De bon matin, ma mère voulait que j'arrose les plantes du jardin. Il devait être neuf heures lorsque je sortis en pyjama, l'arrosoir plein en mains. Nous avions un jardin assez grand, donc il y avait pas mal de plantes à arroser. Je commençais par la gauche, pour faire le tour et terminer à droite. Ma mère adorait jardiner, c'était pourquoi nous avions beaucoup de fleurs, d'herbes comme le persil ou le basilic, dans notre jardin. Je réfléchissais au nom de chaque plante, en oubliant quelques unes parfois, qui avaient un nom particulier. Soudain, j'entendis du bruit, dans mon dos. Je fis volte face. Devant moi se tenait un loup, immense, avec des yeux vert vif. Je fronçai les sourcils. Le même vert que les yeux de Lucy. Ce dont j'étais sûr, c'était qu'il n'y avait aucun loup dans le coin, d'habitude. Le loup resta immobile pendant quelques secondes, assis face à moi. Nous nous fixâmes longuement, jusqu'à ce qu'il s'avance vers moi et baisse la tête en signe de reconnaissance. Je posai l'arrosoir par terre et laissai ma main aller sur la tête du loup. Il plissa les yeux, tel un chat recevant des caresses de son maître.
Ma main retomba le long de ma jambe. Le loup secoua sa fourrure argentée humide. Il regarda autour de lui comme pour s'assurer que nous étions seuls. Ce fut alors qu'il disparut, laissant place à Lucy, sweat à capuche sur la tête et jean bleu.
– Est-ce que tu me crois, maintenant ? demanda-t-elle.
– Pas entièrement. Qu'est-ce qui te dit que je suis pareil ? Je ne me transforme pas en loup, ni en je ne sais quel animal.
– Je n'ai jamais dit que tu te transformes en loup, ni en autre animal. Tu as un pouvoir différent, comme tous ceux d'entre nous.
– Et tu n'as pas une idée ? Parce que je ne vois vraiment pas.
– Je n'en sais rien. Tout ce que je sais, cest qu'il y a quelques années, il y avait un laboratoire, à Paris. Un grand laboratoire scientifique, dirigé par Marc James et sa femme, Elsa James. Ils ont fait une découverte révolutionnaire, que le gouvernement se bornait à cacher. La création d'un pouvoir surnaturel, intégré dans le plan génétique pendant le développement d'un être humain. Marc James voulait montrer sa création au monde, il disait que ça pouvait tout changer, sauver l'humanité et entraîner le développement d'une technologie plus avancée. Elsa, sa femme, voulait tester ça sur un groupe de personnes choisies spécialement pour sauver ce monde, mais elle se contentait de suivre les idées de son mari. Le gouvernement a interdit capitalement la poursuite des recherches du laboratoire sur cette découverte, et il leur était interdit de tester l'injection sur qui que ce soit. Un jour, Elsa est tombée enceinte. C'est à ce moment qu'ils ont décidé de tester leurs injections sur leur enfant, moi, pendant que mes premières cellules se développaient. Ça a été une immense réussite, ce qui leur a donné encore plus envie de révéler leur découverte au monde entier.
« Ce fut à ce moment qu'un de leurs employés les a dénoncés. Marc refusant qu'Elsa avorte, ils l'ont assassiné, puis démolli son laboratoire. Elsa s'est enfuie en sauvant neuf flacons du produit, et en me sauvant moi. Elle a changé de nom, d'identité, d'apparence, et mon nom de famille est devenu Hanny. Bien avant ma naissance, elle est partie vivre sur Grenoble. Ma mère est devenue sage femme peu avant son départ à Grenoble, pour injecter la substance dans le ventre des femmes enceintes. À son arrivée ici, il ne lui restait plus que sept flacons. Elle ne perdait pas de temps, préférant que tous ceux aillant des pouvoirs aient le même âge, approximativement. Elle avait gardé uniquement un flacon. Je naquis le dix sept janvier. Pendant quatre ans, elle m'a tout expliqué, m'a chargée de retrouver tous ceux comme moi, et m'a appris à développer mon pouvoir. Elle en avait fait un livre, pour que je n'oublie jamais. Le jour de mes quatre ans, elle avait disparu. J'avais à peine commencé l'école et je savais déjà lire et écrire. »
« J'ai décidé de ne rien dire, et de vivre seule. Je ne voulais pas aller en famille d'accueil, ni en pensionnat. J'ai commencé à vivre en louve solitaire, n'aillant pas d'argent pour payer quoi que ce soit. Personne n'avait remarqué. À l'école, on me voyait comme une fille sans ami, et dans la rue, je n'existais pas. Lorsque j'avais besoin de vêtements, de gel douche, de tout besoin vital, je les volais. Ce que je fais toujours, d'ailleurs. Je suis plus propre que ce que tu crois. Il m'est arrivé de trouver cinq euros par terre, ce dont je me suis servie pour gagner un téléphone à la fête foraine. »
Elle s'arrêta, jaugeant ma réaction.
– Wow.
– Comme tu dis.
– Comment tu as fait pour trouver ton pouvoir en peu de temps ?
Elle grimaça.
– Ce n'est pas compliqué, pour ma part.
Elle enleva sa capuche, dévoilant deux oreilles de loup sur sa tête.
– Alors ça veut dire que tu n'as pas doreille humaine ?
– Si, tout de même !
Elle écarta ses nattes de devant ses oreilles humaines. Elle avait donc en tout quatre oreilles.
– C'est pour ça que j'écoute de la musique, j'entends trop de bruit sinon. Déjà qu'avec ça (elle désigna ses oreilles de loup) j'entends tout, deux oreilles de plus me donnent mal à la tête.
– Je comprends. Et tu n'as jamais eu d'ami, ou parlé avec d'autres personnes
– Le seul ami que j'ai eu m'a trahie.
Elle avait lâché cette dernière phrase sèchement. Je compatis dans l'immédiat, quoi que surpris par son changement soudain d'expression.
– Bon, si tu veux bien, je vais te laisser finir d'arroser ton jardin, avant que ta mère ne se demande ce que tu fais. Essaie de trouver quel est ton pouvoir, ce week-end. Et ne dis rien à qui que ce soit, pas même tes amis.
– Ah parce que tu me fais confiance maintenant ?
Elle s'était volatilisée avant la fin de ma phrase. Réfléchissant à ce que je venais d'apprendre, je repris l'arrosoir dans mes mains et continuai ma tâche.