Chapter 5

1280 Mots
  Claire ramassa les deux derniers pions.   En général, une partie d'échecs se termine par un échec et mat, couronnant un vainqueur. Mais Fiona ne pouvait clairement pas accepter sa défaite. Elle pinça les lèvres et déclara sans honte : "D'accord, tu as gagné cette manche, mais regarde ! Ma reine allait aussi te mater ! Ça veut dire que je gagne aussi !"   Elle déplaça effrontément son fou vers une case qu'il n'avait jamais occupée, prétendant avoir réalisé un échec et mat inexistant.   Claire la regardait comme si elle assistait à une crise de nerfs. "Donc, logiquement… je peux continuer à jouer ?"   Sans attendre de réponse, elle fit glisser sa tour sur l'échiquier, mettant à nouveau le roi de Fiona en échec. "Échec et mat. Encore."   Pendant la minute suivante, Claire démonta méthodiquement l'échiquier : sacrifiant des pièces, enfermant le roi de Fiona dans un coin, ne lui laissant aucune échappatoire. Fiona pâlit, puis ses joues se teintèrent d'un rouge vif. "Encore une partie !" s'écria-t-elle.   Partie deux. Puis trois. Puis quatre…   Claire s'amusait à ses dépens : prolongeant les parties pour l'humilier par des défaites lentes et inéluctables, ou l'écrasant en quatre coups avec une efficacité brutale. Elle ne se cachait même plus de son amusement.   Fiona finit par éclater en sanglots, sa fierté réduite en miettes.   "Ça suffit."   Lucas arracha l'échiquier de la table, son ton glacial.   Voyant son intervention, Fiona se jeta contre sa poitrine, pleurant comme si elle avait subi une grande injustice. Lucas murmura quelque chose de doux, tentant de la réconforter. Helen s'avança, pointant un doigt accusateur vers Claire. "Ce n'est qu'un jeu ! Pourquoi es-tu si cruelle ? C'est pour ça que les gens comme toi ne trouvent jamais leur place ici—mesquins et peu sûrs d'eux !"   …   Les voix autour de Claire se muèrent en un brouhaha indistinct.   Le visage de Lucas—autrefois lumineux dans ses souvenirs—semblait maintenant estompé, comme une photo décolorée par le soleil. Étrangement distant.   Peu importe. Vingt jours de plus. Laissez-le partir.   Impassible, Claire laissa tomber les pièces restantes sur l'échiquier et se leva. La fatigue s'accrochait à elle comme une seconde peau.   En se retournant, quelques gouttes de sang éclaboussèrent l'échiquier en marbre. Ce n'est que lorsque l'air froid mordit sa paume qu'elle s'en aperçut : ses ongles avaient percé sa chair jusqu'au sang.   "Claire !" La voix de Lucas se brisa sous l'effet d'une panique visible.   Il voulut la suivre, mais Fiona s'accrocha à lui, ses sanglots montant crescendo.   Claire sortit du domaine des Bennett sans se retourner. Son téléphone ne cessait de sonner pendant le trajet–c'était encore Lucas. Elle bloqua son numéro sans hésitation.   Ensuite, elle envoya un message à Helen : Quinze milliards. Pas un centime de moins. Si tu ne paies pas, tu le regretteras.   Helen faillit avoir une crise cardiaque en lisant ce message.   Claire continua de conduire. Quelque part en route, le ciel ensoleillé se fit sombre. La pluie commença à tomber, et ses pensées dérivèrent avec les gouttelettes.   Sorti de nulle part, une moto jaune vif coupa brusquement devant elle. Surprise, Claire freina brusquement.   Puis—bam !   Un bruit sourd retentit derrière elle, la projetant en avant. Sa tête frappa violemment le volant. Une douleur aiguë transperça son front. À travers le pare-brise moucheté par la pluie, le monde semblait baigné de rouge. Elle attrapa rapidement un mouchoir et essuya le sang de ses yeux. Elle avait été percutée par l'arrière—et le vélo jaune qui l'avait surprise avait déjà disparu au loin.   Toc, toc—   Quelqu'un frappa à sa vitre. Claire baissa la vitre. À l'extérieur, un homme d'une cinquantaine d'années, des lunettes sur le nez et un air poli, presque studieux, tenait un parapluie noir. Il esquissa un petit sourire d'excuse. "Bonjour mademoiselle, c'est moi qui ai percuté votre voiture. C'est entièrement de notre faute. Mais, euh, mon patron est un peu pressé. Pourrait-on échanger nos contacts et, plus tard, vous nous enverrez le devis pour les réparations ? Nous nous en occuperons sans faute."   "Je pense qu'il vaut mieux laisser la police de la route s'en occuper." Claire était déjà de mauvaise humeur, et après avoir été surprise deux fois de suite, elle était à bout. Elle ouvrit la portière et sortit de la voiture, se dirigeant vers l'arrière où la Bentley avait laissé une profonde bosse dans son pare-chocs. Fronçant les sourcils, elle prit quelques photos pour preuve et appela la police.   Voyant qu'elle était résolue à ne pas régler l'affaire à l'amiable, l'homme n'insista pas. Il retourna dans sa voiture et mit son patron au courant. "Monsieur, elle ne veut pas régler ça discrètement. Que devrions-nous faire..."   La pluie redoubla d'intensité. Les essuie-glaces balayaient le pare-brise, mais la pluie battante brouillait aussitôt la vue de nouveau. À l'intérieur, un homme était confortablement installé sur la banquette arrière, les yeux paresseusement fixés sur la femme à l'extérieur. Elle se tenait là, une main pressée contre son front, en train de parler au téléphone, la pluie trempant ses vêtements. Son chemisier blanc collait à sa peau, ses cils alourdis par l'eau, des gouttes glissant jusqu'à ses lèvres...   "Monsieur ?" appela doucement Kenneth Hall.   L'homme baissa légèrement les yeux vers sa montre. "Michael est en route. Je pars en premier. Tu restes pour t'en occuper."   "Oui, Monsieur."   Claire remonta dans sa voiture.   Quelques minutes plus tard, la police arriva. Juste derrière eux, une élégante Maybach argentée fit son apparition. Les deux véhicules s'arrêtèrent presque simultanément.   Claire sortit à nouveau.   De la Maybach, en plus de l'homme plus âgé, une autre silhouette descendit—un homme grand, à l'allure assurée, au visage anguleux, dégageant une aura de haute stature. Sa peau était claire, et ses yeux profonds et perçants. En remarquant son regard, il lui lança une œillade qui ressemblait presque à un avertissement.   Ce visage… elle était certaine de l'avoir déjà vu.   Il tendit la veste de costume qu'il avait sur le bras à Kenneth. "Donne-lui ça," dit-il, sans même accorder un autre regard à Claire avant de retourner dans la Maybach.   Kenneth se précipita vers elle, tenant la veste. "Mademoiselle, votre chemise est trempée. Vous devriez mettre ça."   Claire baissa les yeux et réalisa enfin que son chemisier était devenu presque transparent, révélant même le contour de son soutien-gorge.   Gênée, elle accepta la veste et la mit. "Merci."   Alors que Kenneth discutait tranquillement avec les officiers, la Maybach disparut au loin, avalée par la pluie. Claire eut juste le temps d'apercevoir le profil de l'homme—net, parfait.   La veste portait encore la chaleur de son corps, et le léger parfum de bois de santal repoussa l'humidité glacée qui s'accrochait à elle.   La police avait remis son rapport. Les deux parties avaient trouvé un accord et échangé leurs numéros. Kenneth avait proposé de l'accompagner à l'hôpital pour sa blessure au front.   Claire avait poliment refusé. Elle s'était calmée à présent et, repensant à son emportement précédent, elle se sentit un peu embarrassée et s'excusa : "Désolée pour tout à l'heure. J'étais vraiment de mauvaise humeur - ce n'était pas de ta faute. Je vais faire nettoyer le costume et te le renvoyer par la poste."   Kenneth ne lui dit pas qu'elle n'avait pas besoin de le retourner. Connaissant son patron, il ne le reprendrait probablement pas de toute façon. Pourtant, il acquiesça avec bienveillance.   Claire se dirigea seule à l'hôpital.   Pendant ce temps, Lucas essayait de la joindre, sans succès. La tempête qui faisait rage au dehors ne faisait qu'augmenter son angoisse, alors que des pensées terribles tournaient en boucle dans sa tête.   C'est à ce moment-là qu'il reçut l'appel—quelque chose s'était passé avec elle.
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