Arlen revient vers moi un peu plus tard, un chaleureux éclairant son visage.
« Hé, Néryn, ça te dit que je te ferais visiter un peu la maison ? »Je hochai la tête, soulagé de voir enfin quelqu'un de gentil.
Il me prend par les bras et m'entraîna doucement dans un long couloir aux murs en pierres claires, baigné par la lumière dorée de l'après-midi.
« La maison est un peu vieille, mais elle est solide. C'est ici que la meute vit, depuis des générations. » expliqua-t-il en passant devant une grande cheminée où le feu crépitait doucement.
On s'arrête devant une bibliothèque chargée de livres, certaines aux couvertures abîmées.
« Ici, c'est pour ceux qui aiment lire. Si tu veux, je peux te prêter quelques-uns. » Je souris sincèrement. « J'aime beaucoup lire. »
Il haussa les épaules en riant doucement.
« Je m'en doutais un peu, ça se voit. »
Il me montra ensuite la cuisine, où une odeur alléchante de pain chaud flottait dans l'air, puis les pièces communes décorées avec soin, des meubles en bois patinés par le temps et des tapis aux couleurs chaudes.
« La meute passe beaucoup de temps ici. C'est notre refuge. »
Je posai la main sur un mur en pierre rugueuse, sentant une étrange sensation de calme et de sécurité.
Avant de terminer la visite, Arlen se tourne vers moi, un peu sérieux cette fois.
« Si tu as besoin de quoi que ce soit, n'hésite pas à demander. On est pas très doués pour montrer ce qu'on ressent, mais on est là. »
Je le remerciai, touché par sa gentillesse.
Peut-être que, pour la première fois, j'allais trouver un endroit où je pourrais être… moi.
Je me réveillai doucement, bercé par le chant discret des oiseaux à l'extérieur. La lumière du matin filtre à travers les rideaux beiges, dessinant des motifs doux sur le sol. Je n'avais pas rêvé. Je n'étais plus dans ma cabane, ni dans la forêt.
Je m'étirai un peu, encore surpris par la douceur du lit et par le fait de me sentir… bien. Pas de tâche, pas de regard méprisant, pas de solitude écrasante. Juste moi, et cette étrange maison.
Quand j'ouvris la porte, Arlen était déjà là, une tasse fumante à la main.
« Bien dormir ? » demanda-t-il avec ce sourire qu'il semblait porter en permanence. Je hochai la tête. « Tu veux voir ce que font les autres ce matin ? C'est assez calme, mais tu verras, chacun à sa façon de vivre ici. »
Je le suivis sans trop réfléchir. Dans les couloirs, les murs étaient couverts de cadres : des photos, des dessins d'enfants, des empreintes de pattes… Une chaleur humaine flottait dans chaque détail.
On croisa une vieille dame qui me fit un petit clin d'œil complice, puis deux jeunes garçons qui couraient en riant, leurs pieds nus frappant le plancher.
Dans la cuisine, un loup-garou imposant préparait quelque chose dans un grand chaudron. Il leva les yeux vers moi, m'observa un instant, puis me gratifia d'un simple hochement de tête.
« C'est Ragos, le genre de type à pas parler beaucoup, mais il cuisine comme un roi. »
Je souris poliment. Tout était nouveau, trop grand, trop vivant. Mais étrangement… je ne me sentais pas de trop.
On me propose une assiette. Je ne savais pas si j'étais censé accepter, mais Arlen insista. Et je cédai.
Le goût me surprend. C'était chaud, épicé, réconfortant. Rien à voir avec les racines fanées et les fruits à moitié secs de la forêt.
Le reste de la matinée passa ainsi : je découvris un petit atelier où certains sculptaient du bois, une pièce avec des instruments de musique poussiéreux, un jardin intérieur baigné de lumière…
Chaque recoin semblait être habité par un souvenir, une vie, une chaleur que je n'avais jamais connue.
Mais au fond de moi, une question persistait : combien de temps cette paix allait-elle durer ? Et surtout… avais-je le droit d'y goûter vraiment ?
