Chapitre 3

2251 Mots
Elle n'avait plus dit un mot. Pas même un seul. Exaspéré par ce silence qu'il avait lui-même imposé, lorsque Tayla lui avait demandé avec une pointe d'appréhension comment son peuple allait prendre cette histoire d'enfants naturels et de mariage de convenance, Amir leva les yeux de son ordinateur pour fixer Tayla. Vêtue d'un corsage ample et d'un jean blancs, elle incarnait la pureté. Il avait du mal à croire que c'était cette même femme à l'apparence si gentille qui lui avait menti cinq ans plus tôt. Il détailla son profil d'ange. Son visage en forme de cœur, son petit nez et ses lèvres pulpeuses. Ces lèvres qu'il avait titillées jusqu'à ce qu'elles soient gonflées. Comme si elle sentait qu'elle était observée, elle détourna les yeux du hublot pour arrimer son regard limpide mais combien déstabilisant au sien. Ses yeux étaient toujours aussi captivants. Elle le fixa un instant avant de détourner les yeux . Il reporta son attention sur l'écran de son ordinateur. Le silence pesant persistait. N'étaient-ce le vrombissement du moteur et les rires de Khalid assis à l'arrière avec Briannah et Yasmina, on pourrait croire qu'on était dans un cimetière, où il n'y avait pas âme qui vive. Amir dût fournir un effort surhumain pour ne pas relever la tête quand Tayla toussa. Un tas d'idées lui embrouillait l'esprit dès qu'il la regardait ou pensait à elle. Des idées qu'il s'était promis d'effacer de son esprit quelques heures plus tôt . Et il n'était pas épargné de ces pensées en ce moment. Il était incapable de se concentrer. Les lettres dansaient un ballet étourdissant devant ses yeux. Sa libido s'était réveillée dangereusement. Amir se maudit intérieurement. Penser à ces choses ne ferait qu'attiser son désir et sa souffrance puisqu'il s'était promis de ne pas la toucher. Mais il ne pouvait s'en empêcher. Il la voyait étendue sur son lit, les cheveux épars sur l'oreiller, les yeux brillant de désir. Il se rappelait de ce moment comme si c'était hier. Il sentit son membre se gonfler encore plus, augmentant son incommodité. Bon sang! Cette femme le rendrait fou. Quel imbécile il était ! Croire qu'il réussirait à la voir tous les jours et résister à l'envie de la toucher, de l'embrasser, de la caresser... —Maman, tu viens regarder un film avec nous? L'irruption de son fils mit fin à ses pensées. Une fierté s'emparait de lui à chaque fois qu'il posait les yeux sur ses enfants. Ses héritiers. Khalid lui ressemblait un peu mais avait hérité des yeux bleus-verts de Tayla. Mais la ressemblance de Yasmina avec lui était très... Non. Trop frappante. C'était incroyable. Pourtant, contrairement à Khalid, la fillette avait été très réservée lorsque Briannah le lui avait présenté comme étant son père. Elle n'avait pas sauté de joie mais s'était plutôt cachée derrière Briannah après lui avoir lancé un regard effrayé. Briannah. Il ne lui avait pas pardonné le fait de lui avoir caché la vérité. Elle savait qu'il avait des enfants. Elle lui parlait régulièrement mais avait attendu presque cinq ans avant de lui annoncer cette nouvelle. Et dire qu'elle l'avait contacté pour lui annoncer sa paternité tout simplement parce que la mère des enfants était dans le coma. Amir expira bruyamment. Ce n'était pas le moment. Le présent seul comptait. Et au cours de ce présent, il courrait au devant d'un scandale. C'était incontournable. Zubran avait deux héritiers mais son peuple n'en savait rien. La publicité que cette nouvelle allait déclencher ne serait pas avantageuse pour son pays. Quel mauvais dirigeant il était ! Se dit-il avec un dédain dirigé vers lui-même. Le scandale était incontournable. Il ne pouvait pas dire qu'il était déjà marié et était au courant de l'existence des enfants pour se défendre. Cela ferait jaser les journalistes. Amir se passa une main lasse dans les cheveux. Depuis le début de son gouvernement six ans plus tôt jusqu'à aujourd'hui, il avait donné le meilleur de lui-même pour développer Zubran et éviter les scandales. Il y avait réussi durant la première année de son règne. Mais il avait fallu que cette femme fasse irruption dans sa vie pour qu'il perde la tête. Il n'oubliait jamais de se protéger; cette nuit, pourtant, il n'y avait même pas pensé. Il était tellement occupé à satisfaire le désir que cette femme farouche avait fait naître en lui. Les femmes ne lui résistaient jamais mais elle avait été une exception à la règle. Elle lui avait résisté pendant quinze jours avant de céder ; mais c'était