Le claquement sec de ses talons sur le marbre attira tous les regards.
Nora entra dans le hall, vĂȘtue dâun tailleur noir sur mesure et dâune chemise blanche dĂ©licatement entrouverte. Son parfum, subtil mĂ©lange dâambre et de vanille, la prĂ©cĂ©dait toujours.
Les conversations sâinterrompirent aussitĂŽt.
Les hommes la suivaient du regard, fascinés.
Les femmes la dĂ©taillaient, jalouses, incapables de comprendre comment une seule femme pouvait concentrer autant dâassurance, de beautĂ© et de pouvoir.
Nora Morel.
LâemployĂ©e prĂ©fĂ©rĂ©e du patron, lâarme secrĂšte de lâentreprise.
Celle quâon envoyait pour conclure les contrats impossibles.
Elle entra dans le bureau de M. Lenoir, son supérieur direct.
â Ah, Nora ! Parfait, jâespĂ©rais vous voir. VoilĂ le prochain contrat que vous devrez signer avec le PDG de Valmore Industries.
â ConsidĂ©rez que câest dĂ©jĂ fait, rĂ©pondit-elle avec un sourire tranquille.
Elle saisit les dossiers, les rangea dans sa mallette et quitta la piĂšce dâun pas ferme.
Aucun doute, aucune hésitation.
Elle ne ratait jamais sa cible.
Six ans plus tĂŽtâŠ
La pluie tombait drue ce soir-lĂ .
Une voiture, des rires, une famille.
Puis, en une fraction de seconde, le bruit du métal, les cris, le choc.
Quand Nora ouvrit les yeux Ă lâhĂŽpital, tout Ă©tait fini.
Ses parents étaient morts sur le coup.
Ă ses cĂŽtĂ©s, sa petite sĆur Ălina pleurait, le regard vide.
Vide, parce quâelle ne voyait plus rien.
Le mĂ©decin lui avait dit dâune voix grave :
â Votre sĆur a perdu la vue. DĂ©finitivement.
Ce soir-lĂ , tout ce que Nora avait de tendre mourut avec eux.
Elle avait vingt ans, presque diplÎmée en négociation et stratégie commerciale.
Ălina nâen avait que seize.
Trop jeune pour la nuit, trop fragile pour la solitude.
Les jours suivants furent une guerre silencieuse.
Les pleurs dâĂlina chaque soir, les lettres de refus dâemploi, la douleur de la perteâŠ
Nora sâeffondrait souvent en cachette.
Mais Ă chaque chute, elle se relevait, plus forte, plus dĂ©terminĂ©e, elle devait s'occuper de sa petite sĆur et les factures n'allaient pas se payer toutes seules.
Elle dĂ©cida quâelle ne serait plus jamais une victime.
Puisquâon ne lui laissait aucune place, elle sâen crĂ©erait une.
Elle observa le monde autour dâelle et comprit vite une chose :
le pouvoir, ici, parlait une seule langue â celle du dĂ©sir.
Elle se façonna alors comme une Ćuvre dâart.
Des mois dâentraĂźnement, de rĂ©gime, de contrĂŽle.
Elle sculpta son corps comme une arme, son regard comme un piĂšge.
Elle Ă©tudia lâhomme dans les moindres dĂ©tails : sa psychologie, ses faiblesses, ses dĂ©sirs inavouĂ©s.
Elle apprit à charmer, à convaincre, à séduire sans jamais se donner ou presque.
Chaque geste, chaque sourire, chaque mot devint calculé.
Et un jour, elle réussit.
Elle gagna son premier grand contrat.
Puis un autre.
Et un autre encore.
TrĂšs vite, on ne parlait plus de **Nora Morel**, mais de « la plus grande addiction » â la femme quâaucun homme ne pouvait oublier, et que toute entreprise rĂȘvait dâavoir de son cĂŽtĂ©.
Retour au présent
Le PDG de Valmore, Henri Delcourt, lâaccueillit dans son bureau dâun ton faussement dĂ©tachĂ© :
â Quelle agrĂ©able surprise⊠Que me vaut lâhonneur dâune visite aussi dĂ©licieuse ?
