Alfred, fidèle au poste, ouvrit la portière avec une légère inclinaison de tête.
— Madame, où souhaitez-vous aller ?
Susan prit quelques secondes pour réfléchir, le regard perdu dans le vide. Puis elle déclara calmement :
— Conduis-moi d’abord chez un bijoutier. Je ne sais pas exactement lequel… emmène-moi simplement dans la meilleure boutique de la ville.
— Très bien, madame, répondit Alfred sans poser davantage de questions.
La voiture roula en silence avant de s’arrêter devant une luxueuse bijouterie, dont la façade rutilante témoignait d’une récente rénovation. Susan inspira profondément, rassembla son courage et pénétra seule dans l’établissement, tandis qu’Alfred restait à l’extérieur.
Dès qu’elle franchit le seuil, plusieurs employés s’avancèrent vers elle avec des sourires polis. Leur accueil chaleureux contrastait avec l’hésitation qu’elle affichait en observant les vitrines étincelantes.
— Madame, puis-je vous aider ? Quels bijoux recherchez-vous exactement ? demanda une vendeuse élégamment vêtue.
Susan, un peu mal à l’aise, lâcha sans détour :
— Montrez-moi les pièces les plus précieuses que vous possédez.
Si elle avait dû acheter pour son propre plaisir, jamais elle n’aurait osé regarder des bijoux dépassant quelques milliers de dollars. Mais l’image menaçante de Julian, et surtout ses paroles du matin, résonnaient encore dans son esprit. Elle n’avait pas le choix : il fallait frapper fort.
— Les meilleures pièces ? répéta la vendeuse, les yeux brillants d’avidité. Bien sûr, madame, un instant.
Elle disparut à l’arrière-boutique, puis revint avec trois écrins qu’elle disposa sur un plateau de velours.
— Voici nos plus beaux trésors.
Elle ouvrit le premier coffret et dévoila un collier somptueux.
— Un collier en saphirs bleus, tous taillés par l’un des maîtres joailliers les plus renommés au monde. La pureté des pierres est irréprochable, le travail, unique. Il est estimé à un million trois cent mille dollars.
Susan écarquilla les yeux, abasourdie.
— Un million trois cent mille ? Pour un collier ?
Elle avait beau être préparée, la somme lui paraissait irréelle. Comment une si petite parure pouvait-elle coûter autant ?
Le sourire de la vendeuse se figea aussitôt, comme si elle venait de douter de la réelle capacité d’achat de sa cliente.
Susan, mal à l’aise, désigna d’un signe de tête les deux autres coffrets.
— Et ceux-là ?
— Ce bracelet en jade Hetian, d’une qualité exceptionnelle, vaut un million neuf cent mille dollars. Quant à cet ensemble de coiffe en or massif, incrusté de pierres rares, il atteint un million cinq cent mille dollars, expliqua la vendeuse, sûre d’impressionner.
Susan inspira discrètement. Elle aurait voulu tout prendre d’un coup, simplement pour en finir. Mais l’attitude hautaine de l’employée l’irrita. Alors qu’elle s’apprêtait à répliquer, une voix qu’elle connaissait bien résonna derrière elle, teintée de moquerie.
— Tiens, mais n’est-ce pas Susan ? Tu es venue, toi aussi, admirer des bijoux hors de prix ?
Susan se retourna, et son estomac se noua. Mandy se tenait là, au bras de Luke, les lèvres retroussées en un sourire méprisant. Leur apparition soudaine lui donna l’impression qu’aucun endroit n’était assez grand pour éviter de croiser son passé.
— Bonjour, monsieur Jenkins, mademoiselle Ainsley, lança aussitôt la vendeuse, rayonnante. Quelle agréable surprise ! Vous venez pour vos bijoux de mariage, n’est-ce pas ? J’ai justement reçu de nouvelles pièces qui pourraient vous plaire.
Mandy promena son regard sur les présentoirs, jusqu’à ce qu’il s’arrête sur le collier en saphir bleu.
— Ce collier est splendide, remarqua-t-elle avec satisfaction.
— Vous avez un œil avisé, mademoiselle, dit la vendeuse en s’empressant d’acquiescer. C’est l’une de nos plus belles pièces…
— Attendez ! coupa Susan en fronçant les sourcils. Ce collier, je l’ai demandé en premier.
