- Je suis vraiment heureuse Jenny ! s'exclama Amélia. Le médecin qui s'occupe de ton père vient de nous annoncer à Viviane et moi que son état est stable et qu'il n'y a plus aucun souci à se faire. Ton père doit juste se reposer au maximum et manger équilibré. Il a surtout besoin de calme ! selon ses dires.
Jennifer sourit en voyant sa mère aussi soulagée. Cela venait chambouler sa décision car elle avait décidé qu’elle n’acceptera jamais la proposition d’Albert. C’était au risque de voir son père faire une rechute et ça, elle ne se le serait jamais pardonné. Il n’y avait qu’un choix à faire et aussi douloureux qu’elle pouvait paraître, Jennifer avait bien conscience qu’elle l’assumer. Elle et Albert était arrivés ensemble à la clinique et elle avait dû s’efforcer à garder une mine plus ou moins joyeux pour ne pas éveiller les soupçons.
- Je suis heureuse que tout aille pour le mieux maman, finit-elle par répondre. Papa récupérera très vite et tout redeviendra comme avant. J’en ai la ferme conviction.
- Amen ma fille. Encore désolée d'avoir écourté ta lune de miel.
- Oublies ça maman.
- Ça vous dit de grignoter quelque chose à la cantine ? questionna Viviane. J’ai une faim de loup !
- Non, non, nous avons bu du thé à la maison et... Albert risque d'être en retard pour le travail ! répondit Jennifer.
- Oh ! s'étonna Amélia. Mais, vu que vous êtes rentrés plus tôt de votre lune de miel, le mieux ne serait pas que vous restiez ensemble à la maison ?
- Non. Vu qu'on est là, autant reprendre le travail où nous l'avions laissé. Nous avons tout le temps pour remettre cette…lune de miel.
- Bon ok, fit Amélia en haussant les épaules. Bonne journée alors mon fils.
- Merci maman, répondit Albert. Au bientôt Viviane.
Il fit la bise à Jennifer qui crispa la mâchoire, avant de tourner les talons et se diriger vers la sortie.
- Tu ne le raccompagne pas ? questionna Viviane en haussant les sourcils d’un air étonné.
- Oh... euh... il ira tout seul. Ne t'en fais pas.
Elle afficha un sourire de convenance mais Viviane la regardait d’un air interrogateur.
- Maman, tu devrais rentrer à la maison maintenant, dit-elle pour changer de sujet. Viviane et moi allions rester ici le temps que tu te reposes. Tu pourras revenir la soirée si cela te dit.
- Oui, tu as raison ma fille. Je suis vraiment épuisée. Je vais rentrer un moment mais je reviendrai très vite. Je veux être là lorsque ton père ouvrira les yeux.
Jennifer émit un faible rire. Un rire de tristesse car elle se disait que jamais elle ne connaîtra l’amour qui liait ses parents et les maintenait aussi soudés malgré leur vieil âge. Elle appela un taxi à sa mère et retourna rejoindre Viviane à l’intérieur de la clinique après s’être assuré qu’elle était bien installée.
- Jen, tu es sûre que ça va ? questionna Viviane au bout d’un moment.
- Pourquoi cette question ?
- Parce que ça fait plus de cinq minutes que je te regarde et tu n’arrêtes pas de te ronger les ongles en regardant dans le vide. Tu sais très bien que je sais quand tu fais ça. Tu es anxieuse ? Pourquoi ?
- Tu te fais des films, Viviane. Tout va absolument bien chez moi.
Comme pour couper cours à la discussion, elle sortit son téléphone et se mit à faire défiler sous ses yeux les applications sans savoir ce quelle recherchait concrètement.
- Tout va bien avec Albert ? reprit Viviane.
Jennifer leva brusquement la tête de son téléphone.
- Oui. Pourquoi cette question ?
- Oh, c'est juste que depuis hier vous avez l'air très bizarres tous les deux. D’habitude, tu as les yeux qui pétillent quand il est là mais…j’ai comme l’impression que c’est tendu entre vous depuis que vous êtes rentrés. De plus, je me suis rendue compte que tu ne lui as pas raconté pour Jenifa. Pourquoi ?
Jennifer soupira. Elle aurait dû se douter que Viviane remarquerait quelque chose. Sa cousine était la jeune femme la plus perspicace et observatrice qu’elle connaisse.
- Je ne vois pas l'intérêt pour lequel je lui aurais raconté cette histoire, répondit-elle en prenant un air désinvolte. Jenifa est morte et tout le monde n'a pas besoin de savoir ce qui lui est arrivé.
- Mais pourtant Albert n'est pas tout le monde !
- On peut arrêter de parler de ça s'il te plaît ?
- Hum...
- Et arrêtes de me dévisager comme tu le fais. Je ne cache rien.
- C'est toi qui le dis.
Excédée, Jennifer se leva en direction de la sortie. Il fallait absolument qu’elle prenne l’air. Elle heurta brusquement quelqu’un en voulant sortir.
- Oh, désolée. Je suis vraiment déso...
Ma phrase reste en suspens lorsqu’elle vit de qui il s’agissait.
- Yasmine ?
- Bonjour Jennifer.
- Que fais-tu ici ? questionna-t-elle sans une once d'amabilité.
- Je suis venue saluer ton père. J'étais passée à votre maison mais on m'a dit que vous étiez ici parce que...
- Tu n’as rien à faire ici !
- Oh mais quel accueil ! Tu n'as pas le droit de me parler sur ce ton. Je suis ton aînée !
- Tu peux être ce que tu veux, je m'en fiche. Tout ce que je veux c'est que tu déguerpisses d'ici et que tu n’approches aucun membre de ma famille !
