Les applaudissements fusèrent de parts et d'autres dans la foule alors que je venais d'achever mon discours d'inauguration bientôt suivi par les flashs incessants des journalistes.
Ils peuvent pas s'arrêter ceux-là?
Je descendis de l'estrade aménagée pour mon discours en lançant parfois des sourires crispés à certains invités. Ils avaient tous le regard fixé sur moi comme si des cornes rouges m'avaient poussé sur le front. Je marchai jusqu'à un serveur en évitant stratégiquement les discussions et m'emparai d'un verre de vin blanc sur son plateau. Je continuai mon chemin jusqu'au seul balcon de l'étage qui était un peu éloigné de l'agitation.
Aujourd'hui, je venais d'inaugurer une filiale de mon entreprise à Madrid. CARTER HOUSE avait pour objectif d'être présent un peu partout dans le monde en commençant par s'implanter dans les grandes villes. Madrid fut la 37e ville sur la liste. La prochaine sera Le Caire en Égypte.
Mon verre toujours en main, je sortis du bâtiment nouvellement construit et allai m'aventurer dehors; là où j'avais une meilleure vue sur l'ensemble de l'immeuble. Comme toutes les autres, le CARTER HOUSE de Madrid n'échappait pas au luxe et à la qualité. J'étais fier de cette nouvelle œuvre que j'avais fait mettre en place. Adossé contre une des voitures garées dans le parking, je levai mon verre à l'immeuble illuminé de pr et d'autres par des lampes puissantes et je le portai à mes lèvres. Je fermai les yeux pour savourer la douce descente de l'alcool dans ma gorge avant de les ouvrir et de me décider à retourner à l'intérieur. En tant que seul maître de la soirée, je me devais d'être présent auprès de mes invités. À peine ai-je franchi le seuil de la porte du hall qu'un homme de la quarantaine en costard blanc me félicita.
- Félicitation Jason. Je savais que ton père t'avais transmis le gène de l'entrepreneuriat.
- Merci beaucoup Addams.
Il hocha la tête et sortit à son tour. Addams Kurt fut l'ami de mon défunt père. Il avait d'une certaine manière contribué à ma formation professionnelle et pour cela, je lui en étais toujours gré.
Je rejoignis le balcon que j'avais quitté plutôt sans manquer d'adresser des signes de tête à certains ou de répondre aux «Félicitations» hypocrites d'autres. La réussite était devenu un facteur de jalousie de nos jours. Il y en a qui sont réellement contents pour vous mais à y regarder de plus près, ils sont moins nombreux que ceux qui font semblants d'être contents pour vous. Je soupirai en secouant la tête de gauche à droite et je vidai d'une traite mon verre de champagne.
- Une nouvelle CARTER HOUSE à Madrid! Je crois que je vais finir par jalouser votre omniprésence sur le globe terrestre.
Un frisson me parcouru net quand une voix au timbre légèrement mexicain me parvint aux oreilles. Pourtant, elle ne m'étais guère familière. Je me retournai donc lentement comme si j'avais peur de ce que j'allais trouver dans mon dos. Mon regard se posa finalement sur une jeune femme de taille moyenne perchée sur de hauts talons aiguilles qui lui conféraient une silhouette effilée. Elle était vêtue d'une robe grise qui mettait en valeur sa forme mince et dévoilait au passage une interminable jambe parcourue par des lacets de chaussures. Son visage aux traits fins me disait vaguement quelque chose alors que sa beauté féminine me frappait aux yeux. Elle possédait de grands yeux gris-bleu accentués par un trait d'eye-liner et de jolis cheveux noirs emprisonnés dans un impeccable chignon de tresses d'où s'échappaient quelques mèches ondulées. Je finis par m'arracher de sa contemplation pour ne pas lui faire croire que je bavais sur elle et je me composai une mine neutre.
- Ce ne serait pas de trop si vous me jalousez. J'adore la concurrence, répliquai-je pour répondre à sa phrase de tout à l'heure.
- Je n'en doute pas.
Je devais avouer que j'aimais à entendre sa voix; c'était assez particulier et beau. Elle héla au passage un serveur qui s'approcha immédiatement d'elle puis prit un verre de champagne sur son plateau avant d'envoyer le serveur vers moi. Je posai mon verre vide sur le même plateau et m'en servit un autre. Le serveur s'éclipsa ensuite pour nous laisser à nouveau seuls.
- Toute manière, mes félicitations pour cette nouvelle propriété.
- Merci bien. Cependant, pourrais-je savoir avec qui j'échange depuis quelques minutes déjà ? m'enquis-je poliment.
Elle était physiquement belle; c'était indéniable. Mais il demeurait quelque chose de farouche sur son visage; dans son regard. Elle dégageait une froideur qui contrastait avec le léger sourire qui apparaissait par moment sur ces lèvres charnues.
- Je me doutais bien que vous ne m'ayez pas reconnue. Comme c'est triste ! fit-elle en feignant d'être blessée.
