Chapitre4

1378 Mots
« Mariée ? » répétai-je, la voix étranglée par la stupeur, une brûlure me montant dans la gorge. « Ce n’est pas drôle, arrête de te moquer de moi ! » « Tu crois vraiment que je plaisante ? » répondit-il, son regard aussi fixe qu’un mur de pierre. « Bien sûr que tu plaisantes. Je ne te crois pas. » « Ce n’est pas grave. Tu ne me fais pas confiance maintenant, mais tu le feras bientôt », dit-il, serein, presque sûr de lui. « Je ne veux pas te suivre », dis-je d’un ton implorant, la peur me serrant la poitrine. « Ne m’oblige pas à te contraindre, Blue », murmura-t-il avec un soupir. Le silence tomba, seulement troublé par le vent qui siffla entre les arbres. La nuit semblait retenir son souffle, tout comme moi. Le battement rapide de mon cœur se mêlait au bruit lointain de la pluie et au souffle régulier de l’homme qui me faisait face. Je ne savais plus à quoi me raccrocher, ni qui croire. Pourtant, quelque chose dans ses yeux, cette lueur indéfinissable, me soufflait que je pouvais tenter de lui accorder une chance. « Essaie simplement de me faire confiance, Blue. Tu verras, tu ne le regretteras pas », dit-il d’une voix douce, presque apaisante. Je le fixai longuement, scrutant la moindre ombre de son visage. Après un moment, j’inclinai lentement la tête. Même moi, je ne comprenais pas ce qui venait de me pousser à céder si facilement. « Allons-y », déclara-t-il en me tendant la main. Je restai immobile quelques secondes, puis finis par glisser mes doigts dans les siens. Sa main était large, ferme, d’une chaleur tranquille, semblable à celle d’une flamme dansante qu’on approche prudemment. Il fallut un instant à ma peau pour s’habituer à ce contact inattendu. « Où m’emmènes-tu ? » murmurai-je. « Chez moi. » « Chez toi ? » répétai-je, incrédule. « Tu as parlé d’une marche de dix minutes dans la forêt, mais… tu sembles riche. Alors pourquoi vivre ici ? Tu pourrais avoir une maison en ville, un manoir, ou même un palais si tu voulais. Pourquoi une cabane perdue dans les bois ? » Un léger sourire étira ses lèvres. « Qui t’a dit que j’habitais dans une cabane ? » « Eh bien… tu vis dans la forêt, non ? » « Pas exactement, ma douce Blue. Tu comprendras bientôt. Ma demeure suffira à te convaincre. » « Et où est-elle, cette demeure ? » « Tu verras bien », répondit-il simplement. Il ôta soudain son long manteau noir, fait d’un tissu dense et raffiné. La dernière fois que je l’avais vu, il ne le portait pas. Peut-être l’avait-il déposé quelque part avant de revenir me trouver. Avant que je comprenne ce qu’il comptait faire, il me l’avait déjà passé sur les épaules. Le tissu lourd me couvrit presque entièrement. Mes bras nus frôlèrent ses doigts lorsqu’il referma le manteau autour de moi. Un frisson parcourut ma peau à ce simple contact. « Qu’est-ce que tu fais ? » balbutiai-je. « Il pleut, et tu vas attraper froid », répondit-il simplement, comme si c’était une évidence. Ce geste, banal pour la plupart, me bouleversa. Personne ne s’était jamais soucié que je puisse tomber malade, encore moins mourir. « Et toi ? Tu n’en as pas besoin ? » « Non. Je ne tombe jamais malade », dit-il en haussant à peine les épaules. « Merci », murmurai-je, presque honteuse de le dire. « Ne me remercie pas pour si peu, ma belle. Sinon tu vas passer ton temps à me remercier », répondit-il avec un demi-sourire. Ses lèvres, d’un rose brun doux, esquissèrent une courbe discrète, empreinte de quelque chose d’indéfinissable – de la tendresse, peut-être. Nous nous enfonçâmes dans la forêt. Son manteau me protégeait de la pluie, mais mon visage et mes cheveux étaient trempés. Il tenait toujours ma main, et, à ma grande confusion, ce simple geste me donnait des papillons dans le ventre. « Pourquoi fais-tu tout ça ? » demandai-je enfin. « Tout ça ? » répéta-t-il, feignant l’ignorance. « Tu veux m’épouser ? Pourquoi ? » Il laissa échapper un léger rire. « Parce que