1672

374 Mots
1672Je termine un livre de contes. Je pose mon recueil sur la grande table en bois du salon et je me mets à observer ces personnages enfermés sur des toiles accrochées au mur. Je les dévisage, je considère leurs habits, je trouve des ressemblances avec mon père. Je prends un des deux chandeliers posés sur la table et je me rapproche des peintures. J’essaie de m’expliquer les lourds nuages qui flottent dans les airs, je me demande pourquoi tant d’hommes et de femmes se cachent le visage avec les mains, je me demande pourquoi personne ne regarde personne ; il n’y a aucun sourire. Les visages graves sont distordus alors que je me rapproche un peu plus d’eux avec le chandelier. Les flammes semblent ranimer les personnages figés sur la toile. Des ombres sinistres s’esquissent autour d’eux, individus prisonniers dans un décor halluciné et blafard. J’aurais du avoir peur de tous ces effets d’optique mais je me demandais si je n’étais pas moi même peint dans un salon, tenant à la main un chandelier et promenant les yeux sur des toiles … car ainsi ma vie n’aurait été qu’une simple illusion, ce que j’aurais vécu n’aurait pas été vrai. Oui, une simple illusion. Ma vie aurait pu être le songe d’un peintre tourmenté par les affres de l’ennui et du chagrin. La contrition par la création. Libérer des énergies intestines et secrètes pour tenter d’atteindre l’inaccessible rêve de la création parfaite et équilibrée à travers la souffrance et la terrible appréhension du temps qui prend son temps mais qui ne vous laisse pas le temps. Mais nulle main d’un créateur, je ne dois ma conscience qu’à moi-même, je tiens le chandelier, je regarde les tableaux, je vis. Ou du moins, j’ai plutôt l’impression mortelle d’exister à moitié, et je relis ma vie à demi-mots. Terrifiante sensation que celle de revivre sa vie sur le papier blanc et sali par l’encre qui marque d’un sceau indélébile son appartenance à cette race humaine. Mes larmes mouillent ce papier, mes larmes me brûlent les yeux. Je dois continuer. Il faut que j’aille au bout de ma peine, au bout de ce testament de papier et de larmes qui ne sèchent pas, qui ne sèchent plus. Je relis ses derniers mots, je tiens tendrement sa dernière lettre d’une main tremblante, je souris. Elle est là, tout près de moi, qui me parle et me caresse de son souffle.
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