Un mois s’est écoulé depuis la bataille.
Les cendres ont nourri la terre, et des herbes nouvelles ont jailli sur les ruines, dressant des tiges fragiles mais pleines de vie. La plaine où le sang s’était mêlé à la pluie respire de nouveau — un souffle ancien, pur, qui semble murmurer le nom de ceux qui se sont relevés, ceux qui ont survécu à l’ombre, à la peur, à la colère. Chaque pierre, chaque brin d’herbe semble retenir la mémoire du passé, comme pour témoigner que la douleur a été traversée, que la vie continue.
Au centre du grand cercle de pierres, Neïly avance. Sa cape blanche, longue et légère, effleure l’herbe humide, créant un murmure feutré à chacun de ses pas. Ses yeux violets brillent comme deux fragments de lune, reflétant la lumière des étoiles encore timides. La lune rouge s’élève lentement derrière les montagnes, teintant le ciel d’un éclat mystique, comme pour accompagner le destin de celle qui a survécu à tout.
Sa main se pose doucement sur la tête du grand loup blanc, fidèle gardien revenu des ombres. Ses poils argentés scintillent dans la lueur du matin, et ses yeux reflètent toute la sagesse et la force accumulées à travers les âges. Il est son miroir, son compagnon silencieux, la présence rassurante qui lui rappelle que même dans le chaos, elle n’est jamais vraiment seule.
Autour d’elle, la meute autrefois déchirée est agenouillée : les anciens, les guerriers, et même ceux qui, jadis, l’avaient méprisée, inclinent la tête. Dans leurs yeux, la peur et le doute ont laissé place à l’admiration et au respect. Le vent semble porter leurs murmures, transformant les paroles en un chant ancien, vibrant et sacré.
— Louve du crépuscule, fille des deux lunes,
Reine des cendres et du renouveau,
Prends ta place parmi les astres.
C’est Eryon, le vieux chaman, qui prononce ces mots. Sa voix tremble, mais ce n’est pas de peur. C’est de respect. Son regard se pose sur Neïly avec une révérence profonde, consciente que l’histoire de leur monde bascule sous ses pas. Les mains du chaman, ridées par le temps, s’élèvent vers le ciel comme pour guider le destin lui-même.
Neïly ferme les yeux. Le vent se lève soudain, faisant danser ses cheveux d’argent autour de son visage. Une lueur traverse le ciel, douce et chaude, comme une bénédiction céleste. Elle inspire profondément, sentant l’énergie de la terre remonter à travers ses pieds nus, circuler dans ses veines, embraser son cœur. Chaque souffle devient un rythme sacré, chaque battement de son cœur une prière silencieuse pour le renouveau.
Elle lève les mains vers la lune rouge, qui éclaire doucement son visage. Les rayons semblent caresser sa peau, l’envelopper d’une lumière qui n’est ni humaine ni divine, mais quelque part entre les deux. Et tout autour d’elle, les loups hurlent. Mais ce n’est plus un hurlement de rage, ni de défi : c’est un cri d’acceptation, de reconnaissance et de fidélité. Leurs voix s’élèvent, se mêlent, vibrent comme un seul cœur, une seule respiration. Chaque hurlement semble graver dans l’air un serment silencieux : leur loyauté, leur force, leur choix.
À sa droite, Daëmon s’avance. Ses mouvements sont mesurés, chaque pas posé avec soin. Son regard croise celui de Neïly, et sans un mot, il pose un genou à terre, symbole de respect et de dévouement. Son souffle est régulier, mais ses yeux brillent d’une émotion qu’il ne peut cacher.
— Ma Reine, murmure-t-il.
Ma lumière.
Neïly sourit. Un sourire tranquille, sûr, presque divin, qui ne demande ni révérence ni soumission. Il reflète simplement la force d’une âme qui a traversé l’ombre et en est sortie intacte.
— Relève-toi, Daëmon. Je n’ai pas besoin d’un sujet, dit-elle avec douceur.
Mais d’un égal, d’un frère d’âme.
Leurs doigts se frôlent, et une onde blanche, lumineuse et pure, traverse le cercle. La lumière semble se répandre, se faufiler entre les pierres et les herbes, se mêlant aux hurllements et aux murmures des loups. Le sceau de la nouvelle Meute Lunaire est né : une union d’ombres et de lumière, de pardon et de force, une promesse que ce monde, bien que marqué par le sang et la douleur, peut renaître sous un jour nouveau.
Les enfants, qui avaient observé la scène depuis les lisières du cercle, courent autour d’eux, riant, criant et jouant. Des fleurs éclatent là où leurs pas foulent la terre, comme si la nature elle-même célébrait la naissance d’une ère nouvelle. La lune et le soleil se partagent enfin le ciel, mêlant leurs rayons, créant un équilibre entre jour et nuit, entre lumière et obscurité.
Neïly tourne le visage vers l’horizon, là où le jour et la nuit se confondent. L’air est léger, parfumé par la pluie ancienne et le renouveau de l’herbe. Le vent caresse sa peau, et chaque brise semble murmurer un mot d’encouragement, un serment silencieux.
— Plus jamais une oméga, dit-elle dans un souffle.
— Plus jamais seule, répond Daëmon.
Leurs voix se perdent dans le vent, portées jusqu’aux montagnes, jusqu’aux vallées, jusqu’aux cieux eux-mêmes. Et quelque part, dans le reflet des nuages, deux silhouettes s’éloignent, unies par la promesse d’un monde nouveau, libres enfin de leur passé, prêtes à bâtir un avenir ensemble.
La lune rouge s’éteint lentement, remplacée par une lueur argentée, douce et pure. Dans ce dernier rayon, le monde semble retenir son souffle, témoin silencieux d’une légende qui vient de naître. Et dans ce silence, dans cette lumière, une seule vérité s’impose : celle de Neïly, la Reine des Lunes, gardienne de l’équilibre, souveraine des cœurs et des âmes, celle qui a choisi la lumière et la liberté par-dessus tout.
Elle inspire profondément, sentant la vie pulser autour d’elle. Chaque souffle de vent, chaque murmure des feuilles, chaque chant d’oiseau naissant dans les branches est un hommage à son courage et à sa détermination. Elle sait que des défis viendront encore, que l’avenir sera semé d’épreuves, mais ce moment, ce souffle suspendu, est à elle, et il restera gravé dans la mémoire du monde pour toujours.
Et tandis que les premières étoiles apparaissent timidement dans le ciel, la lueur argentée de la lune se reflète dans ses yeux violets, rappelant à tous que les légendes ne meurent jamais, qu’elles se transmettent, qu’elles s’incarnent à nouveau dans ceux qui osent croire en la lumière, même après la plus longue des nuits.
La plaine respire enfin. Les pierres anciennes semblent chanter, les herbes murmurent, et la meute, unie autour de leur Reine, sait que plus jamais ils ne seront seuls. Ensemble, ils ont traversé l’ombre, et ensemble, ils marcheront vers l’aube nouvelle.
Neïly ferme les yeux un instant, et dans ce souffle, elle sent tout ce qu’elle a gagné : la liberté, l’amour, la force, et surtout, le pouvoir de choisir son destin. Elle sourit, une fois encore, et dans ce sourire se trouve la promesse de tous les lendemains.
Ainsi s’achève le chapitre, mais l’histoire, elle, ne fait que commencer.
Fin.