Que lui prenait-il de mentir ainsi ? Se demanda Novi à nouveau. Et pourquoi bafouillait-elle ? C’était comme si elle n’arrivait pas à réfléchir sous ce regard gris et encore moins à agencer des phrases correctes.
− C’est bien loin pour chercher du travail ? Demanda le nommé Danny qui la fixait, le regard inquisiteur.
Elle eut un sourire gauche.
− J’avais envie de changer d’air et j’ai toujours une certaine fascination pour les Hampton depuis que je suis tombée un jour sur la série : Revenge.
Ce qui n’était pas fou, mais de là à venir si installer.
− Vous ne pensez pas vous êtes trompée de période pour venir visiter le coin. L’été est fini et il y a plus grand monde.
− C’est même encore mieux, dit-elle sincère. Les gens ont toujours l’esprit surchauffé durant l’été alors que là tout est calme et on peut vraiment voir le vrai visage des Hampton et mieux en profiter. Ce que j’en pense.
Elle eut un doux rire.
− Je ne pense pas rester de toute façon longtemps. Au moins jusqu’à Thanksgiving.
Et, elle continuait à mentir, pensa-t-elle, se retenant de se mordre la lèvre inférieure d’embarras.
− Vraiment !
Il eut un petit sourire en coin qui rendit ses yeux plus brillants.
Elle déglutit et opina de la tête.
− Oui. Vous êtes le premier endroit où je viens demander du boulot.
Encore un autre mensonge. Elle s’y engouffrait. Pourquoi faisait-elle ça ?
Elle le vit froncer les sourcils, l’air de réfléchir puis tourna la tête vers le comptoir.
− Venez avec moi, dit-il en dirigeant vers le comptoir.
Il lui fallut quelques secondes avant de saisir ses paroles et de le suivre.
− Hey Patrick ! Tu m’avais bien dit que Rod avait bien besoin d’aide, n’est-ce pas ?
Patrick se tourna vers eux et ne sembla pas la remarquer tout de suite.
− Même s’il refuse de le dire, la réouverture du bar et l’été ont été intense. Et même la fin de l’été n’a que peu fait diminuer l’affluence des clients. Pas que je m’en plaigne, mais Rod a trinqué ses dernières semaines et il aurait besoin de souffler un peu.
− Je me suis bien rendu compte qu’il était aussi buté que toi, dit Danny en riant. Vous formez un beau couple, tous les deux.
Patrick lança un regard noir à Danny qui sourit largement, tout en continuant de nettoyer des verres qu’il rangea.
Un beau couple !!! Patrick serait gay ? Était-ce la raison pour laquelle ils n’avaient pas le même nom avec ce Danny et pourquoi il n’avait pas fait partir de sa vie ? Ne nous emballons, se tança Novi. Elle avait toujours la manie de laisser ses pensées galopées à grande vitesse avant de pouvoir les réfréner et de s’imaginer tout et n’importe quoi.
− Ta blague n’est pas drôle, Danny ! Dit-il sur un ton de remontrance. Alors pourquoi me poses-tu cette question ?
− Eh bien, je viens de rencontrer une charmante jeune femme qui dit être cuisinière et à la recherche d’un travail temporaire. Elle serait là en vacances.
− En vacances ? En plein automne !
− Moi aussi cela m’a surpris, mais elle a eu l’amabilité de m’expliquer que l’endroit était ainsi plus tranquille qu’en été.
Patrick hocha la tête.
− Ce n’est pas faux, dit-il.
Une serveuse arrivée les interrompit et tandis que Patrick s’occupait de la servir, Danny se tourna vers elle, le regard malicieux. Il avait dit qu’elle était charmante.
Novi a toujours su qu’elle était plutôt jolie même si parfois elle aurait aimé être moins plantureuse, mais dans leur famille, les femmes avaient des formes et on les acceptait un point c’est tout. Ce qui n’avait pas été facile pour elle, dans un monde où les femmes minces − et blanches − avaient la primeur. En plus, elle n’était pas vraiment grosse.
Détournant les yeux du regard inquisiteur de Danny, elle observa Patrick Flynn derrière le bar qui évoluait avec aisance, prenant les commandes et servant.
Lorsqu’il eut fini et tourna la tête vers elle, il la regarda un instant, très fugace puis reporta son attention sur Danny.
− Je veux bien rencontrer la jeune femme dont tu as parlé, Daniel.
− Elle est juste là, dit celui-ci sans détourner la tête en la montrant du menton.
Si elle avait pu, Novi aurait rougi. Se mordant la lèvre, elle regarda Patrick reporter son attention sur elle et la regarder plus attentivement.
− Votre visage me rappelle quelqu’un, dit-il presque dans un murmure, mais elle l’entendit.
Novi déglutit. Avait-il remarqué une quelconque ressemblance avec sa mère ? Pourtant, physiquement, elles ne se ressemblaient pas beaucoup, mais elle avait hérité d’elle le contour des yeux, ses lèvres et ses formes plantureuses.
Avec un sourire gauche, elle avança vers le bar.
− Je m’appelle Novi Jordan, dit-elle en lui tendant la main.
Il la scruta encore un moment puis un sourire se dessina sur son visage et il lui serra la main.
− Patrick Flynn, propriétaire de ce bar.
− L’un des propriétaires, intervint Danny.
− J’oubliais, dit-il en le lorgnant. Vous avez un bon accent du sud, dit-il plus comme constatation.
