Dès que je finis, je me mets en route. Sur le trajet, j’étais stressée parce que je perdais mes mots. Mère Neslihan est quelqu’un de très stricte, et ce n’est jamais facile de lui faire entendre raison.
Quelques minutes plus tard, j’arrive devant leur sublime maison. Je rentre et me dirige directement vers le salon, où je tombe sur Mia Rose.
— Mayah, qu’est-ce qui t’amène ? Parce que je sais déjà que ce n’est pas pour moi, dit-elle en boudant.
— Je suis désolée ma belle, je sais qu’on ne passe presque plus de temps ensemble, mais promis, je vais me rattraper.
— D’accord… alors, tu viens voir qui ?
— Mère Neslihan. Est-ce qu’elle est là ?
Ses sourcils se froncent aussitôt, elle semble étonnée.
— Est-ce que c’est grave ? me demande-t-elle.
— Non, t’inquiète pas. Je t’expliquerai tout après.
— D’accord. Elle est dans sa chambre, viens, je t’y amène.
Je lui adresse un sourire, mais j’appréhende déjà ma conversation avec sa tante. Nous nous dirigeons vers la chambre de mère Neslihan quand Sonia surgit de nulle part.
— Mayah ? Qu’est-ce que tu fais ici ? me demande-t-elle.
— Elle est venue voir maman, répond Mia.
— Ah bon ? Et pourquoi ?
— C’est un sujet personnel, mais je crois que maman te le dira de toute façon, réplique Mia.
Je ne savais pas que Mia avait autant de cran, mais elle a raison. Je suis presque certaine que mère Neslihan racontera tout à Sonia une fois que je serai partie.
Nous entrons finalement dans la chambre. Mère Neslihan était allongée sur son immense lit en train de regarder la télévision. Dès qu’elle nous voit, elle se redresse aussitôt.
— Maman, Mayah est venue te voir, dit Mia.
Elle me fixe un instant puis répond :
— Merci chérie. Laisse-nous seules.
Mia s’exécute et sort, me laissant seule avec la mère de Yannick.
— Oui, je t’écoute.
Je me sens presque agressée, mais je comprends aussi qu’elle soit en colère contre moi. Mère Neslihan n’est pas une femme méchante, mais lorsqu’elle est en colère, c’est une autre histoire.
— Merci de m’accorder un peu de temps, maman. J’espère que tu vas bien.
— Oui, ça va. Merci de faire semblant de t’inquiéter pour moi, réplique-t-elle sèchement.
Je suis déconcertée. Ça devait sûrement se voir sur mon visage.
— Je… je ne vois pas de quoi tu parles.
— Arrête de me vouvoyer. Ne joue pas à la sainte ni touche avec moi. Tu es le premier ennemi de Yannick !
Je suis abasourdie.
— Ne fais pas l’étonnée, tu le sais très bien !
— Je veux dire… je ne comprends pas ce que tu veux dire par là.
— Viens t’asseoir, dit-elle en tapotant le bord de son lit.
Je m’exécute. Je suis ici pour discuter avec elle, alors je suis prête à tout entendre.
— Pourquoi est-ce que tu es venue, Mayah ?
— Maman, je sais que cette histoire ne me concerne pas vraiment, mais tu sais aussi que Yannick et moi sommes très proches. On se dit tout.
Elle reste silencieuse et me fixe sans dire un mot.
— Yannick va très mal en ce moment, et moi aussi à force. Il souffre beaucoup à cause de cette histoire de mariage, maman…
Elle me sourit avant de dire :
— Tu l’as bien précisé au tout début : cette histoire ne te concerne pas, et tu as parfaitement raison. C’est une affaire de famille, et que je sache, tu n’en fais pas partie.
Cela ne me surprend absolument pas. Elle est en colère contre moi et me le fait savoir à travers ses mots.
— Tu as raison, mais pour Yannick, je fais partie de sa famille. Et c’est réciproque : il est comme un frère pour moi.
Elle me fixe étrangement.
— Que veux-tu, au juste, jeune fille ?
— Je vous demande simplement d’essayer de le comprendre et d’arrêter de lui mettre autant de pression à cause de cette histoire de mariage. Il est assez grand pour choisir lui-même la femme qu’il veut épouser.
Il fallait que je le dise. Je l’avais sur le cœur. Yannick compte énormément pour moi, et je ne supporterais pas qu’on lui fasse du mal, même si cela vient de sa propre mère.
— C’est mon fils. Je veux le meilleur pour lui. Tu crois peut-être que tu l’aimes plus que moi ?
