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Nature morte5h45, quai Boisguilbert, Rouen
Maxime Cacheux s’engagea sur les quais de Seine, son chevalet sous le bras, un peu avant six heures du matin. Le soleil venait à peine de se lever. Il faisait partie de cette poignée de peintres en herbe qui se levait tous les matins aux aurores pour profiter de la vue des voiliers dans le jour naissant, sans la foule.
Il s’installa face au Cuauhtémoc pour terminer l’aquarelle qu’il avait esquissée la veille. Il voulait parvenir à peindre une dizaine de toiles pendant l’Armada. Il avait organisé son travail en conséquence. Son chef, à la Chambre régionale des comptes, avait accepté qu’il ne travaille qu’à mi-temps cette semaine.
Il ouvrit son chevalet, positionna sa palette, recherchant l’endroit exact où il se trouvait la veille. Il pesta.
La lumière n’était pas la même ! Il rumina contre sa stupidité : il devait esquisser un tableau par matin, un point c’est tout. Ne pas chercher à en commencer un autre. Il pensa avec envie à cette galerie d’Honfleur qui lui avait fait la vague promesse d’exposer ses œuvres, en août. Il savait bien que ses toiles n’étaient pas très originales. Il savait également que le thème de l’Armada faisait vendre… Il soupira en regardant le ciel. Le temps était déjà trop lumineux. Il était arrivé cinq minutes trop tard. La veille, il y avait un ciel extraordinaire.
Tant pis. Il attrapa un pinceau et commença par une observation minutieuse du paysage.
Les quais étaient déserts.
Les gens sont stupides, pensa Maxime. C’est pourtant la meilleure heure.
Il reprit son examen. Un détail attira son regard. Plus qu’un détail d’ailleurs.
Sur le côté droit de l’angle de son tableau, un homme était allongé par terre, à une dizaine de mètres du Cuauhtémoc.
Maxime sourit. Un pauvre type qui avait sans doute trop bu la veille.
Dans l’instant suivant, son œil aiguisé repéra un détail anormal.
Une flaque rouge sous le corps du marin.
— Merde, pesta Maxime Cacheux.
Il pensa qu’il allait perdre un temps précieux, ce court moment avant que la foule n’envahisse les quais. Il hésita. À contrecœur, il se décida et s’approcha du corps étendu.
Jamais, par la suite, Maxime Cacheux n’oublia ce qu’il vit ce matin-là. Il paraît que depuis, ses aquarelles sont bien meilleures. Plus sombres, plus profondes.
Maxime se pencha sur le corps inerte. Ce n’était pas un clochard.
C’était un marin, un marin mexicain. Il reconnut sa chemise blanche, ses insignes.
Un marin mexicain ayant trop abusé de tequila pour pouvoir atteindre son bateau ?
Non, hélas, ce n’était pas cela.
Le jeune Mexicain avait les yeux grands ouverts, révulsés.
Une large entaille, béante, rougie de sang, tachait sa chemise, à la place exacte de son cœur.
Carlos Jésus Aquileras Mungaray, dit Aquilero, gisait mort, poignardé sur les quais de la Seine, juste devant le Cuauhtémoc.