Elle porta son verre à ses lèvres et en but une gorgée. Ensuite, d'une démarche féline, elle s'approcha de moi tout en gardant quelques centimètres raisonnables d'écart entre nous. Pendant ce temps, je ne la lâchais du regard. Elle me tendit ensuite une main aux longs doigts fins, surmontés par des ongles joliment manucurés. Une des rares femmes que je rencontrais et qui n’avait pas des épées à la place des ongles...
- Luna Jenner, se présenta t-elle avec impassibilité.
Une ampoule s'alluma immédiatement dans le coin "souvenirs" de mon cerveau et je lâchai un juron inaudible. Je passai rapidement en revue la silhouette de la jeune femme, cherchant à comprendre pourquoi je n'avais pas deviné aussitôt. C'était donc elle la fameuse LUNA JENNER ! La femme que je voyais en photo dans les journaux était bien moins intéressante que celle qui le faisait face actuellement. Je comprenais maintenant le grain de froideur dans son regard. Fondatrice et directrice générale de LJ TECHNOLOGIES, Luna Jenner ou "la femme de glace" comme l'avait surnommée la presse, était réputée pour son fort caractère. Tout ceux qui collaboraient avec elle l'avait décrite comme une femme sévère, très exigeante et avec un goût très prononcé pour la perfection. Le professionnalisme était un de ses atouts fares. Partout où elle mettait le pied, elle inspirait respect et admiration. Le monde des affaires était devenu de plus en plus compliqué de nos jours. Il était rare de voir les gens s'en sortir sans avoir au préalable joué de mauvais tours; surtout pour les femmes. Alors que Luna soit aujourd'hui une des plus grandes femmes d'affaires des États-Unis, ce devait être normal qu'elle se comporte ainsi… enfin, c’était ma réflexion.
J'abandonnai mes réflexions pour serrer la main tendue de la jeune femme. Une douce chaleur se dégageait de sa paume de main à l'aspect lisse. Je savourai quelques instants ce contact avant de le rompre à contrecoeur.
Eussss.....
- Enchanté de vous rencontrer Mlle Jenner. J'espère ne pas vous avoir froissée en ne vous reconnaissant pas de suite ?
- Ne vous en faites pas. Toute manière, vous vous souviendrez toujours du logo de LJ TECHNOLOGIES et c'est cela qui importe pour moi.
Elle avait dit cela avec une assurance non dissimulée. Bien sûr que j'étais capable_ les yeux fermés même_ de reproduire le logo de sa société. C'était grâce à elle si CARTER HOUSE était toujours équipé d'un système de sécurité infaillible et d'une technologie très satisfaisante. LJ TECHNOLOGIES était certifié N⁰1 dans les TICs depuis qu'il avait mise au point un logiciel bureautique très ingénieux qui me servait beaucoup d'ailleurs. La femme que j'avais en face de moi était un véritable cerveau et j'aimais cela ; les femmes intelligentes.
- C'est drôle ! Je ne le rappelle pas aussi vous avoir invitée à cette inauguration, m'exclamai-je avec provocation en buvant dans ma coupe.
Son regard me détailla quelques secondes de haut en bas avec un rictus amusé.
- Je me suis auto-invitée. Il y a t-il un problème ? Ou devrais-je payer pour ce succulent champagne que je suis entrain de boire? répliqua t-elle en portant à nouveau sa coupe à ses lèvres.
- Ainsi, en dehors du fait que vous soyez une érudite des sciences technologiques et des affaires, vous adorez aussi faire l'intruse dans les soirées.
- Allons mon cher Carter, de vous à moi, vous avez été bien ingrat de ne pas avoir mis mon nom sur votre liste d'invités pour cette inauguration. Vous faîtes recours à nos services depuis des années et vous n'étiez même pas foutu de le remercier.
Elle pointa du doigt la caméra de surveillance au dessus de nos têtes et sur laquelle une b***e noire laissait clairement apparaître en grosses lettres branches "LJ TECHNOLOGIES".
- Ce n'était pas comme si je ne faisais pas des virements sur votre compte bancaire pour régler les factures, soufflai-je agacé.
- C'est une obligation pour vous de régler vos factures mais c'est aussi une marque de politesse de témoigner votre gratitude envers la société. Ça se voit bien que nos services vous satisfont.
Je serrai les dents puis je fermai brièvement les yeux.
- Attendez ! Seriez-vous entrain d'insinuer que je suis malpoli ? grommelai-je mécontent.
- Je ne suis nullement ici pour vous insulter Mr Carter.
- Alors pourquoi êtes-vous là ? répliquai-je du tac au tac. Ce ne sont pas le champagne et la musique qui manquent chez vous.
J'étais légèrement en colère suite aux reproches de Luna. N'allez pas croire que j'étais allergique aux reproches mais je crois bien que je n'avais pas à être redevable envers elle même si sa société jouait indirectement un grand rôle dans le fonctionnement de mon entreprise. Néanmoins, je ne pouvais empêcher mes oreilles de trouver sa voix très alléchante. Son léger accent mexicain donnait une toute autre facette à son anglais et c'était très bon à entendre ; en tout cas, pour moi. Je la vis passer près de moi pour aller s'adosser au balcon et me faire face. Elle croisa élégamment les jambes ce qui écarta encore plus la fente de sa robe pour dévoiler la moitié de sa cuisse gauche. Son teint laiteux et légèrement foncé appelait au toucher.