— Bien sûr que non. Mais moi, je suis prête à tout pour son bonheur. Et c’est justement pour ça que je suis venue vous parler.
— Tu es audacieuse, jeune fille… Mais écoute-moi bien : Yannick épousera Sonia ! Tu peux partir maintenant. Et si c’est Jasmina qui t’a envoyée, dis-lui que tu as échoué !
— Détrompez-vous. Je ne suis pas ici pour elle, mais pour Yannick. Comment pouvez-vous le forcer à épouser une femme qu’il n’aime pas ? Auriez-vous accepté qu’on vous impose un mari contre votre gré ?
Elle était choquée. Moi aussi. Je n’avais pas prévu de dire tout ça, mais c’est sorti tout seul.
— Lève-toi tout de suite ! ordonna-t-elle.
J’obéis. Elle était visiblement à bout de nerfs, et je ne voulais pas qu’elle en vienne aux mains.
— Yannick épousera n’importe qui sauf Jasmina ! Et puisque tu as eu le culot de venir m’insulter chez moi…
— Désolée de vous interrompre, mais je ne vous ai pas insultée.
— Prépare-toi : Yannick se mariera dans deux semaines. Et s’il refuse, je me donne la mort. Et ça, ce sera de TA faute !
J’ai failli faire une crise cardiaque. Comment peut-elle dire une chose pareille ? Yannick avait raison : cette femme est une manipulatrice.
— Vous ne pouvez pas faire ça !
— C’est de ta faute ! Assume les conséquences de tes actes ! Sors de ma chambre, maintenant !
Je n’arrive pas à croire qu’elle tente de me faire porter cette responsabilité.
— Écoutez, nous nous sommes mal comprises. J’essayais seulement de vous faire entendre raison. Je ne veux pas de problèmes, moi…
— Tu sors ou je crie !
J’hésite un instant. Puis je décide de partir. Ça ne sert plus à rien : quand elle a une idée en tête, personne ne peut l’en faire changer.
En quittant la maison, je croise Mia qui me demande ce qui s’est passé. Je lui raconte tout. Elle me confie qu’elle aussi a tenté de lui parler, mais qu’elle s’est énervée. Elle est vraiment déterminée à gâcher la vie de son propre fils.
De retour chez moi, j’envoie un message à Yannick pour lui expliquer toute la scène. Il me rassure, me dit de ne pas m’inquiéter, mais je n’y arrive pas. C’est trop dur. Trop injuste.
Je comprends maintenant ce que vit Yannick. Sa mère est toxique et égoïste. Elle se moque de son bonheur. Tout ce qui l’intéresse, c’est qu’il épouse une femme qu’il n’aime pas, qu’il lui fasse des enfants, parce que madame veut être grand-mère. C’est cruel. C’est injuste. Et moi, je me sens impuissante.
Point de vue de Neslihan
Je viens à peine de me réveiller de ma sieste, et un doux sourire s’installe sur mes lèvres : Yannick rentre aujourd’hui. Enfin. Nous allons pouvoir commencer les préparatifs du mariage. Je ne sais pas encore s’il a pris une décision, mais peu importe. Dans deux semaines, il sera marié. Je ne lui laisserai plus de temps. Pas après ce qu’il s’est passé avec cette fille, Mayah, qui a osé venir m’insulter chez moi.
Je suis sa mère. Et ce que j’ai décidé est pour son bien. Il va se marier, que cela lui plaise ou non.
Yannick est mon unique fils. Mon trésor. Et je ne laisserai personne, absolument personne, ruiner sa vie. Même s’il est adulte, je suis là pour veiller sur lui. Pour le protéger, comme je l’ai toujours fait. Je l’ai porté neuf mois, je l’ai élevé seule, j’ai tout sacrifié pour lui. Alors il est hors de question qu’une autre profite de lui ou ose lui faire du mal.
Sonia n’est pas un choix fait au hasard. J’ai pris le temps de la connaître, de l’observer. Elle est bien élevée, respectueuse, douce. Une fille à marier, pas une fille à histoires. Elle représente la stabilité, l’honneur, l’avenir. Et moi, je suis sa mère. Je sais mieux que quiconque ce dont il a besoin.
Quant à cette gamine, Mayah… Quelle audace ! Me faire la leçon, me regarder comme si j’étais un monstre… Elle est décevante, oui, mais je ne lui en veux pas. Car je sais très bien qui tire les ficelles derrière tout ça : cette pourriture de Jasmine.
Je la déteste. Depuis toujours.
Elle se donne des airs d’ange, joue les victimes, mais elle est tout sauf innocente.
À suivre…