porte. Ça a intérêt à être quelqu'un d'important parce que sinon je lui fous mon poing dans la gueule. Je me lève comme un zombie et ouvre la porte. C'est encore Nadir. Je suis fatiguée mais ça me fait plaisir de le voir.
— Vas-y entre, je lui dis.
Je frotte mes yeux et il se pose à côté de moi. Il a une tête de cadavre. Ça me fait bizarre de le voir aussi sérieux et... triste ?
— J'arrivais pas à trouver le sommeil à cause de toute cette histoire, commence-t-il. Ça me fous le mort.
— Hum.
— Alors, c'est quoi encore ?
Lui-même sait que ma mère a souvent ces problèmes de santé. D'ailleurs je crois que c'est le seul à le savoir avec Tarek.
— Sûrement la même chose que d'habitude. En fait je sais pas. Juste que je vais devoir rester seule avec Younes un moment.
— T'es sûre que tu veux pas venir chez nous ? Tu sais très bien que y a de la place pour vous deux et qu'on peut s'adapter.
— Merci fréro mais c'est mieux qu'on reste là. Mama reviendra bientôt.
Pourquoi elle ne reviendrait pas ? Elle a toujours été mieux après ses malaises jusqu'à maintenant. Je vois pas pourquoi ça changerait.
Je suis obligée d'espérer le meilleur. Si je deviens pessimiste je vais partir en couille, je le sais. Et moi quand ça va pas je peux devenir complètement folle.