CHAPITRE 11
L’amphithéâtre bruissait d’un mélange de voix et de chaises qu’on traînait maladroitement. Les étudiants revenaient peu à peu de la pause, les uns avec un café à la main, les autres encore plongés dans leurs téléphones. Le professeur N’Diaye entra à son tour, un dossier épais sous le bras et ses lunettes glissées au bout du nez.
— Bien, lança-t-il d’une voix ferme, faisons un peu de silence, s’il vous plaît. Aujourd’hui, on parle de vos lieux de stage.
Immédiatement, les bavardages cessèrent. Même Simone, habituellement si bavarde, redressa la tête. Léa, elle, sentit une pointe d’angoisse lui serrer la poitrine.
Le professeur posa son dossier sur la table et le tapota de la main.
— Je vous rappelle que le stage est obligatoire pour la validation de votre année. Sans attestation, pas de passage en cycle supérieur. Vous avez compris ?
Une vague de murmures parcourut la salle.
— Ceux qui ont déjà trouvé, poursuivit-il, doivent me remettre l’accord de leur entreprise avant vendredi. Pour les autres… il va falloir vous activer. Les places sont rares cette année.
Léa sentit son ventre se nouer. Elle serra son stylo entre ses doigts, NERVEUSE. Elle n’avait toujours aucun lieu de stage. Elle avait envoyé plusieurs candidatures, mais aucune réponse positive.
Le professeur commença à appeler un par un les noms des étudiants pour vérifier leur situation.
— … Simon ? — Présent ! J’ai été pris dans une société de transport.
— Parfait.
— Mademoiselle Léa ?
Léa se leva, la gorge un peu sèche.
— Euh… pas encore, monsieur. Je cherche toujours.
Le professeur haussa les sourcils, compatissant mais un peu agacé.
— Toujours pas ? Vous avez pourtant eu la liste des entreprises partenaires depuis trois semaines.
— Oui, mais… elles ont déjà toutes pris des stagiaires, répondit-elle timidement.
Un petit silence pesa. Quelques têtes se tournèrent vers elle.
— Hum… je vois. C’est embêtant, dit le professeur en feuilletant son dossier. Je n’ai plus grand-chose à proposer non plus. Les comptabilités sont saturées cette année.
Il la regarda par-dessus ses lunettes.
— Essayez de démarcher par vous-même. Parlez-en autour de vous, cherchez dans des sociétés privées, même petites. Tant qu’elles peuvent encadrer un stage en comptabilité, ça ira.
Léa hocha la tête, le cœur serré.
— D’accord, monsieur. Je ferai le nécessaire.
Elle se rassit lentement, la tête basse. La voix du professeur reprit, mais elle n’entendait plus rien. Ses pensées se bousculaient.
Pas de stage, pas de validation.
Elle avait travaillé si dur toute l’année. L’idée d’échouer pour une simple question de placement lui paraissait insupportable.
À côté d’elle, Simone tapotait sur son téléphone, tout sourire. Elle ne semblait pas du tout concernée par le stress ambiant.
Quand le cours prit fin, les étudiants sortirent en petits groupes. Simone, déjà pleine d’énergie, tira Léa par le bras.
— Viens, on va au jardin.
Elles s’assirent sur un banc, à l’ombre d’un manguier. Léa fixait ses doigts entrelacés, l’esprit ailleurs.
— Ça va ? demanda Simone, remarquant son air abattu.
— Pas vraiment. Si je ne trouve pas de stage cette semaine, c’est fini pour moi… Je devrai peut-être redoubler.
Simone posa une main compatissante sur son épaule.
— Mais non, t’inquiète. Tu vas trouver, j’en suis sûre. Il y a toujours une solution.
Léa esquissa un faible sourire, sans grande conviction.
— Je l’espère.
Pendant ce temps, Simone sortit son téléphone et fit mine d’envoyer un message. Mais ses yeux pétillaient d’un tout autre intérêt.
Un peu plus loin, sur les marches du bâtiment, se tenait le nouveau.
Celui dont elle parlait depuis le déjeuner : le beau brun au regard calme et à la démarche tranquille. Il riait avec deux camarades, le soleil jouant dans ses cheveux sombres.
— Regarde-moi ça… murmura-t-elle. Il est encore plus mignon en plein jour.
— Qui ça ? fit Léa, distraite.
— Le nouveau, voyons ! Tu te souviens ? Celui qui est arrivé cette semaine en éco-finance.
— Ah, oui… tu m’en as parlé.
— Je vais aller lui parler, décida-t-elle soudainement, pleine d’assurance.
— Quoi ? Maintenant ?
— Ben oui, pourquoi pas ? Si j’attends, une autre fille le fera avant moi.
Avant que Léa ait le temps de répondre, Simone s’était déjà levée, le sourire malicieux, ses cheveux volant derrière elle. Elle marcha droit vers le petit groupe, lança une remarque légère qui fit rire tout le monde, et en quelques secondes, elle était déjà assise à côté de lui, à discuter comme si elle le connaissait depuis toujours.
Léa les regarda de loin, un peu amusée malgré son inquiétude.
C’était typique de Simone : spontanée, directe, incapable de laisser passer une opportunité — que ce soit pour un projet… ou pour un garçon.
