CHAPITRE 4
Le soleil déclinait doucement sur le campus, dorant les vitres des bâtiments et les feuilles des grands arbres du jardin universitaire. Léa marchait aux côtés de Simone, leurs sacs sur l’épaule, encore pleines de bavardages d’après-cours.
— Pfiou, j’en peux plus des exposés, soupira Simone en s’étirant. On dirait qu’ils s’arrangent toujours pour les placer juste avant le week-end.
— C’est leur manière de tester notre motivation, répondit Léa en riant.
Elles traversèrent la rue et entrèrent dans le petit restaurant qu’elles fréquentaient souvent, un coin tranquille, chaleureux, où la serveuse les connaissait déjà. Elles s’installèrent près de la fenêtre, à leur table habituelle.
À peine assises, Simone se pencha vers Léa, un sourire malicieux aux lèvres.
— Dis, t’as vu le beau gosse qui est venu en classe aujourd’hui ?
Léa arqua un sourcil, un peu distraite.
— Lequel ?
— Mais si ! Le nouveau, celui qui est arrivé en retard en plein milieu du cours d’économie. Brun, les yeux clairs, un air un peu mystérieux… Tu l’as pas vu ?
Léa fit mine de chercher dans ses souvenirs.
— Hmm… vaguement. Il s’est assis deux rangs derrière, non ?
— Exactement ! Franchement, il était canon. Tu trouves pas ?
Léa esquissa un petit sourire.
— Oui, il est pas mal.
— Pas mal ? répéta Simone avec un faux air choqué. Léa, enfin ! Ce mec est une œuvre d’art. Si j’étais pas déjà prise, je foncerais sans hésiter.
Léa rit doucement, amusée par l’enthousiasme de son amie.
— Tu dis ça à chaque fois qu’un garçon a une mâchoire bien dessinée.
— Peut-être, mais là… c’est différent, insista Simone en mordillant sa paille. T’as vu son regard ? On aurait dit qu’il scannait la salle.
Léa secoua la tête, un sourire au coin des lèvres. Pourtant, son esprit, lui, était ailleurs.
Ce n’était pas ce garçon mystérieux qu’elle avait en tête… mais quelqu’un d’autre.
Quelqu’un qu’elle n’aurait jamais dû désirer.
— Et toi alors ? reprit Simone. T’as quelqu’un dans ton viseur ces temps-ci ?
Léa se figea un instant.
Son cœur eut un léger raté.
Elle détourna le regard vers la fenêtre, feignant l’indifférence.
— Moi ? Non… personne, répondit-elle d’un ton neutre. Comment avouer sa meilleure amie que la personne sur qui on crush est le père de celle ci ??
— Allez, fais pas ta discrète ! T’as forcément un crush, toi aussi.
— Je t’assure, non.
Mais ses doigts jouaient nerveusement avec la serviette en papier. Et dans un coin de son esprit, la silhouette de Laurent s’imposa, comme un souvenir qu’elle aurait préféré effacer : sa voix grave, son sourire, son regard posé sur elle ce matin-là.
Simone, elle, continuait de parler du « beau gosse de la classe », sans se douter une seconde que son amie cachait un secret brûlant.
Et Léa, derrière son sourire calme, se battait contre ses propres pensées, cherchant à chasser ce visage d’homme mûr qui hantait encore son esprit.
Mais plus elle essayait de l’oublier… plus il s’imposait à elle.
(...)
La route entre l’université et la maison de Simone n’était pas bien longue. Une quinzaine de minutes à pied à peine, à travers les petites rues bordées de fleurs et les allées de vieux immeubles aux façades ocres. Léa aimait ces moments : la marche, les discussions légères, la sensation de liberté qui venait avec les études loin du cocon familial.
Elle avait quitté ses parents il y a à peine un an pour venir poursuivre sa formation en comptabilité. Ce n’était pas toujours facile, mais elle s’en sortait bien. Entre les cours, les petits jobs étudiants et ses révisions, elle se débrouillait. Simone, elle, suivait un autre parcours, plus tourné vers la communication, mais les deux jeunes femmes avaient gardé leur complicité d’enfance. Parfois, leurs emplois du temps se croisaient et elles se retrouvaient dans la même salle de cours, comme au bon vieux temps du lycée.