â Toujours un plaisir de vous voir, monsieur Delcourt, rĂ©pondit-elle, en refermant la porte derriĂšre elle.
Il la regardait avec une intensité presque dévorante.
â Si seulement tu acceptais dâĂȘtre Ă moi, Nora⊠Je ne te mĂ©rite pas ?
Elle esquissa un sourire.
â Vous ĂȘtes un homme charmant, monsieur. Mais certaines limites sont nĂ©cessaires. Il faut bien se tenir loin du feu pour ne pas se brĂ»ler.
Il posa une boĂźte sur la table et l'ouvrit.
â Peut-ĂȘtre que ceci te fera changer dâavis.
Des clés de voiture.
â Une BMW ? Vous pouvez faire mieux.
Elle rit doucement.
â Vous savez, ils sont nombreux Ă mâen offrir. HonnĂȘtement, venant de vous, je mâattendais Ă bien plus.
â Et que veux-tu ?
â Simple. Signez ce contrat, et on en reparle.
Il la regarda longuement, troublé par sa présence.
Elle sâassit sur le bord du bureau, croisa ses jambes, ses yeux plantĂ©s dans les siens.
Elle savait exactement ce quâelle faisait.
Lui, non.
â Vous savez, monsieur Delcourt, il y a des territoires que vous ignorez encore, murmura-t-elle.
il la tira brusquepent et la fit asseoir sur lui.
â Montrez les moi alors dit-il en murmurant Ă son oreille, puis posa une main sur ses seins essaya d'avancer doucement pour faufiller dans sa chemise entrouverte, mais Nora enleva sa main,
Puis elle sâĂ©carta doucement, ajoutant :
â Chaque chose a un prix. Signez, et vous aurez ce que vous dĂ©sirez le plus.
â Essayez vous de me charmer ? il dit il en la regardant dans les yeux, elle dĂ©tourna le regard toujours en souriant, l'air amusĂ©.
â Voyons monsieur je n'ai pas le niveau pour ça.Nos rapports restent purement proffessionnels.
Il attrapa un stylo et signa sans mĂȘme lire.
Elle rangea les papiers, et le regarda avec un sourire.
â Ce sera un plaisir de collaborer avec vous.
â Dois-je passer vous chercher ce soir ?
â Patience, monsieur Delcourt. Payez dâabord le prix.
En sortant, elle sentit les regards, les murmures.
Certains lâadmiraient, dâautres la jugeaient.
Mais tous la regardaient.
Et elle, elle aimait ça.
Sur le chemin du retour chez elle, elle décida d'aller quelques courses pour la maison.
Au supermarchĂ©, quelques heures plus tard, elle rĂ©alisa Ă la caisse quâelle avait oubliĂ© sa carte.
â Vous maintenez la commande, madame ? demanda la caissiĂšre.
Trois voix masculines sâĂ©levĂšrent en chĆur derriĂšre elle :
â Je paie pour la dame.
Elle sourit.
Toujours.
Chez elle, la porte sâouvrit sur la douce voix dâĂlina.
â Je suis rentrĂ©e, petite sĆur ! Jâai fait quelques courses.
â Super ! Jâai fait Ă manger pour toi, rĂ©pondit la jeune fille.
â Quoi ? Des spaghettis ? sâexclama Nora, ravie.
â Oui. Câest ma façon Ă moi de tâaider. Je ne peux pas te laisser tout faire seule.
Nora la prit dans ses bras.
â Franchement, tu mâĂ©pates. Ton professeur particulier va ĂȘtre fier de toi.
â Oh, vraiment ?
â Oui. Si tu te dĂ©brouillais aussi bien en maths quâen cuisine, tu aurais dĂ©jĂ un prix Nobel !
Elles rirent ensemble, complices, loin des regards, loin des masques.
Et pendant un instant, Nora redevint simplement **une grande sĆur qui aimait** â avant de redevenir, dĂšs le lendemain, **la plus grande addiction.**