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1 La tasse de café avait maculé la page de garde du rapport. Ce n’était pas bien grave, mais cela ajouta à l’énervement. Il se dépêcha d’en imprimer une nouvelle, puis dut à nouveau se battre contre la relieuse mécanique. Derrière lui, une collègue patientait l’air maussade. Il s’excusa et elle lui proposa de l’aider. Il refusa, se hâta, mais les trous dans les feuilles étaient décalés, le peigne en plastique bloquait. Il soupira en levant les yeux au ciel. Enfin, le rapport fut relié et il monta les marches quatre à quatre pour le déposer sur le bureau de Sylvain, son patron qui l’attendait de toute urgence. — Voilà, le rapport est enfin prêt. J’ai ajouté les annexes. Sylvain délaissa son portable pour ouvrir le document. De l’autre côté du bureau surchargé, son employé resta debout, en attente de la confirmation qui, espérait-il, viendrait mettre fin à un travail épuisant. Depuis cinq jours, il faisait et refaisait ce rapport en tentant de suivre les directives données chaque matin, parfois heure par heure. Il n’en pouvait plus. — Non Julius, ça ne va pas. En fait, rien ne va. On va changer de méthode. Ton analyse finale ne tient pas compte des motions de la dernière réunion. — On n’avait jamais parlé de ça. — Eh bien, tu aurais dû y penser. Je pars dans… une heure dix, dit Sylvain en regardant sa montre. Allez, grouille ! L’entrevue était terminée. On entendait résonner la couverture zinguée du toit, juste au-dessus du bureau. Il leva les yeux vers la verrière sur laquelle ruisselaient des serpentins aqueux. Il eut envie de sortir dans la cour pour mêler les pleurs qui lui montaient aux yeux à la pluie battant le pavé. Le collègue qui lui faisait face à son bureau remarqua combien il avait l’air une fois de plus abattu lorsqu’il revint s’asseoir. — Toujours pas ? demanda-t-il. Julius secoua la tête sans même répondre. Il ouvrit le rapport, positionna ses doigts sur les touches du clavier et commença à écrire. La sonnette de la messagerie en ligne émit sa musiquette. Il resta les mains suspendues en lisant le message de Sylvain : finalement, laisse tomber les motions, mais retravaille la seconde partie, pas assez précise, trop alambiquée. C’est pas un roman, c’est un rapport ! Était-ce un phénomène paranormal ? Un choc électromagnétique ? Il eut soudain l’impression d’être traversé par une onde de bien-être, d’être délivré d’un poids énorme, d’être désolidarisé d’un stress qui depuis des semaines annihilait toute volonté. Il éteignit d’un geste lent l’ordinateur, rangea les quelques affaires personnelles entassées dans un tiroir et se leva en endossant sa veste. En face de lui, son collègue le regarda de plus en plus surpris. Julius lui serra la main. — Je te souhaite bon courage. Au même moment, Sylvain descendait de son bureau directorial du premier étage. Il dévisagea Julius et fronça les sourcils en le voyant prêt à partir. — À toi aussi je te souhaite bon courage, lui dit Julius. — Pardon ? — Honnêtement Sylvain, nous ne pouvons plus travailler ensemble. Alors, j’espère que tu trouveras un remplaçant à ta mesure, car je te donne ma démission ou tu me vires, enfin, c’est comme tu veux, mais en tout cas, j’arrête les frais. Bonne chance ! Le niveau sonore dans le bureau avait beaucoup baissé. Les conversations s’étaient tues, tout le monde était en attente d’une réaction de la part de Sylvain. Certains ne comprenaient pas ce qui se passait et questionnaient les autres en écartant les mains. Mais Sylvain ne dit rien. Il regarda passer son désormais ancien employé, fit une moue dubitative et appela sa secrétaire. Dehors, la cour luisait, frappée par une flèche ensoleillée qui perçait entre les nuages couleur de suie. Julius Boregard était libre. Libre et maintenant sans travail. Sans travail, mais soulagé. Il aspira une grande goulée d’air humide, entendit la porte d’entrée de l’agence s’ouvrir derrière lui, mais ne se retourna pas. On ne l’appela pas. Il n’était pas trois heures de l’après-midi. Il mit plus d’une heure pour rentrer chez lui, délaissant le trajet habituel effectué en bus pour emprunter à pied des rues jamais parcourues. Quel beau cadeau d’anniversaire, se dit-il. Le lendemain, il aurait quarante ans