pour disparaître le lendemain matin comme une voleuse alors qu'il dormait. Il se rappela le vide qui l'avait envahi lorsqu'il s'était réveillé et avait remarqué qu'elle avait disparu. Il avait ordonné d'empêcher Tavia Stacks de prendre l'avion mais elle avait réussi. Tout simplement parce qu'elle ne s'appelait pas Tavia Stacks mais Tayla Diaz. Dans l'après-midi, sa vie avait complètement basculé à l'horreur: le corps de Jamila, sa sœur cadette, avait été retrouvé dans le désert, mortifié, martyrisé. Elle avait été violée avant d'être étranglée et défigurée. Et dire qu'il prenait du plaisir alors qu'on enlevait sa sœur pour la v****r et la tuer! Voilà pourquoi, quand son détective privé lui avait annoncé n'avoir trouvé aucune trace de Tavia Stacks, il lui avait ordonné d'arrêter les recherches. Pas question d'avoir cette femme près de lui! E lle lui rappellerait trop de mauvais souvenirs. Quelle ironie du sort! N'était-il pas sur le point de l'épouser ? Il s'adossa contre son fauteuil. Ces pensées faisaient toujours naître en lui des remords. Il avait tendance à se culpabiliser et aussi à rejeter la faute sur Tayla. C'était elle qui avait accaparé son attention après tout. Il avait passé deux nuits consécutives inoubliables cinq ans plus tôt: une première au lit avec Tayla et une seconde au désert, pour identifier le corps de Jamila. Il chassa ses pensées et se passa une main encore une fois dans les cheveux, observant la réaction de Tayla. Cela ne servait à rien de ressasser ces événements. Ce qui était fait était fait. Il fallait chercher à résoudre cette situation pour éviter que le coup soit fatal et que les paparazzis déclenchent un scandale qui ruinerait la réputation de son pays. —J'arrive dans un moment, répondit Tayla, un sourire triste sur les lèvres. —D'accord. Et toi, tu viens papa? Il fut surpris. Pourquoi pas ? Pensa-t-il. Tout simplement parce que Tayla serait là et que son tourment ne disparaîtrait pas tant qu'elle serait près de lui. Il fallait la tenir loin de lui pour le reste du voyage. Malgré son ressentiment envers elle, il ne pouvait s'empêcher de la désirer. —Écoute mon grand, dit-il en le prenant par les épaules. Je suis débordé de travail mais quand j'aurai terminé, on pourra regarder tous les films que tu voudras d'accord? Une déception se peignit sur son visage mais il acquiesça. Il surprit le regard voilé de Tayla. Elle devait le traiter de monstre. Une seule minute à regarder un passage du film comblerait Khalid. Ses yeux se baissèrent sur la poitrine de Tayla qui se soulevait lentement. Son corps réagit immédiatement. Non. Il ne pouvait se le permettre. Il ébouriffa les cheveux de Khalid en souriant. Ce dernier se blottit dans ses bras avant de retourner à l'arrière du jet. Il esquissa un sourire. Son fils l'aimait. Maintenant il fallait qu'il fasse tout ce qui était en son pouvoir pour amadouer Yasmina. S'il voulait avoir avec elle une complicité semblable à celle qu'il avait avec Khalid, il ne lui faudrait pas claquer les doigts mais plutôt user de patience. —Amir. C'était Tayla qui l'avait appelé. Elle le fixait avec étonnement, comme s'il était un criminel. C'est alors qu'il comprit. Elle avait besoin qu'il l'aide à se lever. Et cela voulait dire que leurs corps se frôleraient. Vu son état, il ne pouvait faire une chose pareille. Il fit mine de se concentrer sur des papiers devant lui et lança vaguement : —Tu as quelque chose à me dire ? Un hoquet le fit relever la tête. Elle le dévisageait avec un dédain non dissimulé. —Je te considérais comme un vrai homme depuis quelques temps mais je vois que la première impression que j'avais eue de toi était la bonne, déclara-t-elle après l'avoir dévisagé en silence pendant une bonne minute. Elle fronça les sourcils et poursuit: —Tu es un homme des cavernes arrogant, orgueilleux, méprisable et de surcroît, tu es un misogyne. Je n'aimerais vraiment pas être à ta place, ça c'est sûr. Amir se retenait de se précipiter vers elle pour la contraindre au silence. Oui. Il avait envie de la bâillonner. Mais c'était avec un b****r qu'il avait envie de lui imposer le silence. Le mépris qu'il décelait dans sa voix l'en dissuada. Aussi ne répondit-il même pas à sa tirade, se contentant de la fixer avec arrogance. Tayla se leva lentement du siège en grimaçant de douleur. Amir était un goujat. Il savait qu'elle ne devait pas faire de trop grands mouvements mais il montait sur ses grands chevaux pour qu'elle le supplie de l'aider à se lever de son