Les semaines suivant le départ de Ryan furent plus difficiles que ce qu’Élena avait imaginé. Elle se retrouvait souvent seule dans son appartement, à se concentrer sur ses dossiers, mais une partie d’elle semblait toujours manquer. Elle s’était habituée à sa présence, à sa chaleur, et à ses baisers furtifs. Sans lui, l’appartement semblait plus grand, les journées plus longues.
Elle prit néanmoins du temps pour elle, pour se redécouvrir. Elle se plongea dans de nouveaux projets professionnels, régla des litiges plus audacieux, et se laissa emporter par des soirées entre amis, des discussions qui l’amusaient mais ne comblaient pas ce vide. Elle ressentait l’écho de son absence, mais elle comprenait aussi que cette solitude était nécessaire pour qu’elle puisse se redéfinir.
Elle commença même à voyager un peu par le biais de son travail, prenant au passage quelques escapades pour elle-même. La France, l’Italie, des endroits qu’elle avait toujours voulu visiter, mais auxquels elle n’avait jamais accordé de temps.
Suivant le parcours de son homme, elle s'était toujours arrangée pour ne pas se retrouver dans la même ville que lui au risque de le croiser. Ce n'était pas parce qu'elle n'en avait pas envie. Loin de là. Elle ne voulait juste pas craquer et devoir subir un autre au-revoir après une nuit passée dans ses bras. La dernière fois avait été largement suffisant pour lui arracher le cœur et elle ne voulait plus revivre l'expérience de si tôt.
Ces voyages furent un soulagement, un moyen de se reconnecter avec elle-même, sans les attentes de son travail ou de sa relation avec Ryan.
Cependant, une partie d’elle attendait toujours son retour. Elle savait que la distance était un test. Chaque message, chaque appel de Ryan la faisait sourire, mais en même temps, elle sentait une distance qui grandissait. La peur de s’éloigner l’un de l’autre était une réalité à laquelle elle devait faire face. Mais elle se rendait compte qu’elle avait changé, elle aussi. La relation avec Ryan, bien qu’intense et passionnée, l’avait poussée à mieux se comprendre, à savoir ce qu’elle voulait vraiment. Et cette certitude grandissait de jour en jour.
Que faisait-il à cet instant précis ? se demanda-t-elle sans oser l'appeler.
Paris, son ultime destination. Le dernier jour de sa tournée internationale se soldait par une exposition de ses œuvres fards aux côtés de celles de Baron Harvey, son mentor grâce à qui il avait eu cette opportunité et qui l'avait accompagné durant tous ses déplacements.
Alors qu'il était plongé dans une discussion de groupe avec quelques invités, ses yeux se posèrent sur le dos d'une femme. Sa chevelure ressemblait fortement à celle d'Élena et cela lui fit rater un battement à son cœur. Il savait qu'elle avait eu à effectuer quelques petits voyages professionnels et il n'avait pas oser lui proposer une rencontre même lorsqu'ils se retrouvaient dans un même pays. Mais cette fois-ci était-elle venue à Paris sans le lui dire ?
Sa question ne resta pas longtemps sans réponse car la seconde d'après la femme se retourna. Ce n'était pas Élena.
Leurs regards se soudèrent durant une fraction de seconde mais Ryan détourna rapidement le sien pour ne pas lui faire croire qu'il était intéressé.
Son mentor arriva à sa rescousse et l'entraîna vers un autre coin de la salle. Le vieil homme le félicita avec effervescence.
— Cette tournée était un franc succès Ryan.
– À qui le dis-tu ?
– Trinquons, proposa Baron en attrapa deux coupe de champagne sur le plateau d'un serveur qui passait par là.
Ryan l'accepta volontiers. Ils papotèrent ensemble pendant quelques minutes et le sujet vira rapidement vers sa bien-aimée restée à New-York.
– Tu as hâte de rentrer pour la retrouver.
– Ça ne saurait tarder mon cher, fit Baron en lui tapant amicalement sur l'épaule. Je te laisse, il faut que j'aille convaincre ce cher Gérôme d'acheter ne serait-ce qu'un seul de mes tableaux.
Une fois son mentor parti, Ryan décida de déambuler dans la salle. La lumière tamisée du vernissage baignait la galerie d'une ambiance chaleureuse et intime. Des murmures élégants ponctués de rires résonnaient entre les murs tapissés de photographies en noir et blanc. Ryan, vêtu de façon décontractée errait discrètement jusqu’à ce qu’il croise à nouveau le regard de la femme de tout à l'heure. Il lui fit cette fois un bref sourire poli par obligation afin de ne pas avoir l'air revêche. Puis il détourna la tête.
Ryan s'arrêta devant une immense photo au hasard et sourit naturellement cette fois en voyant qu'il s'agissait de sa préférée, la meilleure œuvre du vernissage à son avis. C'était la seule à ne pas être mise en vente. Plusieurs acheteurs s'étaient manifestés durant chaque exposition mais il avait catégoriquement dit non malgré les prix exagérément faramineux qu'on lui avait proposé. Mais il ne comprenait que trop bien l'ardeur de ces gens qui voulaient l'acquérir. Mais il était hors de question qu'un autre homme que lui possède cette image. Il était le seul à avoir ce droit, ce privilège.
Il observa la photo avec intensité. Elle dégageait une émotion brute, et Ryan ne put s’empêcher d'effleurer le cadre, comme s'il essayait de s’imprégner de l’instant.
Intriguée, elle s’approcha doucement.
– Belle photo, non ? lança-t-elle avec un sourire en coin.
Ryan tourna la tête vers la voix féminine, légèrement surpris, mais amusé.