et n’aurait pu rêver plus beau présent. Être enfin débarrassé du stress de ce boulot qui l’avait occupé durant cinq ans. L’agence de Sylvain n’allait pas péricliter en raison de son départ, et son remplaçant était même peut-être déjà convoqué. Non, il n’avait nullement à culpabiliser et cela ajoutait à son euphorie. Il se sentit bête tout à coup, comme un enfant pris en faute. Sans doute parce qu’il agissait à nouveau comme l’être immature qu’il avait toujours été. Une vie si peu édifiante jusqu’à présent que l’avenir lui apparaissait sans grand intérêt, comme la simple suite de ses errements constants. Qu’allait-il faire maintenant ? Il décida une fois de plus que les évènements allaient décider pour lui. Faire un choix lui était chose difficile, ou plus exactement, cela ne l’intéressait pas. Il murmura comme à l’habitude : on verra bien. Il arriva trempé à son appartement. Un lieu de célibataire qu’il n’avait jamais vraiment investi. Il y vivait seul avec quelques centaines de millions d’acariens. Un refuge qui dominait la ville. Un perchoir au troisième et dernier étage dans l’immeuble situé sur le plus haut point de l’agglomération. Un seul atout, mais de taille : une vue magnifique, sauf aujourd’hui où le ciel bas masquait presque entièrement l’horizon. Il resta cependant quelques minutes, assis dans son fauteuil pivotant à regarder la pluie tomber sur la ville. La messagerie sur son ordinateur signala l’arrivée d’un email. Il s’apprêtait à l’ouvrir lorsqu’un livreur sonna à l’interphone pour lui délivrer un colis, un énorme paquet encartonné. Julius signa numériquement, chercha une pièce qu’il ne trouva pas et dit maladroitement merci au gars en refermant la porte. En posant le colis sur un coin de son bureau, il ouvrit l’email. Une grande banderole multicolore flotta en travers de l’écran et les enceintes diffusèrent la musique caractéristique attribuée aux sœurs Hill. Il sourit en entendant le « bon anniversaire » et délaissa un moment l’ouverture du paquet pour lire ce qui s’inscrivait sous la banderole : normalement, un coursier devrait t’apporter ton cadeau sous peu. Nous espérons tous qu’il te plaira et qu’il pourra constituer pour toi une fenêtre ouverte vers un monde dans lequel tu pourrais peut-être trouver ta place. Le timing était parfait. Il ne s’interrogea pas vraiment sur le sens à donner à la dédicace et ouvrit le paquet. Celui-ci pesait lourd et était imposant. Les bouts de papier kraft et de carton s’empilèrent rapidement tout autour du bureau. Une poignée en cuir apparut. — Qu’est-ce… une valise en bois ? C’était plutôt une valisette, en bois de hêtre. Deux fermoirs en laiton laqué encadraient la poignée de cuir. Il l’ouvrit. Ses amis n’avaient pas lésiné. Il s’assit pour contempler le nécessaire à peinture. Il y avait là des dizaines de tubes, quelques brosses, des spatules, une palette, d’autres objets dont il ne connaissait pas l’utilité. La chose était fort belle. La valisette se transformait en chevalet de plein air grâce à des pieds télescopiques. Il la déplia et la positionna au milieu de la pièce. Une seule chose manquait : une toile. Il réalisa tout à coup que ses amis avaient vu juste, qu’il pourrait peut-être effectivement trouver sa place dans un monde auquel il avait toujours rêvé d’appartenir, celui des créateurs. Oui, il peindrait, il arroserait les toiles de ses envies, de ses rêves et émotions. Le dessin avait toujours été un hobby, mais il n’avait jamais osé franchir le pas. Qu’aurait-il pu exprimer de plus que Vinci, Rembrandt, Véronèse ou Picasso, lui, Julius Boregard qui n’avait pas fait les Beaux-Arts ? Pourquoi oser peindre lorsqu’on sait que jamais la perfection ne serait au rendez-vous ? C’est ce qu’il avait toujours pensé, certainement plus par peur de décevoir que par conviction. Aujourd’hui, il avait quarante ans, était libre et pouvait tout se permettre. Seuls importaient l’envie, le désir, l’émotion. C’était une évidence. Il resta fasciné devant le chevalet durant quelques minutes puis enfila sa veste détrempée et sortit. En centre-ville, il savait trouver une boutique d’art. La vendeuse voyant son embarras vint lui proposer son aide. Elle était jeune, ravissante et surtout très professionnelle. Il repartit avec