siège! Il voulait la guerre, eh bien il allait être servi! La tête haute, elle se dirigea vers l'arrière de l'appareil. Là au moins, elle serait à l'aise. Loin de cet homme arrogant qui, malgré ses actes envers elle, éveillait en elle un désir fulgurant. *** Le réveil de Tayla fut brutal. Elle remarqua aussitôt que l'appareil avait arrêté de bouger. Quelqu'un vociférait à l'avant du jet. Tremblante, Yasmina était blottie contre Briannah et le visage de Khalid était pâle. Mais ce fut l'inquiétude qu'elle lisait sur le visage de Briannah qui la fit sursauter. —Que se passe-t-il? Demanda-t-elle à Briannah. —Les journalistes sont dehors, souffla-t-elle. Tayla frémit. Oh, non! Pas aujourd'hui! Elle savait qu'elle aurait à affronter les journalistes mais elle ne s'attendait pas à devoir le faire immédiatement. Elle devait se préparer. Préparer des réponses qui ne risqueraient pas d'éveiller les soupçons des paparazzis. Cette partie de son passé ne devait pas être découverte. En aucun cas. Sinon son père risquait de l'apprendre et il essayerait de l'atteindre grâce à ses complices qui n'étaient pas en prison comme lui. Elle ne le supporterait pas. Elle s'était isolée pendant cinq ans pour éviter le scandale et il ne fallait pas que ses efforts se révèlent vains. Au moins, personne ne risquait de la reconnaître. Si le destin jouait en sa faveur. L'affaire ne s'était pas ébruitée aux quatre coins du monde et elle était vieille de treize ans. Il fallait donc éviter d'éveiller les soupçons: sinon, ce serait un double scandale. Elle ne pouvait envisager d'être la cible des journalistes et des avocats une nouvelle fois. Elle n'aurait pas le courage de témoigner à la barre une nouvelle fois. Voilà pourquoi on ne devait pas la reconnaître. Sinon les ravisseurs de Jamila en profiteraient pour mettre leur menace à exécution. Et elle ne pourrait pas supporter ça. —Ce que vous racontez ne m'intéresse pas! J'aimerais savoir comment ils ont fait pour être au courant de tout ça. C'était censé être confidentiel, non ? Elle sursauta. Elle se pencha pour regarder dans la direction d'où provenait le bruit. C'était Amir qui hurlait. Il avait un téléphone à l'oreille et faisait les cent pas, visiblement énervé. Tout-à-coup, il frappa son poing contre la paroi de l'appareil. —Bon sang, vous vous foutez de moi? C'est ma vie privée. Il lâcha alors un chapelet de jurons, frappant son poing n'importe où. Le vacarme était assourdissant. —Amir, il y a des enfants ici, s'indigna Tayla. Il se figea et se retourna vers eux. Il semblait être en train de se rendre compte qu'il était observé. —Désolé, murmura-t-il. Il continua à parler au téléphone mais cette fois dans sa langue natale et avec une voix légèrement plus calme. Un petit bruit détourna son attention. C'était Yasmina. Elle vint se blottir contre elle, les joues baignées de larmes. —Ça va aller, ma puce, dit-elle en lui caressant les cheveux. Pourtant, elle était loin d'être sereine. Elle avait peur d'affronter les paparazzis, mais elle devrait le faire. Elle le savait. *** Dix minutes plus tard, elle descendait les marches de l'appareil. Et les journalistes étaient toujours là, massés sur le tarmac. —C'est pas vrai, souffla-t-elle. Quelques militaires essayaient en vain de les disperser. Les questions fusaient, toutes plus indécentes les unes que les autres. > > > —Poussez-vous, répétait Amir en jouant des coudes pour se frayer un passage, tenant Khalid par la main. Quatre gardes du corps le précédaient, faisant ce qu'ils pouvaient pour essayer de calmer cette foule de paparazzis. Tayla les suivait difficilement, la tête baissée au risque de se faire reconnaître. On ne savait jamais avec les journalistes. On pouvait en rencontrer un aujourd'hui à Pékin et trois jours plus tard, alors qu'on est au Texas, on le rencontre. Il fallait se méfier. Briannah fermait la marche avec Yasmina. Cette dernière s'était calmée difficilement après la scène de son père qui aboyait au téléphone. Ils avaient pratiquement atteint la file des voitures qui devaient sûrement les conduire au palais quand le pire arriva: Un journaliste la saisit violemment par son corsage, la secouant sans ménagement. —Mais c'est vous, Angelina Vicente, s'écria-t-il. Le sol se déroba sous ses pieds. L'histoire allait être dévoilée et Amir n'aurait aucune pitié, pensa-t-elle. Ce serait elle la coupable. Non! Pas maintenant! Son regard se brouilla tandis qu'elle perdait connaissance.
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