− Elle vient d’Atlanta, dit Danny avant qu’elle puisse ouvrir la porte. Je me rends compte que je ne vous avais pas demandé votre nom, dit-il en se tournant vers elle. Novi, c’est joli.
Et, il était sérieux. Mais, celle qui le portait l’était encore plus au point qu’il n’arrivait pas à détacher son regard d’elle, même s’il sentait le regard de son oncle dans son dos le picoter comme des lames de couteaux. Cela faisait bien longtemps qu’une femme n’avait pas émoustillé ses sens.
− Ma grand-mère aussi, voilà pourquoi elle me l’a donnée, répondit-elle avec un sourire charmant.
− Vous êtes bien loin de chez vous, Mlle Jordan, les interrompit Patrick.
− C’est vrai. Je voulais voir un peu des États-Unis comme on dit, dit-elle avec un sourire gauche.
Patrick lui jeta un regard soupçonneux. Que pouvait-il penser d’elle ? Qu’elle était une fugitive ou une criminelle ? Cela n’aurait rien d’étrange. Quelle personne normale quitterait sa ville d’origine à l’autre bout du pays pour venir ici en dehors de l’été.
- Même si j’aimerais vous embaucher tout dépendra de Rod.
- Et c’est un vrai tyran qui ne laisse personne entrer dans sa cuisine, ajouta Danny avec un clin d’œil.
- Tu devrais rentrer maintenant, Danny. Je vais m’occuper de Novi.
- Tu ma chasses, tonton ?
- Non mais si je me souviens bien tu n’avais dit que tu rentrais.
Danny poussa un soupir. Son oncle avait raison, il avait prévu de dormir tôt, car demain il partait à New York et y passerait toute la journée.
Son oncle intercepta une des serveuses qui passaient près d’eux puis quitta le comptoir pour se diriger vers les cuisines. Danny le suivit des yeux.
- Patrick…il est vraiment en couple avec ce Rod, dit Novi après quelques instants.
La douce voix de Novi lui fit tourner la tête vers elle et il la regarda perplexe avant de saisir avant le sens des paroles. m***e ! Elle avait cru en sa blague de tout à l’heure.
- Oh…non, non. Je blaguais, dit-il un air embêté. Mon oncle et Rod sont de très vieux amis, c’est tout.
- Oh ! Dit-elle quelque peu soulagée, ce qui n’échappa à Danny qui en vu quelque peu surpris par sa réaction.
Pas que cela l’aurait dérangé, mais elle aurait très déçu si c’était à cause de cette raison que Patrick n’avait pas fait partir de sa vie. Et Danny n’était pas le fils de Patrick, mais son neveu et pourtant il y avait une grande ressemblance. Pas complète, mais suffisante.
- Les voilà !
Patrick revenait en effet accompagner d’un grand noir la cinquantaine plutôt encore robuste.
- C’est elle qui veut venir cuisiner ici ? Demanda le grand black, lorsqu’ils arrivèrent devant elle.
- Oui, monsieur, répondit-elle directement. Je suis Novi Jordan et je suis une excellente cuisinière. J’ai même travaillé dans un restauré trois étoiles.
C’était il y a deux ans et elle avait dû le quitter lorsqu’un client avait osé mentir en prétextant qu’elle avait tenté de le voler et de le séduire . Un hypocrite oui. Elle avait refusé ses avances obscènes et il s’était bien vengé d’elle. Et, elle n’a pu rien faire. Qu’aurait-elle pu faire contre un juge ? Elle réprima un frisson à ce souvenir et scruta plus avant Rod. Il lui rappelait Pete, le voisin de sa mère. Un cinquantenaire également qui s’occupait des gamins de foyers. Un gentil homme qui lui était bien gay sinon depuis longtemps elle aurait joué les entremetteuses entre lui et sa mère.
- Joli accent ! dit-il en levant un sourcil. D’où vous venez ?
- Atlanta, dit-elle en le lorgnant.
Lui aussi avait un accent du sud.
- Et vous ?
- Un vieux patelin du Mississipi, dit-il en scrutant Patrick.
Reculant d’un pas, il se frotta le menton du pouce et de l’index tout en la détaillant.
- L’heure du diner peut devenir un moment chaotique. Même à cette période de l’année où il y a moins de monde. Espérons que l’hiver sera plus calme, dit-il en baissant le bras. On va voir si vous pouvez vous en sortir, Novi Jordan.
- Là, maintenant ? Demanda-t-elle quelque peu paniquer.
Jamais, elle n’aurait cru que son petit mensonge irait aussi loin même si cela lui permettrait en fait de mettre exactement en place son plan de se rapprocher de Patrick et d’apprendre à savoir qui était cet homme qui les avait abandonnés elle et sa mère et n’avait essayé de refaire surface dans leur vie. Méritait-il de savoir qu’il avait peut-être une fille ?
Et puis, la cuisine, c’était son domaine, sa vie, sa passion. Rien ne serait plus éprouvant que les fêtes de fin d’année dans le restaurant de Gilbert Black, où elle avait commencé à travailler à la dernière année du lycée. Si elle avait réussi à y survivre trois années de suite, ce petit bar même à l’heure du dîner ne serait la faire reculer.
- Oui. Rien ne vaut de monter au front pour voir de quoi est capable un vrai soldat.
Elle vit Patrick et son neveu levés les yeux au ciel avec un soupir théâtral assez comique et presque synchro.
Et, elle sourit.