plusieurs toiles, des cartons entoilés, plusieurs accessoires et une carte de fidélité. Durant les deux semaines qui suivirent, amis et connaissances eurent peu de contacts avec lui et s’il accepta quelques invitations, celles-ci n’eurent aucun écho de sa part. Il prétexta, sans trop mentir, des travaux de peinture chez lui. À la question de savoir ce qu’il allait faire par la suite, il répondait évasivement et, devant les interrogations plus pressantes faisait la moue, déclarant qu’il envisageait plusieurs pistes. On voulait aussi savoir s’il avait commencé à peindre, mais il restait vague, se contentant de dire qu’il tâtonnait. C’était en partie vrai. Pour l’instant, il en était toujours à la théorie. Non pas qu’il n’avait aucune notion de l’art de peindre, mais en dilettante accompli il ne maîtrisait pas le processus pratique qui lui permettrait de matérialiser en toute connaissance de cause ses projets créatifs. Après d’innombrables heures de lecture, de recherches sur Internet, de visites, virtuelles ou physiques dans les musées, il pensait pouvoir être capable de faire ce pour quoi il voulait vivre aujourd’hui : simplement peindre. Cela paraissait effectivement facile. Qu’est-ce que peindre sinon appliquer des pigments sur une surface quelconque ? Un problème se posait naturellement, car de prime abord, il ne fallait pas privilégier le sujet à peindre, mais la façon de le faire. Depuis qu’il avait reçu son chevalet, il s’était essayé à différentes techniques sur plusieurs supports. À part quelques règles basiques comme « gras sur maigre », il se rendait bien compte qu’il ne maîtriserait jamais toutes les techniques de la peinture à l’huile. Car il n’y avait qu’avec cela qu’il désirait peindre et transformer la réalité, sa réalité. Et puis, il y avait un autre problème. Il était un peu daltonien. Oh ! Pas au point de confondre le rouge et le vert, mais certaines nuances chromatiques lui échappaient. Une affiche en pointillisme où se distinguait un coq ou une fleur lui apparaissait en tant qu’œuvre abstraite. Malgré ces carences, il était bien décidé à se lancer dans l’aventure, car plus que l’espoir, très fortement hypothétique, de vivre un jour de son art, il avait réalisé qu’il n’était heureux, pleinement heureux qu’avec un pinceau à la main entièrement absorbé par sa tâche. Alors que lui importaient les multiples petits et grands problèmes rencontrés dans sa vie quotidienne ? À l’instar de Rouault, il pensait lui aussi que la peinture était un moyen, sacrément efficace, d’oublier la vie – au moins pour un temps. Il posa sur le chevalet campé sur son trépied un carton entoilé. Il n’avait pas encore réalisé une seule toile. Mais avant de décider de mettre en chantier un véritable travail de peintre, il souhaitait lister les erreurs à éviter pour réussir sa première œuvre. Il n’avait pas compris que l’art, s’il demande une part de technique et de savoir-faire, puise avant toute chose dans l’âme du peintre les ferments de son éblouissement. Sinon, chaque élève sortant des Beaux-Arts serait un nouveau Raphaël. Dans son appartement, plusieurs cartons entoilés, feuilles de dessins, châssis attendaient appuyés le long d’un mur d’être évacués à la déchèterie. Tous les essais, ratés, ébauches, esquisses des semaines précédentes témoignaient de sa volonté de réussir. Le temps était au beau fixe ce jour-là. Devant lui s’étalaient les deux tiers de la ville. Le regard portait jusqu’à plusieurs kilomètres. À sa gauche, une immense tour de bureaux pointait ses flèches de télécommunication tandis qu’à ses côtés la cathédrale du XIIe siècle compensait largement sa relative petitesse par la beauté de son architecture. Face à lui les toits de centaines de maisons formaient une mer brunâtre où moutonnaient quelques grandes cheminées blanches. Puis enfin sur sa droite, les longs hangars et les hautes grues du port apparaissaient comme un jeu de construction pour enfants. Survolant cet ensemble d’est en ouest à intervalles réguliers, des avions perdaient lentement de l’altitude pour atterrir sur le tarmac de l’aéroport qui se trouvait caché plus loin vers l’ouest. Il estima que ce paysage urbain serait un excellent sujet pour accomplir sa première œuvre. Toutefois, la vue panoramique ne