Chapitre 1

2195 Mots
Moscou - Chagrin de famille                                                                                    ZAKHAR     Une tumultueuse bacchanale retentit. Des chants d'ivresse, de l'engouement de la part des jeunes femmes pour la beauté de la gente masculine. Dionysos était présent, insufflant son enchantement. Mon regard s'attardait sur la scène. Des femmes se dandinaient pour attirer les mâles. Elles cherchaient à se faire sauter et elles aimaient ça. Elles assumaient le fait qu'elles étaient aguicheuses et elles s'en vantaient.   Que des salopes dans ce monde.    J'avais qu'une chose à constater. Les femmes étaient toutes frustrées sexuellement. Pas une pour rattraper l'autre. Elles aimaient d'abord nous épier du regard, d'autres lascives, embrassaient ce sentiment véhément. Par une attitude cauteleuse, elles convoitaient une certaine tarentule entre nous mais je portais plus une aversion à leur égard que de l'affection. Elles étaient toutes dénuées d'une faculté rationnelle. Je haïssais les femmes et ça jusqu'à mort s'ensuivait. Elles méritaient les pires châtiments. Elles étaient simplement des objets sexuels, un récipient dans lequel je crachais mon venin. Elles aimaient toutes le vice, pas une pour rattraper l'autre. Je haïssais les femmes. J'avais décidé de les détruire psychologiquement jusqu'à perdre le peu de dignité qui était en elles. J'aimais les séduire pour ensuite les jeter telles des ordures car elles méritaient ça.  Verre de vodka à la main, je balayai d'un air apathique cette salle, ce bar médiocre et pourtant j'en étais le propriétaire. L'argent coulait à flot, le bar était connu de tous mais je ressentais ce désir inachevé. Je ne voulais pas de cette vie mais le destin en avait fait autrement.   J'étais comme un ciel sombre où les étoiles ne consentaient à parsemer les démons qui me démangeaient. Un sentiment de tristesse se mêlait à mes mélasses hargneuses. Aucune lumière peinait à s'émerger. Un amas de remords me possédait, me hantait mais les échos de ma souffrance rythmaient la morosité de mon âme. Étais-je semblable à un tableau terne ? Sans doute. La souffrance était une sensation agréable une fois qu'elle demeurait en moi. Une graine d'oubli fleurissait en moi, cherchant à tout prix à oublier ma véritable identité. Ce sentiment de n'être qu'un grain de sable parmi tant d'autres me plaisait. J'aurais aimé être un vagabond, un enfant perdu de Moscou. Personne sur qui compter, aucun lien familial pour me ternir. J'aurais aimé être un bandit, orphelin qui enchaînait les périples, inconscient de la mort qui le frôlait chaque jour. Vingt-cinq ans au compteur, balafré au sens propre comme au sens figuré depuis maintenant dix ans. Supplicié incompris, ma vie n'était qu'un tonneau des Danaïdes où le bonheur me filait des mains.  Bienvenue dans la vie de Zahkar, qui débitait la nuit quand il était ivre. Bienvenue dans les malheurs d'un pauvre gars qui dissimulait ses peines par une carapace et agressait toute personne qui osait le connaître davantage.   — Dans deux semaines Koskov privatisera le bar, il a proposé 767 000 roubles pour seulement une nuit. J'ai accepté avant même que que tu ne déclines l'offre, m'indiqua mon acolyte, Viktor, me faisant sortir de mes sombres pensées. Il souhaite les plus belles danseuses et serveuses. Koskov était un quadragénaire qui avait deux passions, l’argent et les désirs charnels. C’était un homme qui avait grandi dans la misère avant de faire fortune dans la vente d’alcool à l’étranger. Il avait le don de dénicher les meilleurs alcools du pays et les revendait à un prix exorbitant. Je vis Sergei, un ami de longue date, s’avancer vers nous en raillant ouvertement mon attitude. — Toujours aussi grognant à ce que je vois Zakhar. Arrête d’être tendu un peu. Tu devrais être plus, comment dire.  J’arquai les sourcils en répliquant sèchement. — Plus quoi ? — Plus convivial, chaleureux. T’as comme un bâton dans le c*l depuis des années. Laisse-toi aller pendant un moment, personne ne te connaît. Tu vis toujours dans le doute, dans la méfiance. Arrête d’être parano’ un peu et va te détendre avec une fille de joie. Elles te courent toutes après.  Je dardai un regard méprisant avant de le sermonner. Il aimait bien sortir quelques facéties pour détendre l’atmosphère mais c’était avant tout un homme de confiance. — Plus sérieusement, je suis venu pour les affaires. Il est déterminé à te faire voir de toutes les couleurs Zakhar. Tiens-toi prêt. Sa mort approche à très grand pas, ils sont inquiets et sont prêts à s’en prendre à toi, m’annonça-t-il d’un ton ferme en me tendant un dossier de famille, tu trouveras un rapport de tous les membres de ta famille. — Je t’ai dit que je suis orphelin Sergei. Je n’ai plus de contact avec ma famille, grognai-je de mécontentement avant de m’éclipser et rejoindre mes démons de minuit.                                                                                         