Jennifer haussa le ton malgré elle. Viviane accourue et resta figée en voyant Yasmine. Un agent de sécurité d’approcha d’elles et expliqua à Jennifer qu’il serait obligé de la mettre dehors si elle ne baissait pas le ton. Prenant une profonde inspiration, elle se tourna vers Viviane :
- Fais la sortir tout de suite ou je ne réponds plus de rien.
- Calme-toi, ma chère. Pas besoin d'être si agressive ! fit la dénommée Yasmine, un rictus amer aux lèvres. Ce n'est pas toi que je suis venue voir ok ? Et je t'ai déjà dit de ne pas me parler sur ce ton.
- Calmez-vous s'il vous plaît ! intervint Viviane. Yasmine, s'il te plaît, vas t'en ! ajouta-t-elle à l’endroit de la nouvelle venue.
- OK, mais c'est parce que tu me le demande gentiment. Je pars juste parce que je ne veux pas créer de scandale ici. Je reviendrai très bientôt !
Elle tourne les talons et s'en alla. Bouillonnant de rage, Jennifer retourna s’asseoir sur le banc d’attente, suivie de Viviane.
- Jenny ! fit cette dernière en la rejoignant. Tu dois te calmer.
- Comment ?
- Allons grignoter un truc dans le restaurant d’en face. Tu as besoin de prendre de l’air et moi d’un bon repas. La cuisine est affreuse ici !
Jennifer ne put s’empêcher de rire. Elle prit ensuite son sac et suivit sa cousine hors de l’établissement.
***
- Al, tu m’écoutes ?
Albert fit face à son ami et associé Devis, qui le regardait d’un air inquiet.
- Excuse-moi, fit-il en reprenant bonne contenance. Tu disais ?
- Al, ça fait des minutes que je parle en l'air. Que t’arrives-t-il ?
- Je suis vraiment désolé. Je... j'étais un peu perdu dans mes pensées.
- Oui, j'ai remarqué ça !
Devis posa les documents qu’ils tenaient et vint s’asseoir face à son ami.
- Tu sais très bien que tu as des trucs à me raconter pas vrai ? Non seulement tu es rentré plus tôt que prévu de ta lune de miel mais le comble c'est que ta tête n'a rien d'un homme heureux de s’être marié. Il se passe quoi ?
- Nous sommes rentrés plus tôt parce que le père de Jennifer a fait une crise et a été hospitalisé, répondit-t-il en faisant mine d’ouvrir un dossier.
- D’accord mais ce n’est pas ça qui te rend aussi…Bref, je sens qu’il se passe un truc que tu ne veux pas me dire. Je respecte ta décision. Je repasserai un peu plus tard pour que nous reparlions de ce rapport.
Il se leva dans l’intention de quitter la pièce mais Albert l’interpella au moment où il s’apprêtait à ouvrir la porte. Il attendit que son ami se réinstalle pour lui raconter les choses qui se passaient entre lui et Jennifer.
- Tu as complètement perdu la tête ? s’écria Devis à la fin de son récit.
- Qu'essaies-tu de dire par là ? questionna Albert en plissant le front.
-
Jennifer et toi vous aimez à la folie et juste pour une histoire de tradition qui n'est même plus à la mode, tu veux divorcer ? Après tout ce que vous avez vécu ? Tu m'étonnes !
- Ce n'est pas qu'une question de tradition ! se défendit Albert. Avant de mourir, ma grand-mère m’a fait promettre que la femme que j’épouserai sera excisée et que mes filles également le seront. Il faut que je respecte la tradition, Dev !
Devis éclata de rire, ce qui commença à irriter Albert qui regrettait déjà de lui avoir parlé.
- Al, tu as couché avec un nombre incalculable de femmes non-excisées. Tu me raconte quoi là maintenant ?
- Là c'est différent ! Il s'agit de ma femme ! Nous avons fait les cérémonies, c'est carrément autre chose ! Tu parles comme si tu ne sais pas ce dont je suis en train de parler.
- Bien sûr que je sais mais j'ai l'impression que tu vis dans un autre siècle. Cette pratique dont tu parles, cause plusieurs dégâts aux femmes, tant sur le plan morale que physique. De plus, tu n'es pas sans savoir que notre gouvernement sensibilise très fermement les populations rurales en ce qui concerne l'excision.
- Arrête ! coupa Albert. Je vois que personne n’essaie de me comprendre.
- Ne dis pas ça s’il te plait. Je suis juste réaliste ! Assieds-toi que nous en parlons un peu plus calmement.
- La discussion est close. J’aime énormément Jennifer mais j’ai peur de décevoir ma famille. C’est quelque chose que vous n’avez pas l’air de comprendre. Il faut que j’aille prendre l’air. Dis à Olivia d’annuler tous mes rendez-vous s’il te plait.
Albert prit sa sacoche et quitta son bureau. Il avait besoin d’être un moment loin de toute cette tension et sa prière était que les choses deviennent moins compliquées pour lui et sa femme. Après avoir roulé plusieurs heures sans savoir où aller, il se décida à rentrer chez lui. Lorsqu’il ouvrit la porte de la villa, Albert fut accueilli par un calme de cimetière. Son désir en achetant une aussi grande maison était de vivre le parfait amour avec Jennifer et d’avoir une horde d’enfants qui courraient çà et là, emplissant chaque pièce par leurs cris mais hélas ! Tous ses rêves s’étaient transformés en cauchemar. Il posa sa sacoche sur la table basse et prit l’escalier en direction de la chambre d’amis qu’il occupait mais se figea devant la chambre conjugale lorsqu’il entendit des gémissements. La porte était à moitié ouverte et Jennifer était assise à même le sol, un cadre en mains, elle pleurait tous les larmes de son corps. Malgré la profonde tristesse que cette scène lui prodiguait, Albert dépassa la pièce et entra dans la sienne.