s’accordait guère avec le format de sa toile. Peut-être aurait-il dû prendre un format marine, une toile propre à accueillir l’intégralité de la vue qu’il avait de la ville ? Il opta pour une portion du paysage, celle où la tour de bureaux et la cathédrale offraient de belles ruptures, et dans les formes et dans les tonalités chromatiques. Formant de ses deux mains un cadre dans lequel il inséra le motif de sa future toile, il réalisa qu’il serait plus simple de faire une photo. En outre, la photographie lui permettait de conserver la luminosité de l’instant tandis que les nuages qui défilaient masquaient parfois les contrastes et les détails des bâtiments. Il alla donc chercher un petit appareil numérique qu’on lui avait jadis offert. Il commença sa toile à 10 h 30 ce matin-là. À 16 h 45, il coinça la dernière des brosses qu’il venait de nettoyer dans le lave-pinceaux puis vint s’asseoir dans le vieux fauteuil défoncé en face de son chevalet. Dix minutes passèrent dans un silence sépulcral. Il restait les yeux rivés sur le châssis. La sonnette d’arrivée d’un mail le fit sursauter et il réalisa avec stupeur combien le temps avait passé. Une amie lui demandait des nouvelles de ses œuvres et réclamait une photo en avant-première. Il répondit quelques banalités, ne voulant avouer l’immense déception qu’il venait de ressentir quelques minutes auparavant. Cette première tentative artistique se soldait par une croûte infâme, une déjection chromatique, un vomi d’huiles. Il regarda la toile où une seule chose lui apportait satisfaction : la signature. D’une écriture fine avec une police anglaise délicate, il avait apposé son nom Boregard en bas à droite de la toile puis, mû par une impulsion il avait appuyé le bout de son pouce à l’intérieur du O de son patronyme. En souriant, il s’était dit que s’il devenait un jour aussi célèbre que Picasso, nul doute ne pourrait être formulé quant à l’authenticité de l’une de ses œuvres avec ce procédé. Il s’essaya à une critique objective de son tableau, mais cela se révéla impossible. Il fut tenté alors de le photographier puis de l’envoyer à son amie comme elle le lui avait demandé, mais il avait bien trop peur de la réponse. Difficile, très difficile cet exercice d’humilité dont il ne pensait pas sortir indemne. Si elle lui disait la vérité sur cette horreur, il en nourrirait une certaine contrariété et c’était un doux euphémisme. Si au contraire, elle se répandait en louanges pour ne pas le blesser, il en serait à coup sûr très désappointé. Dans les deux cas, il craignait fort de voir la relation amicale qui les unissait s’obscurcir quelque peu. Dans son esprit, un avis honnête et impartial ne pouvait être proféré le concernant. Avec lui, comme d’habitude, c’était tout blanc ou tout noir. À 17 h 12, ce jour-là, tout était noir. Le jour commençait déjà à baisser. Il se résolut à abandonner l’idée d’entreprendre un nouveau tableau à partir de la même photo. Les mains posées sur le garde-corps du balcon il promena lentement son regard de myope d’est en ouest en notant ce qu’il pensait avoir oublié, bâclé, raté. En se retournant pour regarder la toile laissée sur le chevalet, il rencontra le regard de sa voisine, sur sa droite, qui arrosait ses plantes. Son balcon, au contraire du sien dépourvu de tout ornement végétal, était une véritable serre en miniature. Des jardinières regorgeaient de fleurs multicolores et des plantes grimpantes tissaient un réseau inextricable à travers les barreaux de la rambarde. D’autres au contraire pendaient en grappes lourdes jusqu’à l’étage au-dessous. Il la salua poliment en hochant légèrement la tête. Celle-ci, levant l’arrosoir qu’elle tenait à deux mains lui rendit tout aussi poliment son salut, mais Julius eut la surprise de l’entendre lui poser une question. Depuis plus de deux ans qu’il occupait cet appartement, il n’avait jamais échangé que des banalités de bon voisinage. Sa voisine avait emménagé depuis peu de temps et c’était la seconde fois qu’il la voyait sur son balcon. Elle apparaissait comme étant tout aussi réservée et « taiseuse » que lui. Grande, brune et portant de petites lunettes rondes, elle arborait une longue jupe multicolore et un chemisier fleuri. Ils ne s’étaient jamais rencontrés. Leurs