IRINA     Des coups drus me firent sursauter, m'obligeant à allumer la lumière et je remarquai qu'il était six heures du matin. Grand-mère Anastasia se réveilla et me demanda d'une voix faible et endormie. — Qui est-ce ? — Je ne sais pas baboulya*, je vais aller voir. Tu peux te rendormir, lui indiquai-je en me dirigeant vers la porte. Des grognements ne cessent de s'échapper et d'une voix rocailleuse j'entendis mon prénom à maintes reprises. — Irina, ouvre c'est Alexei. Je fronçai les sourcils au son de sa voix où quelques braillements s'échappaient sans cesse. J'ouvris et par le peu de lumière je pus apercevoir mon frère dans un piètre état. Un visage amoché venait de s'offrir à moi où quelques éraillures parsemaient son cou. Des mains ensanglantées et des taches de sang recouvraient les vêtements d'Alexei. — N'ose rien dire, grogna mon frère avant de me bousculer pour entrer. Il était difficile pour Alexei de se cacher puisque notre habitat n'était constitué que de deux pièces. La salle de bain et puis une pièce où nous pouvions dormir et manger. Après la mort de notre père et l'abandon de notre mère, nous étions contraints d'emménager dans un quartier de Moscou. Un quartier où le paupérisme nous étouffait. Des bâtiments décrépits où la noirceur les jonchait, des déchets comblaient souvent le sol. Un tableau sinistre et glauque se dressait parfois devant nous. Certains ignorent les secrets du quartier, des tourments qui rongent inlassablement l'esprit des habitants mais personne n'osait parler. — Seigneur ! Qu'arrive-t-il à mon petit-fils ? s'écria grand-mère de peur, se dirigeant difficilement vers lui. — Rien babouchka*, je suis tombé. — Tombé ? Arrête tes inepties Alex'. Ça se voit qu'on t'a tabassé ! Qu'as-tu fait encore ? En ce moment tu rentres défiguré, tu n'es jamais à la maison ! On dit même que tu travailles pour des bandits ! Il me foudroya du regard avant de marmonner dans sa barbe. — Ferme ta p'tain de gueule Irina et casse-toi de là ! Dégage de mon, il resta silencieux pendant quelques secondes avant de serrer les dents, chemin. Bien qu'il m'énervât, je ne pouvais pas m'empêcher d'être inquiète pour mon grand frère. Il était tout pour moi, la prunelle de mes yeux. — Je vais aller chercher des bandages chez Elizaveta, répliquai-je sèchement et sortis en claquant la porte. Elizaveta, ma meilleure amie, habitait près de chez moi, à une dizaine de pas. C'était une jeune femme en or et Dieu savait à quel point elle était douce et pure. Elle travaillait d'arrache-pied pour subvenir aux besoins de ses parents et c'était grâce à elle que j'avais trouvé un petit job en tant que serveuse de nuit dans le coin, en plus d'être femme de ménage dans les hôtels luxueux de la capitale. Arrivée à destination, je toquai en espérant la trouver mais son grand frère m'ouvrit. Il me regarda d'un air perplexe. Ce n'était pas dans mes habitudes de venir à cette heure-là. — Irina, comment tu vas ? Que se passe-t-il pour que tu viennes toquer du bon matin ? Tu es venue pour Eli c'est ça ? Elle est partie garder la fille de Miroslava et reviendra dans quelques minutes. Entre si tu veux l'attendre, comme ça, vous partirez ensemble en ville pour le boulot. — J'étais venue lui demander quelques bandages. Alexei a encore fait des siennes et est revenu le visage défiguré, lui expliquai-je les larmes aux yeux, mordant ma lèvre inférieure pour ne pas craquer. Il me caressa légèrement l'épaule en guise de compassion. Après être rentré pour cherche ce dont j'avais besoin, il revint tout en me racontant les péripéties d'Alexei. — En ce moment Alexei est étrange. Il traine avec les bandits du quartier voisin et tout le monde sait qu'ils sont à craindre. Je l'ai sermonné maintes fois mais il ne veut rien entendre. Ce sont des hommes dangereux Irina, ils n'ont pas peur de tuer et encore moi d'être tués. J'ai entendu dire que ton grand frère leur a fait une crasse et c'est pour ça qu'ils sont à sa poursuite. Essaie de convaincre Alexei de rester à la maison pendant quelques jours. Je viendrai demain après le boulot pour le raisonner encore une fois. J'acquiesçai et partis à la maison. Ces paroles m'avaient donné des frissons. Comment pouvait-il traîner avec ce genre de personne. Le quartier voisin abritait des personnes sordides, assoiffées de sang qui n'avaient d'yeux que pour l'argent. J'avais entendu dire qu'un homme riche et puissant détenait ce territoire terrifiant. À peine arrivée à ma petite maison que je sentis une présence près de moi, comme si des yeux m'avaient capturée. Je pivotai dans tous les sens mais le vide atteignait son paroxysme, aucune présence humaine à part moi. Je devais rêvasser, songeai-je.  — Irina, je m'en occupe. Va donc te changer, tu ne dois pas être en retard au travail, me proposa baboulya en prenant les bandages. Je vais le soigner. Je ne répliquai et je lui souris en guise d'agrément. Alexei faisait semblant de ne pas me voir. À chaque bêtise de sa part, j'étais obligée de le réprimander et il haïssait ça. Il me disait sans cesse qu'il savait ce qu'il faisait. Après m'être préparée pour le boulot, je décidai de rejoindre Elizaveta qui m'attendait comme à son habitude devant le pont qui menait en direction de l'hôtel. — Mikhaïl m'a dit que tu es passée à la maison pour des bandages. Alexei a encore fait des siennes je suppose, me questionna-t-elle en levant les yeux. — Comme à son habitude mais il ne veut rien entendre. Tu sais comment il est, une vraie tête de mule qui aime se faire tabasser. Même ton frère Mika m'a dit qu'il traînait avec les bandits du quartier d'à côté. Je suis inquiète mais il n'en fait qu'à sa tête et ça commence à m'angoisser. Elle essaya de me rassurer mais en vain, depuis ce matin un sentiment d'inquiétude me rongeait. Une crainte s'emparait de moi depuis quelques minutes en pensant à cette imbéciles d'Alexei.    Les heures passaient sans aucune inconsistance et ce sentiment craintif s'intensifiait. J'avais cette impression qu'on me surveillait et cela m'oppressait. Eli me disait que mon esprit me jouait des tours et que je devais être sereine. À la fin du boulot, nous décidâmes de quitter l'hôtel en direction du petit bar de la ville dans lequel nous travaillions. Le fait d'avoir deux petits boulots nous permettait de subvenir à nos besoins. Nous étions mal payées mais c'était mieux que rien. Avant de partir, nous remarquâmes une limousine s'arrêter devant l'entrée de cette bâtisse luxueuse. Un homme d'une carrure imposante fit son apparition. Il respirait la puissance et mais surtout la richesse bien évidemment. — Qui est-ce ? S'empressa de demander Eli les yeux rivés vers cet homme. — Zaven Golovin, futur héritier de l'entreprise Golovin Tech. Sa famille est l'une des plus puissantes du pays, intervint Rita, une collègue. On dit qu'il est un homme si puissant qu'il détient une île à son nom. Mais on dit aussi que c'est un homme exécrable qui a tué son petit frère pour accéder au trône. — C'est horrible ! s'écria ma meilleure amie. — Ce ne sont que des rumeurs. Et puis même si c'est vrai, l'affaire a dû être close et classée dans les archives. La famille a la capacité d'étouffer n'importe quel scandale qui les touche. C'est ça d'appartenir à une famille riche. Les riches parlent avec l'argent et non avec leur tête et ne sont que des pantins pour le gouvernement. Sur ces dernières paroles, elle nous salua et s'éclipsa. Rita était une belle serbe qui avait été forcée de faire sa vie avec un Russe. Pour de l'argent, ses parents avaient accepté de la vendre. Ce mariage arrangé était un calvaire et c'était au boulot qu'elle se sentait en sécurité. Bien qu'elle fût dans une situation économique stable, elle daignait travailler pour échapper pendant la journée à ses griffes. Son soi-disant mari était parfois v*****t avec elle mais elle encaissait sans dire un mot parce qu'au fond d'elle, elle commençait à l'apprécier. Elle était forte et courageuse mais au fond, c'était un être frêle qui avait besoin d'affection.   À peine eussé-je le temps d'entamer un pas qu'une présence masculine surgit. Capuche rabattue qui ne laissait rien transparaître, une corpulence assez imposante. Il releva sa tête et je fus crispée par sa paire d'yeux sombre, comme si je la connaissais. Il nous détailla minutieusement avant de m'ordonner par sa voix ferme et rocailleuse. — Irina. Aucune de nous deux réagit. Je jetai une œillade à Elizaveta et celle-ci était restée de marbre, s'évertuant à cacher sa crainte. Comment connaissait-il mon nom ? Qui était-il ? — Irina, répéta-t-il en insistant sur chaque mot. Tu as intérêt à dire à ton frère Alexei de rendre ce qu'il a volé sinon sa vie sera comptée. Il entraînera la mort de ta pauvre grand-mère et la tienne. Soudainement il disparut, sans me laisser le temps de comprendre le fond de ses dires.                                                                                         **   Babouchka* = grand-mère en russe  Baboulya* = diminutif affectif pour dire grand-mère en russe                                                                                                                              
Lecture gratuite pour les nouveaux utilisateurs
Scanner pour télécharger l’application
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Écrivain
  • chap_listCatalogue
  • likeAJOUTER