Chapitre 3

2130 Mots
Chapitre 3 Casquette plate (comme celle des vieux paysans picards), lunettes à verres ronds (non-correcteurs), fausse barbe et fausse moustache, Bastien de Cozereaux se retourne vers Alexandre pour avoir son approbation. - Parfait ! Tout à fait monsieur Tout-le-Monde ! - Je pars à la pêche aux informations. J'espère qu'elles vont être bonnes. Il regarde son capitaine qui remonte la rue sur 300 mètres environ. Immeuble en pierres de taille de huit étages. Une plaque en bronze. Salomon Moyed, chirurgien dentiste, sur rendez-vous. Il appuie sur le bouton et pousse le battant droit de la lourde porte d'entrée en fer forgé. Dans le hall, un digicode pour chaque occupant. Il appuie à nouveau sur la touche "dentiste". Une voix féminine dans l'interphone. - Je suis attendu à 10 heures. - Oui ! Effectivement. Veuillez monter, je vous prie. Dès son arrivée au cabinet, le docteur Moyed a donné ses instructions à sa secrétaire. - Quand messieurs Lhortier et Querbond se présenteront, veuillez les installer dans mon bureau et venez m'avertir de leur arrivée. Merci. Anissa, conduit de Cozereaux alias Lhortier dans le bureau du patron. - Monsieur Querbond n'est pas encore arrivé ? - Non, pas encore. Dès qu'il se présentera, je le fais monter. Querbond, surnom d'emprunt pour Michel "Mickey" Chipot, son indic qui est toujours en retard. Dix minutes plus tard, Mickey est dans le bureau. Tout de suite, il tente de se justifier. - Pff ! J'ai dû faire des tours et des détours pour être certain que je n'étais pas suivi, si vous voyez ce que je veux dire ! - Je vois ! Alors, allons tout de suite aux faits ! - Ouais ! Bon ! J'sais pas trop par où commencer. J'ai des tas de trucs à vous dire commissaire... De Cozereaux lui a déjà dit des dizaines, des centaines de fois qu'il n'est pas commissaire. Mais faire rentrer ça dans la petite tête de Mickey... Maintenant, il s'en fiche ! Le principal, c'est ce qu'il va lui dévoiler. - Vous connaissez le Val de Fous ? Euh !... Le Val des Fées, je veux dire, bien que tout le monde nomme ces ensembles comme cela... Le capitaine ne dit rien. Il attend. S'il intervient, Chipot va encore partir dans des digressions à n'en plus finir. Car pour un indic, il est très bavard. Une vraie pipelette. Seulement, il faut souvent le ramener dans le vif du sujet, sinon il s'égare. Au début de leur coopération, Bastien s'est aperçu que lorsqu'il parlait trop, c'était parce qu'il n'avait rien de consistant, rien d'intéressant à lui proposer. - Je disais donc qu'au Val des Fées, dans un des immeubles, se planque un caïd. Un Caïd ou Caïn, ou le "coronaire". Ouais ! ça vient de l'angliche, paraît que ça veut dire croque-mort. Mais aussi le "mad madly", le "chainsaw"... C'est fou ce qu'on peut utiliser comme mots anglais de nos jours ! Vous trouvez pas ? Ou encore le trucideur, le sabreur, le Capone comme celui qui descendait un type pour un rien en Amérique. En fait on ne connaît que ses surnoms. Tout ça pour vous dire que ce mec dont on ne connaît pas le vrai blaze, le bonnet de la drogue de la région, loge parfois là-haut. Oh ! pas toujours. Paraît qu'il reste pas deux nuits au même endroit. Question sécurité ! - Et ce caïd, il ressemble à quoi ? - Rien pû savoir là-dessus. Mais il semblerait qu'il va venir au Val des Féees en fin de semaine. - Il semblerait ? Mais qui vous renseigne si mal ? - Ah ! commissaire, comme les journalistes je ne peux vous dévoiler mes sources ! J'suis pas une balance ! - C'est maigre, Mickey. Vous me faites perdre mon temps. Rien de bien nouveau qu'on ne sait déjà. Si c'est tout, s'il n'y a rien de plus précis, de plus sérieux, je vais envisager de me passer de vos services. Vous savez ce que cela veut dire ? - Holà ! Holà ! Je fais de mon mieux. Mais je dois protéger mes arrières. Si ces gens-là savent ce que je vous raconte, le Mickey il est dans une boîte en sapin dans la minute qui suit. Alors, vous perdez un indic. - Peut-être ! Mais je peux en trouver un meilleur. Tout comme je peux renvoyer le Mickey à l'ombre... - Vous pouvez pas faire ça ! - Pas si les renseignements sont de qualité. - J'ai aussi des infos sur les revendeurs, les détaillants. Le circuit s'est étoffé. Y en a qui vendent à l'arrière de la boîte de nuit vers le port de plaisance. - À l'arrière, vous voulez dire à l'intérieur ? - Non ! le patron refuse. Si ça se passe à l'extérieur de son établissement il s'en fout. Même si les jeunes la ramènent chez lui ensuite. - Intéressant. Et après ? - Après y a ceux qui "dealent" derrière le marché, ou sur le marché, à la gare, au port. Dans les chiottes du Grand Bistrot. Y en a un qui vend rue du Panier. Paraît qu'il fait fortune. - Bien ! Expliquez-moi ça plus en détail et je vous lâche. Un peu plus tard, de Cozereaux rejoint Alexandre. - Alors, il s'est mis à table ? - Oui, je crois qu'on