IV

990 Mots
IVÀ une courte distance du bourg se trouvait un collège ecclésiastique où, depuis plus d’un siècle, tous les Penandour avaient fait leurs études. Hoël en était un des élèves les mieux notés, « un peu trop concentré seulement, et trop porté vers la rêverie », disait le supérieur. Il s’y rendait chaque matin, revenait pour le déjeuner et y retournait jusqu’à six heures. Plusieurs fois, dans les jours qui suivirent sa visite à l’oncle Efflam, il croisa sur la route la belle amazone et son cavalier, ou bien une légère voiture attelée d’un vif cheval bai que conduisait Mme de Bréhans, et dans laquelle se trouvaient les fillettes. Dans son costume fané, le modeste écolier ne devait pas attirer l’attention de ces élégantes personnes. Mais lui éprouvait toujours à leur vue un vif intérêt, et la perspective de ces rencontres mettait un peu d’imprévu dans sa vie, qu’il trouvait grise et sans attrait. Il avait des camarades, plus ou moins agréables, mais pas d’amis, car sa nature méditative, secrètement orgueilleuse, ne se livrait pas. Chez lui, il ne se confiait à personne. L’attitude lointaine de sa grand-mère ne l’y incitait pas. La tante Jeanne, férue de poésie, vivant souvent dans un monde imaginaire, sans doute pour tromper son ennui, n’était pas faite pour comprendre une nature telle que celle-ci. Il avait donc une existence morale assez solitaire, d’autant plus que sa ferveur religieuse elle-même manquait de simplicité, de confiance. « Hoël est une âme fermée », disait de lui un de ses professeurs qui l’avait suivi depuis sa neuvième année. En revenant du collège, le soir, le jeune garçon faisait parfois une courte station à l’église, entrait un instant chez M. de Gisquel, puis s’en allait dans le jour déclinant, dans la fraîcheur souvent humide de ces fins d’après-midi. Il ralentissait le pas quand il passait devant la villa, toujours saisi de ce mystérieux attrait jamais éprouvé avant qu’elle fût habitée. Un soir, comme il allait y atteindre, il entendit derrière lui le bruit d’un galop précipité. En se détournant, il vit un cheval qui semblait emballé. Une petite forme féminine, cheveux au vent, se cramponnait aux rênes serrées entre ses doigts. D’un bond, Hoël fut vers l’animal, se suspendit aux naseaux. Il était fort, en dépit de sa maigreur, mais le cheval le renversa. Toutefois, son élan était arrêté et il s’immobilisa un peu plus loin, les jambes tremblantes. Le jeune homme blond que Mme de Bréhans appelait Youri arrivait grand train. Il sauta de cheval, s’élança vers la fillette et l’enleva dans ses bras pour la poser à terre. Très pâle, ses nattes à demi défaites, elle semblait prête à perdre connaissance. – Viens, Kyra, rentrons vite. Les chevaux nous suivront. Je vais envoyer un domestique pour ramener ce jeune homme à la villa, car il me paraît évanoui. Kyra fit quelques pas chancelants vers Hoël. – Il saigne ! dit-elle, désignant le front du jeune garçon. – Oui, mais c’est peut-être peu de chose. Dix minutes plus tard, Hoël, toujours inanimé, était étendu sur un divan dans un petit salon. Un domestique, homme âgé, aux manières onctueuses, lui faisait respirer des sels. Il reprit presque aussitôt connaissance et regarda autour de lui avec surprise. – Qu’est-ce que c’est ? dit-il. – Ah ! cela va mieux ! Je vais panser la petite blessure et tout ira bien, dans peu de temps. Avec dextérité, l’homme, qui portait une livrée marron à parements verts, lava la blessure, posa un pansement. Puis il tendit à Hoël un verre contenant un vin généreux. – La petite fille est-elle sauvée ? Hoël, tout à coup, se souvenait de ce qui s’était passé. – Mlle Kyra est saine et sauve, monsieur. Elle vous doit la vie, d’après les quelques mots que m’a dits M. Youri. – Oui, vous avez sauvé ma petite-fille bien-aimée ! Mme de Bréhans entrait, vêtue d’une longue robe d’intérieur en molle soie blanche. Elle s’avança, se pencha vers Hoël qui la regardait. Un peu de surprise parut sur sa physionomie, puis un soudain intérêt. – Kyra m’a dit avec quelle présence d’esprit, quel courage vous aviez arrêté ce cheval ! Merci, mon enfant ! Il balbutia quelques mots, il ne savait quoi. Un regard brillant et doux s’attachait à lui. – Comment vous trouvez-vous ? – Je me sens mieux... Un délicat parfum l’enveloppait. Une main au contact satiné se posait sur son front. – N’êtes-vous pas un Penandour ? – Oui, Hoël de Penandour. – Le petit-fils de Job de Penandour, peut-être ? Il fit un geste affirmatif. – J’ai beaucoup connu votre grand-père. C’était un homme charmant. Vous avez ses yeux, ses beaux yeux d’une si rare nuance et où passait le rêve... La légère voix caressante laissait tomber les mots avec lenteur. Hoël regardait son interlocutrice et s’émerveillait de cet air de jeunesse, de ce velouté du teint, du charme de ce sourire qui entrouvrait à peine les lèvres roses. – Il faudra revenir me voir, Hoël de Penandour – Je ne crois pas que je puisse... Elle eut ce rire aux sonorités argentines, qu’il avait déjà entendu. – Votre grand-mère ne le permettrait pas ? Eh bien ! il ne faut pas le lui dire. Il y a eu autrefois quelques petites choses qui l’ont froissée. Mais rien ne vous oblige à partager ses rancunes, et vous êtes d’âge à voir qui vous plaît sans avoir de comptes à lui rendre. Allons, promettez-moi de venir... tenez, dimanche, vers quatre heures. Vous verrez Kyra qui vous remerciera elle-même. Allons, promettez ! Sa main serrait celle du jeune garçon, ses yeux aux tons de turquoise souriaient, très doux. Toute hésitation s’envola de l’esprit d’Hoël. – Je vous le promets, madame. – Très bien ! Maintenant, reprenez votre liberté. Je crois que Germain vous a remis à peu près d’aplomb. À dimanche ! Elle lui donna une légère tape et quitta la pièce. Le domestique reparut, accompagna Hoël jusqu’à la grille. Celui-ci, le cerveau un peu étourdi, s’en alla vers le manoir. Il lui semblait être en état de rêve et il ne songeait même pas à l’explication qu’il lui faudrait donner au sujet de cette blessure. Comme il entrait dans le vestibule, Mlle Jeanne de Penandour sortait de la cuisine, un tablier bleu noué sur la vieille robe qu’elle portait au logis. Elle s’exclama : – Qu’est-ce que tu as ? Tu es blessé ? – Ce n’est rien du tout, tante Jeanne. Je suis tombé dans la cour de récréation. C’est tout à fait insignifiant, rassurez-vous ! Lui qui ne mentait jamais, il venait de faire ce mensonge spontanément, sans une hésitation. Et il n’en éprouva pas de remords.
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