appartements étaient mitoyens, mais ils ne partageaient pas la même cage d’escalier. Il habitait au 28, elle au 26. — Excusez-moi, dit-elle, je vous ai vu tout à l’heure avec un pinceau à la main. Vous peignez ? Il se rappela être sorti sur le balcon pour scruter le paysage. Il devait avoir l’une de ses brosses enduite de peinture à la main. — Euh… oui. Enfin, j’essaie. — Vous peignez à quoi ? — À quoi ? À l’huile. Je peins à l’huile. — Ah ? Et que peignez-vous ? Des natures mortes ? Des paysages ? — Eh bien, j’ai essayé de peindre la vue qu’on a d’ici, mais bon, c’est… pas encore trop ça ! — Comme nous sommes proches voisins et pour rompre la glace en quelque sorte, je me disais que nous pourrions prendre un apéritif, et vous me montreriez vos œuvres. Qu’en pensez-vous ? Julius n’y avait pas même songé. Il n’avait jamais sympathisé avec ses voisins qui habitaient l’appartement en face du sien sur le palier alors qu’ils se croisaient très souvent. Jamais l’idée de les inviter à boire un verre ne lui était venue à l’esprit. Le vide séparant son balcon de celui de sa voisine était comme un abîme infranchissable interdisant toute relation autre que l’échange verbal classique. Le pont des salutations polies échangées de temps à autre constituait à ses yeux la seule possibilité de liaison informelle entre elle et lui. Il fut donc très surpris de l’invitation et crut voir un pont de liane, frêle, mais solidement fixé à chacune de ses extrémités, entre les deux balcons. La voisine avait toujours son arrosoir en l’air, attendant une réponse en regardant Julius. — Euh… oui ! Oui, bien sûr. Mais vous savez, je n’ai encore rien fait. Enfin, j’ai peint une seule toile, et franchement je n’oserais pas vous la montrer. Elle est complètement ratée ! — Oh ! Je suis bien certaine du contraire, mais vous ferez comme bon vous semblera. — Bon, ben mettons demain soir, vers 19 h. D’accord ? — Demain, 19 h, ça me va. Alors, vous m’invitez ? — Euh… oui, oui ! C’est cela. Ah ! Je m’appelle Boregard. Je vous dis ça pour la sonnette en bas. — Boregard. Quel joli nom. Moi, c’est Callaé. Philippine Callaé. — Eh bien, enchanté. Mon prénom c’est Julius. Oui, c’est vieillot, mais bon, c’est Julius… — À demain donc, Julius ! — À demain… euh… bonsoir. Il revint à l’intérieur de l’appartement et referma la porte-fenêtre. Il était quelque peu déstabilisé par l’invitation soudaine. Il en oublia sa peinture, les remarques qu’il s’était faites sur ses erreurs d’exécution. Il ne vit plus que l’état désordonné de son intérieur, les moutons qui paissaient un peu partout, l’état lamentable de la gazinière et de sa salle de bain. Mais pourquoi irait-elle dans la salle de bain se dit-il ? Merde ! Et si elle voulait se laver les mains ? Il commença à prendre une éponge pour nettoyer le lavabo puis réalisa qu’il avait toute la journée de demain. En passant de pièce en pièce, il nota tout ce qu’il devait faire. Ce fut rapide. Il n’avait jamais fait de frais dans son lieu de vie. Y étant seul et n’y invitant presque jamais personne, il ne voyait pas pourquoi il ferait un effort pour agrémenter son intérieur d’une façon ou d’une autre. Il n’y était pas malheureux ni heureux non plus. Il y habitait, cela lui suffisait. La matinée du lendemain devrait être consacrée à l’achat de produits ménagers et aussi d’amuse-gueules et de boissons. Champagne ou vin cuit ? Il prendrait une bouteille de chaque, afin de ne pas faire d’impair. Certaines personnes n’apprécient pas le champagne. Et si elle ne buvait pas d’alcool ? Jus de fruit alors, trois ou quatre saveurs. Il réalisa également qu’il avait sur ses étagères différents objets risquant d’attiser la curiosité de Philippine ou de l’offusquer. Un sous-verre avec un morceau de toile cirée sur lequel était collé un P noir était accroché dans ses toilettes, légendé : pet sur une toile cirée. Il planqua le chef-d’œuvre derrière une commode. Dans sa cuisine, trois dessins humoristiques avec des femmes presque obèses mitonnant des petits plats en tenue sexy lui apparurent tout à coup comme étant d’un goût douteux. Il les jeta à la poubelle. Après quinze minutes de chasse au mauvais goût, il décida qu’il ne pouvait faire mieux.
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