Becca ne trouvait pas le courage de lui exprimer ses regrets, elle était lâche, lâche et ingrate. Car au fond d'elle-même, elle savait que tout ce qu'elle avait dans la vie lui était indirectement dû, le temps et les efforts avaient été dépensés par elle, mais seulement parce que, fraîchement diplômée à dix-huit ans, lorsqu'elle s'était présentée dans les bureaux de Bradell& Roberts pour chercher un stage en vue de s'inscrire à l'école de droit, elle avait rencontré M. Harrington qui l'avait présentée à son patron et avait dit du bien d'elle pour qu'elle obtienne le poste.
Par la suite, il avait été facile de revenir pour le stage, puis d'être embauchée et de devenir associée comme elle l'espérait dans un an ou deux, elle avait passé plus de dix ans de sa vie à travailler pour Bradell&Roberts et n'avait jamais regretté un seul instant.
Au cours de ces dix années, tous ses succès, les affaires qu'elle avait gagnées, l'expérience qu'elle avait accumulée, le salaire généreux qu'elle avait reçu et qui lui avait permis de vivre une vie paisible et heureuse, tout cela s'était produit parce qu'elle connaissait personnellement Alexander Harrington.
Cette connaissance ne lui plaisait pas, peut-être même l'irritait-elle. En effet, elle se sentait redevable envers lui et, au fil des années, s'était sentie presque obligée de donner le meilleur d'elle-même pour prouver qu'elle pouvait y arriver toute seule.
Peu d'efforts efficaces, car seul Simon Bradell connaissait sa relation avec la famille Harrington et il était très satisfait de ses performances professionnelles, comme il le lui avait souvent dit.
Mais, elle n'avait jamais réussi à se libérer de ce sentiment lancinant d'obligation, d'où ses tentatives de s'éloigner le plus possible de lui. Elle n'y était pas toujours parvenue, l'homme était après tout un personnage public et elle travaillait dans l'immeuble qui abritait le siège financier de sa société et qu'il venait d'acheter comme l'une des nombreuses autres propriétés de Harrington Corp.
Rebecca le savait parce qu'elle avait préparé l'accord d'achat et de vente, elle n'effectuait généralement pas de tâches concernant Harrington, mais on lui avait confié de temps en temps des tâches inhérentes.
Rebecca se retourna pour regarder l'homme pensivement, ses yeux s'étaient habitués à l'obscurité et elle pouvait maintenant distinguer ses traits, mais voyant son regard revenir, elle détourna précipitamment les yeux, embarrassée.
Elle vérifia à nouveau son téléphone portable, mais malheureusement il n'y avait toujours pas de signal, et trente minutes s'étaient déjà écoulées.
Entre-temps, le bruit de l'orage continuait à dominer tout le reste et aucun signal ne parvenait non plus du standard téléphonique.
Avec un mal de tête qui la tourmentait, Rebecca changea de position, serrant ses jambes et posant sa tête sur ses genoux à la recherche de chaleur. Il faisait assez frais dans l'ascenseur et l'air froid lui donnait des frissons.
M. Harrington retira très gentiment son manteau pour le lui offrir. Incapable de s'empêcher de tressaillir, Rebecca s'efforce au moins de garder un ton ferme pour lui répondre.
"Je vais bien, merci." déclina-t-elle d'un ton qu'elle espérait poli, mais détaché.
"J'insiste." répondit l'homme avec fermeté. "Je ne sais pas combien de temps nous devrions rester ici." ajouta-t-il, et il était évident que cela ne lui plaisait pas. Pour un homme aussi sûr de lui, habitué à contrôler sa vie de manière absolue, la situation ne devait pas être très agréable.
Honnêtement, elle n'aurait pas hésité à profiter de ses manières de gentleman, mais sa conscience la tracassait et elle n'osait même pas le regarder dans les yeux.
"Vraiment ?" lui demanda-t-il d'un ton moqueur.
Elle sentit ses joues brûler d'embarras et lui lança un regard plein de ressentiment.
"Prends-le, je ne voudrais pas que tu prennes froid et que tu ajoutes sans cœur à ta liste !"
"M. Harrington..." mortifiée et irritée à la fois Rebecca se redressa d'un air posé en cherchant les meilleurs mots pour s'excuser auprès de lui.
"Alex", l'interrompt-il. "Mais je pense que vous le savez déjà... Miss Harris !" ajouta-t-il avec dérision.
"M. Harrington !" reprit-elle, maintenant presque argumentée et ignorant l'implication. "Je ne savais pas qu'il était là..." ajouta-t-elle bêtement, ce n'était pas ce qu'elle voulait dire, mais son regard intense qui la scrutait profondément comme s'il voulait lire dans son âme et son expression à la fois imperturbable, mais aussi amusée la tourmentait.
Il ne se comportait pas comme d'habitude, aurait-il pu supporter un M. Harrington en colère, avait-il le droit d'être en colère, voire inflexible et rigide, mais amusé ? Avait-il toujours été aussi auto-ironique ou essayait-il peut-être de la mettre sur la sellette, et oui il se vantait de bien le connaître alors qu'à cet instant il lui paraissait un parfait inconnu.
"J'ai bien compris." répondit-il d'un ton moqueur.
"Je ne voulais pas... " Trouvant quelques difficultés à s'exprimer, Rebecca déjà de mauvaise humeur face à la situation et ayant intensément mal à la tête trouva l'attitude de M. Harrington très désagréable. Son ton est donc devenu plus dur et plus agacé qu'elle ne l'aurait souhaité lorsqu'elle s'est excusée. "Je m'excuse." ajouta-t-elle d'un ton neutre, le regard baissé et les lèvres serrées. "Je suis mortifiée et rien ne justifie ce que j'ai dit, je suis désolée. " En guise de réponse, M. Harrington s'est contenté de lui tendre à nouveau son manteau.
"Vous ne le croirez peut-être pas, mais je sais encore comment se comporte un gentleman." lui lance-t-il en guise de raillerie face à sa réticence.
"Merci." répondit-elle froidement, acceptant le vêtement juste pour le contrarier, elle pourrait souffrir du froid si elle insistait, et le drapa sur ses épaules, soupirant de soulagement en se sentant enveloppée de sa chaleur.
C'était un manteau en cachemire assez épais qui avait sûrement été cousu à la main et qui avait coûté une fortune, si bien que Rebecca évita au moins de s'appuyer contre le mur de l'ascenseur et se blottit plutôt contre elle-même.
Pendant ce temps, M. Harrington s'était levé pour essayer à nouveau de contacter le standard, mais il n'obtint pas de réponse, Becca le vit retourner à son siège, mais ne se retourna pas.
Elle sentait son regard sur elle et craignait qu'il ne veuille en rajouter, aussi garda-t-elle prudemment la tête baissée.
Peut-être aurait-elle dû faire semblant de s'endormir pour se sentir moins gênée même si elle était sûre que le pire arriverait lorsqu'ils sortiraient de là.
Elle ferma les yeux sur cette pensée et se concentra sur le bruit de la pluie et le martèlement intense de ses tempes qui ne lui laissait aucun répit.