– Oui, elle est captivante.
– On dirait que le photographe a saisi quelque chose de rare.
"Quelque chose qu'il aime surtout", faillit-il ajouter.
Ryan haussa les épaules, faussement modeste.
– Je crois qu’il a eu un peu de chance ce jour-là.
Elle plissa les yeux, captant l’espièglerie dans sa voix.
– Attendez, c’est la vôtre ?
– Peut-être.
Il fit mine de réfléchir.
– Ou alors, je suis juste un grand admirateur qui a un faible pour les beaux portraits.
Abby rit, un son clair et sincère qui fit naître un sourire plus large sur le visage de Ryan.
– Eh bien, monsieur l’admirateur, il semble que vous ayez un bon œil.
Puis, profitant de l’ouverture, elle inclina légèrement la tête.
– Et vous avez une façon unique de regarder les choses. J’ai vu la manière dont vous étiez absorbée par cette image. C’est rare, quelqu’un qui ne se contente pas de simplement regarder. Vous ressentez.
Il leva un sourcil, intriguée par cette observation pertinente et véridique.
– Peut-être est-ce l’effet que provoque les bons modèles-photos. Pour ce genre d'art, c'est à eux qu'incombe la tâche de faire en sorte que celui qui admire l'œuvre observe vraiment et ressente des émotions à travers leurs regards. C'est le cas la femme que vous voyez ici. Elle le fait à la perfection je trouve.
Ryan s’appuya nonchalamment contre le mur. Elle ne cessait de le boire du regard.
– Ou peut-être que c’est l’effet d’une personne vraiment intéressante qui sait comment se connecter avec ce qu’elle voit.
Il ricana mais ne perdit pas son aplomb.
– Vous êtes toujours aussi directe, ou c’est parce que vous êtes dans votre élément ici ?
Elle sourit, un mélange de charme et de sincérité.
– Peut-être un peu des deux. Mais il faut dire que certaines personnes rendent les conversations plus faciles.
Il croisa les bras, jouant le jeu.
– Flatterie. Je vais supposer que c’est votre stratégie habituelle.
– Ça fait partie de mon travail. Je suis dans l'immobilier, je vends précisément des maisons dont personne ne veut et pour convaincre les clients de les acheter, il faut non seulement trouver des qualités à la bâtisse mais aussi caresser l'acheteur dans le sens des poils.
– Je comprends mieux.
– Je m'appelle Abby, Abby Walsh.
– Ryan Amstrong.
– Je ne m'étais donc pas trompée, c'est vous l'auteur de cette photo.
Il acquiesça en silence.
– J'ai entendu beaucoup de bien sur votre travail. Par curiosité j'ai décidé de venir et j'avoue que je suis loin d'être déçue.
– C'est toujours un plaisir pour moi de voir que mon travail plaît autant.
Abby le fixa avec un sourire malicieux.
– Alors, vous pourriez peut-être me montrer ce que votre appareil et vous savez faire ?
Ryan éclata de rire, appréciant son audace.
– Avec plaisir, mais il faudrait que j'aille le chercher. Et puis je vais devoir vous prévenir, je préfère les clichés pris sur le vif.
Cela voulait tout simplement dire qu'il préférait prendre des photos lorsque le sujet ne s'y attendait pas. C'était le cas de la personne figurant sur l'immense portrait qui leur faisait face.
Cela avait été dit en toute innocence mais elle sembla le prendre comme du flirt.
Abby, un sourire en coin, hocha la tête.
– Tant mieux. Moi aussi.
De plus en plus aguicheuse, elle se rapprocha de lui pour mieux flirter.
– Vous voulez qu'on aille chez vous pour prendre les photos ou chez moi ? J'ai des lingeries exquis mais je pourrai tout aussi bien ne rien porter.
Comprenant qu'elle s'attendait à "plus", Ryan décida de ne pas la laisser se leurrer d'avantage.
– Désolée Abby mais je ne serai pas votre homme ce soir. Une magnifique femme m'attends à New-York.
– Oh...
Elle sembla déroutée mais n'abandonna pas. Elle pensait sûrement qu'il était le genre d'homme qu'on persuadait facilement.
– Personne ne saura, encore moins elle.
Ryan était un fort bel homme et elle ne voulait très certainement passer à côté d'une nuit d'extase dans ses bras. Sauf qu'il n'avait jamais été le genre d'homme à jongler de femme en femme pour le plaisir s*xuel. Les coups d'un soir, ça n'avait jamais été son truc. Élena ne méritait pas ça.
– Avez-vous parfaitement saisi ce que je viens de dire ?
– Je ne vous demande pas de la quitter. Nous sommes des adultes et elle ne le saura pas.
– Moi je saurai, ce qui est largement pire.
Elle eut une moue déçue.
– C'est quoi le problème ? Je ne suis pas assez belle pour rivaliser avec elle ?
– Regardez par vous-même, répondit-il en lui désignant le tableau d'un geste du menton.
Les yeux de son interlocutrice s'écarquillèrent de surprise.
– C'est... elle ?
– Oui.
Il ne put cacher la fierté dans sa voix. Un éclair de jalousie traversa le regard d'Abby et Ryan le décela. Élena était sublime sur ce portrait en noir et blanc. Il avait pris cette photo dans leur appartement alors même qu'elle se vernissait les ongles des pieds. Il avait appelé son prénom, elle avait tourné la tête vers lui, et il avait immortalisé le moment en la prenant par surprise.
– J'espère qu'elle en vaut pas la peine et qu'elle mérite toute cette loyauté de votre part.
– C'est moi qui ait de la chance de l'avoir dans ma vie.