Serena
Je n’ai pas eu la moindre difficulté à les disperser, les occuper et suivre avec mes hôtes improvisés. La valse des sonneries a commencé quelques heures à peine après notre départ et Nikolaï a fini par me demander de m’expliquer avec eux, de leur dire que j’étais partie de mon plein gré. Et c’est ce que j’ai fait, vaguement, aussi lâche que je suis capable de me montrer avant de m’empresser de raccrocher et de couper mon téléphone.
Je suis prostrée, anéantie par ce que j’ai fait, je ne suis pas partie dans mon cœur et ils me manquent déjà… Je suis presque soulagée de ne plus pouvoir changer d’avis.
- Tu as pu récupérer ce qu’il fallait ? Me demande Aliénor en s’asseyant lentement sur le sofa à côté de moi.
Je tire de la poche arrière de mon jean les deux sachets scellés et les lui donne, elle appelle Kate qui se joint à nous et sort son matériel pour me faire une prise de sang.
- J’ai aussi besoin des recherches habituelles…
- Tu n’as fait aucun examen ?! S’étonne-t-elle en piquant l’aiguille dans mon bras.
- J’étais trop surveillée…
- Alors comment es-tu sûre que ce soit ça ?
- Je le sens, je connais mon corps… Je le sais, et tous les tests de grossesse que j’ai faits sont positifs… C’est tout.
- ça pourrait être une grossesse nerveuse… Avec tout le stress que tu accumules.
- Kate, c’est bon, elle dit qu’elle sait… Fais ce qu’elle demande, tranche Aliénor amèrement.
- Pourquoi tu m’aides après avoir orchestré l’avortement d’Adena ? La questionnais-je.
- Tu sais bien que je voulais que tu fasses ce bébé avec Devon pour le calmer avec sa femme. Je ne pensais pas que tu ferais des strikes à tout va… J’ai besoin d’Adena.
- Parce qu’elle est plus talentueuse que moi.
- Parce que ton cerveau peut continuer de fonctionner alors que son outil à elle c’est son corps.
- Est-ce que tu comptes me parler des raisons qui t’ont conduite jusqu’à ce trou paumé ?
- Chaque chose en son temps… Est-ce que tu comptes me dire pourquoi tu jettes l’éponge avec Giovanni sans répliquer ? Il me semble que tu as décimé Benayoum sans pitié.
- Je ne jette rien du tout… Je patiente. Dès que je saurais, tout sera plus clair… Mais je n’en ai pas fini avec lui.
- A la bonne heure… Je te croyais définitivement résignée.
- Détrompe-toi… Et toi ? Tu es bien différente maintenant qu’il t’accompagne, dis-je avec un signe de tête vers Nikolaï.
- J’ai eu beaucoup de temps pour réfléchir… J’ai une confiance absolue en lui… Et j’ai besoin…
- D’oublier… De passer à autre chose… Est-ce que tu vas t’en remettre ?
- Il m’y aidera… Mais… Je veux dire, je n’ai jamais eu froid aux yeux… j’ai vécu des choses dures dans ma vie… Pourtant là, c’était pire que ça…
Je ressens brièvement les craquelures douloureuses dans sa voix éraillée, elle se contient et garde sa carapace bien soudée même si je la sens complètement dévastée.
Je ne réponds plus rien, je ne trouve pas de mots réconfortants, je sais que dans ces cas-là, il n’y en a pas.
Le jour est levé depuis peu lorsque nous atterrissons, une horde d’hommes nous attend en procession organisée. Je reconnais immédiatement Emery, que j’ai déjà rencontré, je ne prête pas attention aux autres.
- Hey, salut ! S’exclame-t-il l’air sincèrement heureux de me voir, on se prend des petites vacances ?
- Oui, on peut dire ça, lui répondis-je légèrement décontenancée sans croiser son regard.
La dernière fois que je l’ai vu, c’est quand il m’avait aidé, juste après que Giovanni m’avait laissée dans cette position horriblement humiliante. J’ai honte qu’il m’ait trouvé dans une telle posture, une telle situation… Et dans un tel état… Personne n’avait jamais vu les effets immédiats d’un viol sur moi… Je prenais toujours le temps de me reprendre, de m’emmurer, de disparaître complètement sous les précieuses couches de ma coquille, d’enfermer ces films à doubles tours dans ma salle d’archives mentale.
