Chapitre 5 Aaron

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Chapitre 5 Aaron Après mon heure de prison extérieure durant laquelle je me suis rendu presque malade en pensant à cette p****n de date, Hunter m’a mené directement devant le bureau de Kurtis Anderson, le secrétaire de la faucheuse comme on le surnomme entre taulards. Assis sur l’unique banc devant son bureau, je patiente entouré de deux flics qui restent debout à côté du banc. Putain, je vais avoir ma date. Aussi bizarre que ça puisse paraître, j’oscille entre deux sentiments : la frayeur, et le soulagement. La frayeur de crever, réellement. Je ne veux pas voir ce jour arriver comme je ne veux pas devoir annoncer aux miens, que ça y est, nous sommes fixés sur ma fin de vie. Ma vie justement… Est-ce que je mérite de mourir ? Je ne sais pas. Certains comme la juge diraient que oui. J’ai tué. Des dizaines de fois. La mort que j’ai imposée et le sang que j’ai déversé ne m’ont jamais choqué. Si on me mettait un dossier entre les mains, c’est que ces noms devaient disparaître, point barre. Si je prenais l’initiative de buter par moi-même, c’est qu’ils devaient crever, quoi qu’il advienne. La seule et unique fois que j’ai regretté, c’était pour la mère d’Amyliana, et encore… Je m’en veux pour elle, mais pas pour cette femme qui agonisait de souffrances dans son fauteuil roulant. Et où est le mec qui m’a filé les dossiers ? Évanoui dans la nature, évaporé comme un nuage de fumée qu’on balayerait d’un revers de la main, et je paie dorénavant de ma vie pour la sienne. La mort des Blackmerde n’était que méritée. En arrachant la vie de Crew, ils savaient que ma réaction serait vive et sans pitié, qu’aucun retour en arrière ne serait possible et leurs excuses resteraient vaines. Puis, malgré la peur qui m’enserre les entrailles, je suis soulagé. Étrange constat pour un mec qui a envie de se battre pour sa vie, et pourtant, c’est ma réalité. Bientôt, j’en aurais fini avec ce lieu, j’en aurai fini de penser, fini de me torturer les méninges en me demandant ce qu’il m’est passé par la tête quand j’ai pris la décision de me rendre. C’en sera terminé des repas sans goût, des lavages de dents dans les chiottes, des pas esquissés en nombre dans la poussière rouge du sol extérieur, des mains refermées autour des barreaux de ma cellule en espérant qu’avant que je crève la peine de mort soit abolie. C’en sera fini des larmes retenues pour conserver un peu de dignité, c’en sera terminé, tout simplement. Mon regard se perd sur un portrait du Président accroché au mur qui me fait face. Je n’pense pas que ce soit avec ce sale type qu’on soit sauvé, mais je suis incapable de savoir qui pourrait changer ces lois débiles. La peine de mort. Quand tuer une mauvaise personne vous semble la meilleure solution pour soulager votre douleur. Sauf que ce n’en est pas une. Pas dans mon cas. Les seuls qui souffriront dans l’histoire seront la famille que j’ai créée. Ma femme, qui maudira chaque personne qu’elle croisera, qui haïra chaque âme sur cette terre pour la simple raison qu’elle respire. Ma fille, qui j’en suis sûr, une fois adolescente deviendra une fervente militante contre la peine de mort. Elle brandira probablement des pancartes en hurlant des slogans témoignant de la souffrance qui la hantera. Mon fils… Qui lui verra en cette mort la séparation finale de nos deux chemins. — Monsieur Aaron Sproda ? La porte du bureau s’ouvre sur Monsieur Anderson. Petit et maigre, la chevelure grisonnante, cet homme me fixe avec austérité. Je me lève, le cœur au bord des lèvres, puis escorté par les deux poulets, j’entre dans son bureau. ∞ La pièce dans laquelle je prends place est spacieuse et lumineuse. À ma droite se trouve une énorme bibliothèque chargée de livres sur le droit et les lois, à ma gauche un petit salon en cuir autour d’une table basse. Assis face à moi, le fameux Kurt fouille ses dossiers en remontant