Mes yeux... Mes PUTAINS de globes oculaires !
Je n'arrivais pas à m'empêcher de la détailler au moindre de ses mouvements ; c'était dingue. Elle semblait si complexe pour une femme de son âge. Mais malgré son attitude glaciale, elle renvoyait parfois l'image d'une femme sensuelle et très irrésistible. Je me demandais si elle le faisait exprès pour déstabiliser ses interlocuteurs masculins.
- En fait, commença t-elle. Je me demandais comment est-ce que vous pouvez dépenser des millions dans la construction du CARTER HOUSE de Madrid et vouloir débourser plus de 70 millions dans l'acquisition de TRUST HOLDINGS. Ne faites donc vous pas d'économies ?
Je lâchai un rire franc face à sa préoccupation avant d'achever le contenu de ma coupe de champagne.
Je crois que ce sera le dernier pour ce soir; je ne suis pas très résistant à l'alcool...
Je reportai mon attention sur Luna et la toisai impassible.
- Vous comptez ouvrir une banque ou vous avez débuté des études en économies ? lui demandai-je ironique.
Elle haussa les épaules, détachée.
- C'est bien de penser au futur dans le présent, dit-elle simplement.
- Sauf votre respect mademoiselle, la manière dont j'use de mon argent ne vous regarde guère, lui dis-je durement.
- Bien sûr que cela ne me regarde pas mais...
- Que voulez-vous au juste Mlle Jenner ? la coupai-je agacé.
Il était clair qu'elle était venue pour quelque chose de bien différent que la soirée d'inauguration. Je venais de voir dans son jeu. J'avais failli oublier qu'elle et moi étions concurrents sur l'achat d'une entreprise.
Luna se racla brusquement la gorge avant de se mordre la lèvre inférieure.
- Je ne pense pas que TRUST HOLDINGS valle une somme aussi exorbitante. Une centaine de millions de dollars pour une entreprise en faillite, c'est vraiment n'importe quoi !
Je croisai mes bras sur ma poitrine sans lâcher mon verre.
Putain, comme il m'encombre maintenant qu'il est vide!
- Mais bien sûr ! Pourquoi auriez-vous fait tout ce chemin depuis Los Angeles pour venir boire du champagne ? Évidemment que vous n'arrivez pas à digérer le fait que j’ai remporté les enchères de TRUST HOLDINGS face à vous, sifflai-je.
- Personne ne digère la défaite, répliqua t-elle froidement.
Je souris.
- Tant pis pour vous alors. Vous allez être obligé de le faire parce que la semaine prochaine, TRUST HOLDINGS sera sous MES commandements.
J'avais fait exprès d'appuyer sur le «mes» pour l'énerver. Fallait quelle assimile le fait que j'étais prêt à débourser autant de millions de dollars possible si la situation m'y emmenait. J’avais remporté les enchères et rien ni personne ne me fera changer d'avis quant à l'achat de cette entreprise. J'avais déjà bien trop de plans pour son avenir; son émergence.
- Vous n'avez pas idée de ce dans quoi vous vous embarquez en achetant cette entreprise, me dit la jeune femme avec un rictus méprisant.
- Alors c'est mon problème, pas le vôtre.
Je vis sa poitrine se soulever avec énergie, signe qu'elle essayait de contenir sa colère grandissante. Tant mieux ! Elle n'était pas la seule à être sur les nerfs ici.
Brusquement, elle abandonna son air colérique pour arborer un sourire avenant.
- Ok d'accord. Et si je vous payais 150 millions, accepteriez-vous d'abandonner ?
Alors là, je rêves ! Non mais elle me prenait pour qui celle-là ?
Je levai les yeux au ciel, dépassé.
- Excusez-moi mais vous me prenez pour qui ? crachai-je hors de moi.
Un éclair de surprise passa dans son regard vert mais il fut bref. Cependant, elle resta muette alors que j'attendais qu'elle dise quelque chose.
- Sachez Mlle, que de la même manière dont vous êtes prête à avoir TRUST HOLDINGS, c'est de cette même manière là que je le suis car j'ai déjà d'importants projets pour cette entreprise. Bonsoir !
Je pivotai sur mes talons, prêt à m'en aller pour clore la conversation quand je sentis une main agripper mon bras droit. Malgré le tissu de veste qui séparait nos deux peaux, j'éprouvai une légère sensation à son toucher. Je tournai la tête vers Luna et je rencontrai ses magnifiques iris pleines de détermination.
- Je vous prie d'y songer. Mais avant, sachez que vous continuerez à avoir affaire à moi tant que vous n'aurez pas décidé d'abandonner. Bonne soirée !
Et de sa démarche féline, elle disparut dans la masse d'invités, me laissant seul à mes pensées...