Chapitre 11_ Sous la lune écarlate

1069 Mots
Le vent hurle comme une bête blessée. Il s’insinue dans chaque pli de sa cape, fait claquer les branches mortes, soulève la poussière et la cendre encore fumante des ruines de la bataille précédente. La lune rouge saigne au-dessus du champ dévasté, immense et silencieuse, comme un témoin cruel des horreurs passées et du sang encore chaud sous leurs pieds. Chaque rayon rouge semble tracer le contour d’un destin inéluctable, illuminant les silhouettes brisées, les corps étendus et les regards défiants. Neïly se tient droite, la poitrine haute malgré la fatigue, le corps endolori par les combats précédents. Sa longue cape déchirée bat contre ses jambes à chaque souffle de vent, et ses cheveux d’argent, emmêlés par la tempête, scintillent sous la lumière lunaire. À ses côtés, Daëmon s’avance, son regard sombre et concentré, ses muscles tendus comme un ressort prêt à se libérer. Leurs yeux se croisent — un instant suspendu, un souffle de silence dans la tempête, un lien silencieux qui parle plus que mille mots. Devant eux, la meute déchue s’étend, massive et menaçante. Les crocs luisent, les muscles se tendent, les yeux flambent de haine et d’avidité. Les mâles et les femelles avancent par vagues, l’ombre de leur puissance se projette sur le sol, et chaque pas soulève un nuage de poussière et de feuilles mortes. Et au centre, le Chef de l’Ombre se tient droit, imposant, le poil noir hérissé, les crocs partiellement visibles sous son grognement rauque. Sa voix fend la nuit comme une lame : > — Neëly. Reviens. Tu es des nôtres. Neïly rit. Un rire froid, vibrant, tranchant comme du verre, un éclat de défi qui résonne entre les troncs. Il n’a rien de joyeux. Il est l’expression pure de sa liberté, de sa colère contenue, de son refus obstiné. > — Des vôtres ? Non. Je suis libre. Et ce soir, je combats pour moi. Un grondement monte du sol. La terre frémit sous l’effet de la puissance de Neïly et Daëmon réunis. Des éclairs rouges et violets parcourent l’air autour d’eux, scintillant comme des braises dans la nuit. Daëmon se transforme, ses traits se tendent, son corps se recouvre d’un pelage argenté qui capture la lueur sanglante de la lune, faisant danser les reflets sur le champ de bataille. Son souffle est un grondement profond, un avertissement et une promesse à la fois. Neïly ferme les yeux. Une lumière violette s’éveille en elle, irradiant de ses veines jusqu’à ses doigts. Ses yeux s’ouvrent, brillants et presque divins, fusionnant la puissance lunaire avec l’énergie ancienne de son sang mêlé. La lune rouge éclaire son visage, accentuant chaque cicatrice, chaque douleur, chaque souvenir de souffrance transformé en force. Leurs auras se rejoignent — rouge et violet — et fendent le ciel comme un cri silencieux, vibrant et pur. Alors la bataille éclate. Les loups se jettent sur eux dans un rugissement d’acier et de fureur. Leurs crocs scintillent, leurs griffes frappent la terre, et l’odeur du sang et de la peur s’élève, saturant l’air d’une tension palpable. Neïly bondit, sa lame tournoyante traçant des arcs de lumière qui déchirent la nuit, tandis que chaque mouvement semble orchestré par une chorégraphie que seuls elle et Daëmon connaissent. Lui rugit, frappe, déchire, ses mouvements précis et brutaux complétant ceux de Neïly. C’est une danse sauvage, fluide, presque trop belle pour être une bataille. Chaque pas qu’elle fait, il le devine. Chaque attaque qu’il lance, elle la complète. Leurs âmes se rejoignent enfin après des siècles d’errance, fusionnant douleur, désir et puissance dans un même flot. La lune s’assombrit. Une éclipse s’annonce. Le ciel se déchire, et un voile noir descend sur la clairière, comme si l’univers retenait son souffle en anticipation. Neïly chancelle légèrement, son énergie vacille, et le poids de la fatigue et du doute menace de la faire tomber. Le Chef de l’Ombre saisit alors sa chance. Il l’attrape par la gorge, ses yeux plongent dans les siens, et chaque mot qu’il prononce est une chaîne invisible qui tente de l’asservir : > — Tu ne peux pas échapper à ce que tu es. Tu es née pour nous appartenir. Daëmon hurle. Un hurlement si puissant que le temps semble s’arrêter. Le vent se fige, les arbres cessent de bouger, et la lune, désormais presque noire, pulse une dernière fois, projetant des éclats rouges et argentés sur le champ de bataille. Neïly ferme les yeux et murmure avec une certitude retrouvée : > — Si je dois appartenir à quelqu’un… alors ce sera à la lumière. Daëmon bondit. Sa silhouette argentée se mêle à la lumière violette qui émane de Neïly, fusionnant dans une explosion d’énergie pure et aveuglante. Le sol tremble, les ennemis hurlent, la meute entière est submergée par l’onde qui balaie tout sur son passage. Le Chef de l’Ombre s’efface dans un cri déchiré, englouti par la lumière qui consume sa volonté et sa force. Silence. Le vent se calme. La lune retrouve son éclat, désormais blanche et paisible. Le champ n’est plus qu’une scène silencieuse, parsemée de corps immobiles, mais l’air est chargé d’une énergie nouvelle, palpable. Neïly et Daëmon, couverts de sang et de poussière, se tiennent encore debout, l’un contre l’autre, respirant lourdement, les yeux brillant d’une lumière que seule la victoire peut donner. Il pose sa main sur sa joue, haletant, le regard chargé d’émotion et d’admiration. > — C’est fini, Neïly. — Non, murmure-t-elle, le souffle tremblant mais la voix ferme. Ce n’est que le début. Ils lèvent les yeux vers le ciel où la lune, désormais pure et calme, semble les bénir. La clairière entière respire enfin, le temps se remet à couler, et la promesse d’un nouveau monde se fait sentir dans chaque brise qui caresse leur peau. Neïly ferme les yeux un instant, sentant Daëmon à ses côtés, son cœur vibrant à l’unisson du sien. Elle sait que d’autres batailles viendront, que des épreuves plus terribles encore les attendent. Mais pour la première fois depuis des années, elle ressent la puissance de choisir son propre destin, de protéger ceux qu’elle aime, et d’incarner pleinement ce qu’elle est devenue : une reine forgée dans le sang et la lumière. Et alors que les premières étoiles apparaissent timidement dans le ciel, leur lumière semble se refléter dans les yeux de Neïly, rouge et violet, comme un écho des auras fusionnées. Le futur est incertain, mais ce soir, la légende a commencé.
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