Je marche seul dans le couloir, les murs encore imprégnés d'odeurs inconnues et rassurantes. Chaque jour ici révèle une découverte, mais aussi une tension. Une impression de marcher sur un fil entre deux mondes.
Quand je passe devant une porte entrée, une voix grave m'interpella.
« Entre. »
Je sursautai, reconnaissant immédiatement le timbre. Lyam.
Je pousse doucement la porte. Il était là, assis à un bureau en bois sombre, penché sur des papiers. Il ne leva pas tout de suite les yeux, mais il savait que j'étais là. Il le sentait. Comme toujours.
« Tu t'habitues ? » exigera-t-il sans détour.
Je haussai les épaules, un peu croustillant.
« C'est… différent. »
Il hocha lentement la tête, pertinent enfin le regard vers moi. Ses yeux m'analysèrent un instant. Pas pour juger. Plutôt pour lire entre les lignes de mon silence.
« Arlen dit que tu poses beaucoup de questions. »
Je rougis un peu. Était-ce un reproche ?
« Désolé… je ne veux pas déranger. »
Lyam se redressa dans sa chaise, croisant les bras.
« Ne t'excuse pas d'être curieux. Ce monde est vaste. Et tu n'en viens pas. Tu as le droit de chercher à comprendre. »
Il se leva. Malgré la neutralité de son ton, sa présence emplissait la pièce. Il s'approche, mais s'arrête à une distance respectueuse. Il ne franchissait jamais la limite. Il observe. Attendait.
« Tu as l'air… différent d'eux », dis-je sans réfléchir.
Un coin de sa bouche se relève presque imperceptiblement.
« Ils sont ma meute. Je les protège. Mais ça ne veut pas dire que je suis comme eux. »
Je baissai les yeux.
« Moi non plus, je ne suis pas comme les miens. »
Le silence s'installe, étrange, pas hostile. Juste… dense. Chargé de ces mots qu'on ne sait pas dire.
Il me regarda un moment encore, puis dit simplement :
« Si tu veux apprendre, je peux t'aider. Mais seulement si tu en as vraiment envie. »
Je hochai lentement la tête. Et pour la première fois, je sens qu'il y avait peut-être ici plus qu'un toit. Peut-être… une place.
Lyam ne disait rien pendant un long moment. Il fixait la fenêtre, son profil dur baigné par la lumière du jour déclinant. Moi, je reste là, debout au milieu de la pièce, à ne pas trop savoir quoi faire de mes mains. J'avais l'impression de ne jamais vraiment savoir comment me tenir quand il était là.
Finalement, il parle.
« Ce que tu es… ce que tu as été… ne te prépare pas à vivre ici. »Je sens mon estomac se nouer. Était-ce une façon polie de me dire que je ne faisais pas partie de ce monde ?
Mais il tourne la tête vers moi, ses yeux s'ancrent dans les miens.
« Pourtant, tu observes. Tu écoutes. Tu essaies. C'est plus que beaucoup. »
Je baissai les yeux, une chaleur étrange montant dans ma poitrine.
« J'aimerais comprendre », murmurai-je. « Tout. Ce que sont les alphas, les meutes, les… lois. »
Un silence. Puis, il s'approche d'un pas mesuré.
« Je peux t'enseigner. Un peu chaque jour. »
Je levai brusquement la tête, surprise.
« Vraiment ? »
Il acquiesça, calme comme toujours.
« Mais si tu veux apprendre mon monde, tu me montreras le tien aussi. »
Je penchai la tête, intrigué.
« Mon monde ? »
« La forêt. Les fées. L'arbre-mère. Comment vous vivez. Je veux comprendre aussi. »
Je souris, sans le vouloir. C'était… la première fois que quelqu'un me demandait ça. M'écouter. Vouloir savoir.
« D'accord. »
Il croisa les bras, hochant légèrement la tête, comme s'il validait intérieurement cette décision.
« À commencer demain soir. »
Je hochai la tête avec un enthousiasme que je ne cherchai même pas à cacher. C'était peut-être un simple accord. Peut-être même un test. Mais pour moi, c'était un début. Une vraie chance.
Une forme d'équilibre.