Mais aujourd’hui, alors qu’elles rentraient ensemble, le cœur de Léa battait un peu plus vite que d’habitude.
Elle ne savait pas pourquoi, mais depuis la dernière fois depuis cette nuit où elle avait dormi chez Simone à cause de la pluie quelque chose avait changé. Une image persistait dans son esprit. Celle de Laurent, le père de Simone.
Cet homme qui semblait taillé dans la maturité et la prestance.
Cet homme qui, sans le vouloir, avait fait naître en elle un trouble qu’elle n’aurait jamais imaginé.
Elle se souvenait encore du moment où leurs regards s’étaient croisés, ce matin-là, dans la cuisine. Ce regard tranquille, presque bienveillant… mais qu’elle, stupidement, avait trouvé terriblement séduisant.
Depuis, chaque fois que Simone prononçait le mot “papa”, un léger frisson lui montait le long du dos.
— On y est ! lança joyeusement Simone en ouvrant le portail de la grande maison.
Léa leva les yeux vers la demeure lumineuse, entourée d’un jardin impeccablement entretenu.
Le père de Simone, Laurent , était un homme respecté en ville, à la tête de plusieurs entreprises — dans l’immobilier, la construction, et récemment, un restaurant de standing. Rien d’étonnant à ce que Simone ait toujours eu ce petit air de fille bien née, à la fois indépendante et sûre d’elle.
En entrant dans le hall, Léa sentit cette odeur familière un mélange de bois ciré, de parfum masculin et de café. Ce parfum précis qui la désarmait.
Sans réfléchir, elle se tourna brusquement vers Simone :
— Ton père est à la maison ? demanda-t-elle, la voix un peu plus aiguë qu’elle ne l’aurait voulu.
Simone haussa les sourcils, un petit sourire curieux au coin des lèvres.
— Euh… oui, il est là, je crois. Pourquoi ?
Léa sentit immédiatement la chaleur lui monter aux joues.
— Non, rien. C’était juste pour savoir, répondit-elle trop vite.
Simone plissa les yeux, la dévisageant avec un air malicieux.
— Attends une minute… pourquoi t’es toujours bizarre quand mon père est là ?
— Moi ? Bizarre ? Mais pas du tout ! se défendit Léa, un peu trop vivement encore.
— Si, si. Je te connais, Léa. T’as toujours un petit air nerveux, comme si tu venais de faire une bêtise.
Léa tenta un sourire maladroit.
— N’importe quoi. C’est juste que je me demandais s’il fallait qu’on fasse pas trop de bruit, c’est tout.
Simone éclata de rire.
— Oh, t’inquiète pas, il est cool. Et puis il bosse souvent dans son bureau. Allez, viens, on monte avant notre prochain cours, on aura le temps de réviser un peu.
— Oui, d’accord, répondit Léa, la voix plus basse.
Elle suivit Simone dans l’escalier, le cœur battant un peu trop fort. Chaque marche semblait la rapprocher de cette maison, de cet homme qu’elle essayait désespérément d’effacer de son esprit.
Mais c’était peine perdue.
Alors qu’elles passaient devant la porte du bureau, Léa entendit un léger son de clavier, le froissement d’une chemise, le murmure d’un appel téléphonique. Elle sentit ses doigts trembler.
Simone, insouciante, continuait de parler de leurs projets pour le week-end.
Mais Léa, elle, ne l’écoutait qu’à moitié.
Une partie d’elle voulait fuir cette maison, cet étrange malaise.
Et l’autre… l’autre voulait simplement rester encore un peu, juste pour croiser à nouveau ce regard, entendre cette voix grave, sentir ce parfum discret qui semblait s’accrocher à l’air.
Ce n’était qu’un fantasme.
Un secret inavouable qu’elle porterait seule.
Mais il brûlait déjà doucement, quelque part entre la raison et le désir.