Léa, elle, sortit son carnet et nota quelques entreprises à contacter dans l’après-midi.
Elle se jura que demain, elle aurait trouvé une piste, peu importe laquelle.
Mais au fond d’elle, elle sentait déjà le poids de la fatigue, du doute… et ce vide que laissait sa peur de l’échec.
Pendant que Simone riait au loin avec le nouveau, Léa se promettait en silence de ne pas laisser tomber.
Elle ne pouvait pas échouer.
Pas maintenant.
Pas après tout ce qu’elle avait quitté pour en arriver là.
Simone avançait d’un pas décidé, le sourire aux lèvres.
Le soleil de midi chauffait encore un peu, mais une brise légère jouait dans les arbres du campus. Autour d’elle, les étudiants passaient en petits groupes, certains pressés, d’autres distraits.
Mais elle, elle n’avait qu’une idée en tête : le nouveau.
Il était là, assis sur les marches du bâtiment principal, un sac en bandoulière à ses pieds, discutant avec deux camarades. Son rire était calme, posé, presque timide. Il ne ressemblait pas aux garçons bruyants et sûrs d’eux qu’elle côtoyait d’habitude.
Et c’était justement ça qui l’attirait.
Simone prit une inspiration discrète, replaça une mèche de cheveux derrière son oreille et s’approcha d’un pas léger, feignant la nonchalance.
— Salut, lança-t-elle d’une voix claire.
Le petit groupe se tourna vers elle. L’un d’eux la reconnut immédiatement.
— Hey, Simone ! Tu viens pour le cours d’après ?
— Non, répondit-elle avec un sourire espiègle, je fais juste un peu de tourisme entre deux séances.
Son regard se posa sur lui.
Le nouveau.
Il la regardait aussi, surpris mais poli, ses yeux d’un brun profond la détaillant avec une curiosité tranquille.
— Tu dois être le nouveau, je me trompe ? dit-elle en s’adressant à lui directement.
Il hocha légèrement la tête.
— C’est exact. Adam. Adam Toma. Je viens d’intégrer le programme d’éco-finance.
Sa voix était douce, posée, légèrement grave. Le genre de ton qu’on écoute sans s’en rendre compte.
— Enchantée, Adam, répondit-elle en lui tendant la main. Moi, c’est Simone Delmas.
Il serra sa main, un sourire discret au coin des lèvres.
— Simone… je crois que ton nom revient souvent ici.
— Ah oui ? fit-elle en arquant un sourcil. Et qu’est-ce qu’on raconte sur moi ?
— Rien de compromettant, rassure-toi. Juste que t’as une réputation d’élève brillante… et d’un peu bavarde, parfois.
Elle rit franchement, amusée.
— Brillante, je prends. Bavarde… je plaide coupable.
Les deux camarades d’Adam échangèrent un regard complice avant de s’éclipser discrètement, prétextant un rendez-vous à la bibliothèque. Simone les salua d’un geste distrait, trop absorbée par la conversation.
— Alors, tu viens d’où ? demanda-t-elle. On ne t’avait jamais vu avant.
— Je viens de la fac de Léon . J’ai été transféré ici pour finir mon master.
— Waouh, changement radical, non ?
— Un peu, oui. Mais j’aime bien l’ambiance ici. C’est plus vivant.
— Tu verras, tu vas vite t’y faire. Et puis, si t’as besoin d’un guide pour survivre sur ce campus, je suis la mieux placée, lança-t-elle en souriant.
Il pencha la tête, faussement sérieux.
— Un guide, hein ? J’espère que t’es compétente.
— Oh, plus que compétente, répondit-elle d’un ton joueur. J’ai même une carte du campus et une liste des profs à éviter.
Il éclata d’un rire franc, sincère. Un son clair qui fit battre le cœur de Simone un peu plus vite qu’elle ne l’aurait voulu.
— D’accord, dit-il. Marché conclu, Simone la guide.
— Parfait. Et toi, Adam le nouveau, tu comptes t’intégrer rapidement ou tu préfères rester discret ?
— Honnêtement ? Je préfère observer d’abord, voir comment les choses fonctionnent ici.
— Un stratège, donc. J’aime ça.
Leurs yeux se croisèrent à ce moment-là. Un échange court, mais intense. Ce genre de regard où tout se suspend une seconde : les bruits du campus, le vent, même le temps.
Adam détourna le regard en souriant, un peu gêné.
— Tu sembles avoir beaucoup d’amis ici.
— Oui, mais ça ne veut pas dire que j’ai trouvé des gens intéressants, répondit-elle doucement.
Il la regarda à nouveau, surpris par la sincérité dans sa voix.
Elle avait cessé de jouer, juste un instant. Et dans ce bref silence, quelque chose de plus vrai s’installa entre eux.
Puis, comme pour briser la tension, Simone se leva d’un bond.
— Bon ! J’ai une amie à retrouver avant notre prochain cours. Mais si t’as besoin de ton guide, tu sais où me trouver.
— Je retiens, répondit-il en souriant.
— Parfait. Et évite de te perdre d’ici là, ce serait dommage.
Elle fit quelques pas en arrière, puis lui lança un dernier regard malicieux avant de s’éloigner vers le jardin. Adam la suivit du regard un moment, les mains dans les poches, le sourire discret.