Elle avait beau trouver le comportement de la vendeuse exaspérant, elle devait absolument acheter quelque chose ici. Son choix s’était déjà arrêté sur les trois pièces présentées.
Mandy éclata d’un rire sec.
— Toi ? Tu crois pouvoir te le permettre ?
Ses lèvres s’étirèrent dans une moue sarcastique.
— Ah mais oui… j’oubliais que tu as Julian Shaw derrière toi. Mais tu sais aussi bien que moi qu’aucune de ses petites amies ne dure plus d’une semaine. Ou alors… il vient déjà de te jeter ? Tout le monde sait à quel point Julian est généreux quand il largue une femme. Tu as sans doute reçu une belle somme. Ce serait idiot de tout gaspiller d’un coup.
Luke, qui jusque-là avait gardé le silence, fronça légèrement les sourcils face à l’agressivité de Mandy.
— Mandy, ça suffit. Elle a posé la question en premier, laissons-la décider.
Mandy se tourna vers lui, faussement peinée. Elle se pendit à son bras et gémit :
— Mais Luke ! Tu sais très bien ce qu’elle m’a fait vivre. Tu as oublié ce café que Julian m’a jeté dessus à cause d’elle ? Rien que d’y penser, je bouillonne encore.
Luke soutint son regard, troublé par ses yeux brillants d’innocence. Mais il resta ferme.
— Peu importe le passé. Ne sois pas capricieuse.
Une lueur glacée passa dans les prunelles de Mandy. Elle ne comprenait pas pourquoi Luke, qui avait pourtant tiré un trait définitif sur Susan, prenait subitement sa défense. Avait-elle mal jugé la situation ? Non… il avait tout oublié, elle en était certaine. Il ne pouvait s’agir que d’un excès de sévérité à son égard.
Changeant aussitôt de ton, Mandy retrouva son sourire mielleux.
— Luke, tu sais que ce mariage est le plus beau jour de ma vie. J’ai toujours rêvé d’un collier comme celui-ci. Il irait si bien avec ma robe de mariée. S’il te plaît…
Luke soupira, caressa tendrement son bras, puis se tourna vers Susan.
— Mademoiselle Shelby, Mandy a eu un coup de cœur pour ce collier. Pourriez-vous accepter de lui céder ?
Susan sentit son estomac se tordre. Les mots résonnèrent comme un coup de couteau. Leur mariage… Il parlait de mariage, le sien, prévu pour le mois prochain. Elle aurait dû être cette mariée. Ils s’étaient promis de s’aimer jusqu’à la mort. Pourtant, il se tenait devant elle, priant pour une autre.
Tout intérêt pour les bijoux s’éteignit instantanément dans son cœur.
— Mademoiselle Shelby ? insista Luke d’un ton poli.
Susan releva à peine les yeux. Ses doigts se crispèrent sur son sac.
— Je ne veux plus de ce collier, dit-elle dans un souffle. Luke… je te souhaite d’être heureux.
Un silence pesa. Luke fut surpris de la netteté de sa réponse. Finalement, il inclina légèrement la tête.
— Merci.
Sans tarder, il régla le collier et le tendit à Mandy, qui rayonna de fierté.
— Tu es merveilleux ! s’exclama-t-elle en se haussant sur la pointe des pieds pour déposer un b****r sonore sur sa joue.
Ce geste intime le prit au dépourvu, mais il ne protesta pas.
Susan, de son côté, resta immobile, les yeux baissés. Sa silhouette fine semblait sur le point de se briser. Cette image troubla étrangement Luke, qui sentit son cœur se serrer sans raison. Pourquoi regardait-il encore vers elle ? Pourquoi ce pincement douloureux le gagnait-il ?
La voix sèche de la vendeuse ramena Susan à la réalité.
— Madame, souhaitez-vous voir les deux autres pièces ?
Susan secoua la tête, déjà tournée vers la sortie.
— Je n’en veux plus.
Elle se détourna, déterminée à quitter les lieux.
À mi-voix, la vendeuse ricana entre ses dents :
— Il suffisait d’admettre que vous n’en avez pas les moyens. Inutile de jouer la comédie.