je le veux. » « Mais pourquoi moi ? Tu es beau, riche, sûr de toi. Tu pourrais avoir n’importe quelle fille. Pourquoi une fille abîmée comme moi ? » « Regarde-moi », dit-il doucement. J’obéis. « Depuis la première fois que je t’ai vue, je t’ai voulue. » « Quand m’as-tu vue ? » demandai-je d’une voix tremblante. « Il y a longtemps. » « Quand, exactement ? » Il ne répondit pas, continuant simplement à avancer. Ses pas étaient lents, mesurés, comme s’il voulait m’accompagner sans me presser. Marcher à ses côtés me paraissait irréel. L’odeur humide de la terre et des feuilles mouillées emplissait l’air, mais c’était une autre fragrance, plus subtile, qui me troublait – la sienne. Un parfum chaud, puissant, presque enivrant. J’aurais voulu m’en approcher, respirer plus près encore, poser mon nez contre sa peau pour la sentir vraiment. « Comment t’appelles-tu ? » demandai-je à voix basse. « Démétrius », répondit-il. Le nom vibra dans l’air, ancien et solennel. Il me plut aussitôt. J’eus envie de le prononcer encore, juste pour sentir comment il résonnerait dans ma bouche. Peut-être trébucherais-je sur les syllabes, ou peut-être qu’elles danseraient naturellement sur ma langue. Je brûlais de lui poser mille questions, mais la peur me retenait. Et s’il se fâchait ? Et s’il me punissait ? Je n’étais pas prête à revivre la douleur d’un coup. Comme s’il avait lu dans mes pensées, il dit calmement : « Blue, tu peux tout me demander. N’aie pas peur de moi. Je suis ton futur mari. Tu n’as aucune raison de me craindre. Du moins… pas toi. » Ces derniers mots me glacèrent. Les autres, eux, devaient le craindre. Pourquoi ? Il semblait froid, presque surnaturel, mais ses paroles contredisaient cette impression. « Vas-y », murmura-t-il. « Demande-moi ce que tu veux. » « Tu vis seul ? » « Non. Ma famille habite avec moi, ainsi que quelques domestiques. » Je fronçai les sourcils. S’il disait vrai, il devait vivre dans un endroit immense. Mais où ? « Regarde devant toi », dit-il soudain. Nous étions arrivés dans une partie plus dense de la forêt. L’obscurité y régnait presque totalement, percée seulement par le bruit discret des gouttes tombant des feuilles et des petits animaux fuyant à notre approche. « Tu habites ici ? » chuchotai-je, incrédule. « Tu verras, ma fiancée », dit-il avec un sourire qui fit bondir mon cœur. Ce mot – fiancée – me frappa de plein fouet. Comment pouvait-il me nommer ainsi après si peu de temps ? Pourtant, il avait dit m’avoir vue depuis longtemps… Un doute m’effleura. Et s’il m’avait observée, depuis des années peut-être ? « Puis-je te poser une question ? » dis-je, hésitante. « Bien sûr, ma fiancée. » Je tressaillis encore à ce mot, mais parvins à articuler : « Quel âge as-tu ? » « Devine », répondit-il, amusé. « Je dirais… vingt-cinq ? » « Presque. J’en ai vingt-quatre. » Sept ans de différence. Pas tant, mais assez pour que je le ressente. Dans deux jours, j’aurais dix-huit ans. « Cela te dérange ? » demanda-t-il. « La différence d’âge ? Non, je… je crois pas. » « Bien. Je ne suis donc pas trop vieux », dit-il avec un sourire léger. Je lui rendis son sourire malgré moi. Ses lèvres se courbèrent avec une élégance naturelle, révélant une fossette sur sa joue gauche. Son regard, plus doux, me troubla profondément. Devant nous, un arbre gigantesque se dressait, majestueux. « Un sapin de Douglas côtier », murmurai-je. « Tu connais cet arbre ? » demanda-t-il, surpris. Je relevai les yeux vers lui, interdite. J’avais à peine soufflé ces mots, pourtant il les avait entendus. Comment était-ce possible ? « Oui, j’ai lu à ce sujet », répondis-je. Et, sans m’en rendre compte, je me mis à expliquer ce que je savais, laissant les mots couler d’eux-mêmes. Puis, gênée, je m’interrompis brusquement. « Désolée… j’ai tendance à parler trop quand je connais un sujet. Je ne voulais pas t’ennuyer. »
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