sans cesse de son index les lunettes qu’il a posées sur son nez. En attendant qu’il commence, j’observe les photos de famille qui trônent sur son bureau. Des gosses âgés de trois quatre ans, j’en déduis des petits-enfants si je me fie à sa tignasse grisâtre, à moins qu’il ait épousé une jeunette. D’un coup sec, il retourne la photo sur le bois du bureau, me lançant un regard noir. A-t-il peur que je me venge de lui en me servant des siens ? Quel connard… — Monsieur Sproda, je vous ai fait venir ici sur l’avancement de votre peine. Je m’adosse contre la chaise, pose les mains sur mes genoux. Mon regard fixé au sien le prie de continuer sa tirade. Qu’il me balance la date au plus vite avant que l’envie de démolir son bureau ne me prenne. Rester désinvolte et fier alors que ce mec va m’annoncer la date de ma mort me demande un effort incommensurable. — Nous avons reçu la date de votre exécution, reprend-il en attrapant une feuille dans mon dossier. Il déglutit, je ne respire plus. Quand je regardais des films avec des mourants, c’était bien différent de ce que je suis en train de vivre. Je me disais « moi si j’étais à leur place, je ferais telle ou telle chose ». Je me disais que j’en profiterais pour voyager, ou bien pour m’essayer à tout ce que je réfutais de tenter avant. Je me voyais bien m’exploser le bide dans les plus grands restaurants, faire du saut en parachute ou à l’élastique. J’imaginais que moi, je ferais un tour du monde des pays que je n’avais jamais vu ailleurs que sur un écran, que je baiserais plus de putes qu’un mec en rut. Je me voyais parfaitement allongé sur une plage, un whisky à la main et un cigare aux lèvres, je me disais aussi que mon fric, j’en aurais eu plus rien à foutre de le dépenser dans des conneries, que je me serais fait tatoué le corps entier juste par plaisir. Mais au final, à moi, on ne me donne pas six mois de délai non, moi, on va me donner un mois. Un mois durant lequel je croupirai derrière des barreaux comme un clebs enragé, un mois à attendre, à stresser, à m’arrêter de respirer. Mes iris ne quittent pas une seule seconde la feuille dactylographiée qui nous sépare. Mon cœur bat à toute vitesse dans ma poitrine, la sueur perle sur mon front. — Vous recevrez votre injection létale le sept août. Le sept août p****n. Un mois. Pile. L’autre me cite mes droits, m’annonce que je ne verrais pas mes proches le jour J si ce n’est derrière une vitre. Il me dit par contre que je pourrais les appeler durant toute la journée, que je pourrais même choisir un repas parmi la carte de la prison. J’ai envie de chialer, j’ai envie de hurler, j’ai envie de me lever et de lui éclater la gueule sur le teck de son bureau. J’ai envie de forcer les barreaux de la vitre derrière lui, j’ai envie de fuir, de revenir en arrière et de ne jamais avoir mis un pied ici. J’ai envie de me mettre à genoux face à lui et de le supplier comme un crétin tant la sentence m’effraie, mais j’ai aussi envie de lui dire de l’avancer à maintenant, à aujourd’hui, à l’instant. Qu’on en finisse au plus vite. Je hoche la tête, la baisse, fixe les bracelets de métal autour de mes poignets. — Puisqu’il s’agit de votre dernier mois au sein de notre pénitencier, je vous accorde une fleur, monsieur Sproda, mais sachez que vous n’en aurez pas de deuxième en cas de problème. J’ai contacté monsieur Hunter Miles et lui ai signalé votre retour dans votre cellule personnelle. Encore une fois, j’acquiesce, incapable de parler. Quand je me redresse, mes jambes tremblent entre elles, mes genoux me font souffrir, la combinaison grise me colle à la peau. — Passez une excellente journée. J’arque un sourcil, m’empêche de lui dégueuler mon sarcasme à la gueule. « Excellente journée » et peine de mort ne riment pas ensemble. Ça ne concorde pas, ça coince, ça m’arrache la gueule et les tympans. Ça va même me crever.
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