- Les hommes vont prendre les voitures, m’informe Nikolaï en m’indiquant de le suivre jusqu’à l’hélicoptère qui semble déjà prêt à décoller aux vrombissements des pales nous balayant de bourrasques fraîches.
Nous sommes bien loin du désert étouffant du Texas, le temps est bien plus frais, humide… Et je frissonne rapidement tandis qu’il m’aide à monter à l’arrière de la cabine, il prend le temps de sangler Aliénor et l’embrasser en lui glissant quelques mots.
Son attitude est tellement étrange… Bienveillante, tout en étant… Militaire.
Je suis complètement épuisée et il me tarde de rejoindre un bon lit… Je n’ai pas réussi à fermer l’œil dans l’avion, angoissée des évènements qui devaient se dérouler au ranch après la découverte de mon absence. Le bref appel que je leur ai passé n’a pas contribué à m’apaiser une seule seconde et je sais que je devrais rappeler Gabriel dès que j’aurais dormi quelques heures, et organisé mes idées.
Je ne retrouve pas le château roumain d’Aliénor avec le plus grand des entrains… L’endroit est beau… Mais tellement peu familier… Je ne le vois que comme un lieu de détention et de débauche mal famé à l’allure légèrement trop sinistre… Malgré les rayons du soleil matinaux le halant d’une délicate couleur orangée
- Ouais, je trouve que l’endroit te va très bien au teint, tente de plaisanter Aliénor… Moi non plus je n’aimais pas trop avant…
Elle presse le pas en parcourant le parc comme si elle était pressée de rentrer malgré sa faiblesse physique apparente et je ne vois vraiment pas pourquoi… Je suis très vite essoufflée en les suivants tous les deux, Nikolaï de ses grandes enjambées, un sourire plaqué sur son visage cicatrisé mais distingué.
Je ne comprends pas du tout les raisons de leur exaltation croissante, mais je continue d’avancer jusqu’à ce qu’elle pousse de grandes portes en bois massif qui émettent des cliquètements métalliques lorsqu’elle les actionne et nous la suivons alors qu’elle se précipite dans le couloir.
Je ne tarde pas à comprendre les raisons de sa joie lorsqu’une jeune fille aux longs cheveux roux arrive en courant dans le couloir et se jette dans les bras ouverts d’Aliénor en criant maman…
- Bordel de merde… M’exclamais-je en me figeant sur place alors que Nikolaï s’arrête à ma hauteur, dis-moi que c’est sa fille et pas le fruit d’une de ses expériences tordues…
Il éclate d’un rire grave et communicatif.
- C’est sa fille.
- Alors celle-là… Je ne l’avais pas vu venir p****n…
- Elle la cachait bien…
- Dans sa tête aussi… Si on m’avait donné cette info je n’y aurais pas cru une seule seconde… Elle est tellement…
- Cruelle ? Sournoise ? Méchante ? Une vraie mère protectrice quoi…
- Il va falloir m’en dire plus Nikolaï…
- Et toi il va falloir que tu gardes le secret… Y compris pour les habitants du ranch… Pour l’instant.
J’observe à distance les retrouvailles d’Aliénor avec la petite fille.
- Quelle âge a-t-elle ?
- Elle vient d’avoir onze ans…
- On verra tout ça plus tard… J’ai besoin de… Solitude…
- Suis-moi, dit-il alors en m’emmenant dans un couloir adjacent, nous montons les escaliers et suivons d’autres couloirs dans une succession de portes toutes fermées et il finit par s’arrêter devant l’une d’elle.
- Il y a un badge dans le chevet, je suis le seul à posséder le pass général…Notre chambre est à deux portes.
- D’accord, euh… Je dors mal, inutile de débarquer arme à la main…
- Tu fais des cauchemars ?
- Aliénor pourrait bien s’y mettre aussi…
Je rentre dans la chambre dont il me tient la porte ouverte et le remercie d’un signe de tête avant qu’il ne me laisse refermer.