va pouvoir agir et faire "du quota". Rentrons maintenant. Je rappelle les autres. On a du pain sur la planche. - Peut-être que les équipes on aussi trouvé quelque chose. - Possible. C'est bien pour cela qu'il faut tout mettre à plat et s'organiser. Ce gros bonnet, comme le nomme mon indic, si on parvient à l'attraper en flagrant délit... - On y va tous, en force... - Non ! J'ai une autre idée. Mais attendons le reste de la troupe. Un peu avant l'heure du déjeuner, tous les Sant's sont revenus au bercail. Pas grand-chose. La routine. Sauf Bernard et son équipe. Une altercation au marché. - Le poissonnier était en train de se friter avec un jeune. Un attroupement s'était formé. On est arrivé juste à temps pour les séparer avant qu'un lynchage public ne se produise. Le poiscaillier gueulait comme un veau qu'on égorge parce que le mec qu'il tabassait vendait de la drogue près de son camion. On a stoppé l'échauffourée et fouillé le type. Rien. Pas un nano micron de came sur lui. À son tour, il s'est mis à hurler contre le foutu enfant de p****n de mareyeur qui l'accusait. À tort et à travers. Qu'avait rien vu ou qu'avait des hallucinations. Des hallucinations d'un type en manque. Je ne te dis pas ce que ces paroles ont provoqué chez le poissonnier. On allait relâcher le jeunot quand un quidam nous a affirmé qu'il l'avait vu dans les allées du marché en compagnie d'une jeune femme. Qu'on n'a bien sûr pas retrouvé sur les lieux ! On a coffré le mec pour en savoir plus. Si tu veux l'interroger ? - Pas tout de suite. Mais ton type du marché ça corrobore les infos de mon indic. À ce propos, il m'a parlé d'un revendeur. Un bon. Rue du Panier. Faudrait aller voir. - Rue du Panier ? Celle qui débouche sur la rue Étienne Marcel par cinq marches d'escalier et qu'est très fréquentée ? - Faut m'attraper ce gars-là. Le faire parler pour aboutir à l'arrestation du gros bonnet. - Tu vois ça comment ? demande Livio. - Je n'ai pas son signalement précis. Mais il vend de la drogue près des escaliers justement et à côté du passage voûté qui conduit à l'autre rue. Si on pouvait dégoter une planque chez l'habitant, examiner le va-et-vient. Qui stationne ici ou là ? On pourrait ensuite l'épingler en flagrant délit. - Ouais ! Ça me paraît bien. Je suis d'accord pour prendre le premier tour si personne ne s'y oppose, propose Bernard. - Tu restes en planque combien de temps ? intervient Olivier. - Quatre heures. Qu'est-ce que t'en penses Bastien ? - Oui ! Passé ce temps, on risque de s'endormir et de rater le client. Donc d'abord Bernard, puis Olivier. Je prends le troisième quart. Ça m'étonnerait qu'il vende au milieu de la nuit. Allez les gars, en piste. Je vais voir le lascar que vous avez amené. Dans l'appartement au 2e étage d'un ancien fusiller-marin et de son épouse, Bernard, derrière les rideaux, a installé ses jumelles. Voilà plus de deux heures qu'il scrute les mouvements des passants dans la rue. Rien de suspect. Les deux retraités n'ont jamais remarqué quelque chose d'illicite. Faut dire qu'ils sortent peu et qu'ils ne sont pas pendus à leur fenêtre toute la journée. Bernard cède la place à Olivier et à deux autres collègues. Encore deux heures sans que rien ne se passe. Et si l'info de Mickey était fausse ? Vers 6 heures, Anthony les yeux toujours vissés sur les jumelles déclare : - Je crois que j'ai notre type. Regarde Olivier, là contre le mur, près des poubelles vertes. Olivier se précipite et jette un coup d'œil. - Difficile à dire. Pour l'instant ce mec qui lit son journal n'a pas l'air d'un revendeur. - Pourtant y a des gens qui s'approchent de lui, qui discutent. Ils se tapent la main comme s'ils se connaissent et partent en passant sous le porche. - Sous le porche ! Merde ! D'ici on ne voit pas ce qui s'y passe. Faut descendre d'un étage. Le fusiller-marin est bien triste de savoir que son appartement ne convient pas. De voir partir les gars des stups lui mine un peu le moral. - Toute la gloire reviendra au voisin du dessous s'ils attrapent cette vermine, dit-il à sa femme. Du premier, effectivement on voit mieux sous le porche. Mais pas jusqu'au bout. Olivier fait une découverte. - Vindiou, les gars ! Quand un type vient discuter avec le mec qui lit son journal, il ne lui tape pas dans la main. C'est pour lui glisser du fric. Ensuite, il passe sous le porche pour récupérer sa came. Mais qui la lui donne ? Si l'un d'entre nous descend, on va se faire repérer et ça sera foutu ! - Mais il y a aussi quelque chose qui me chiffonne, dit Anthony. Ces trois ou quatre gamins à bicyclette qui font des tours et des tours, qui passent et repassent dans la rue, sous le porche... Ce va-et-vient, c'est pas normal ! Et si c'est ces mioches qui détiennent les doses ? - Si t'as raison, le type au journal est vachement malin. Qui pourrait penser qu'il deale ? Si on l'arrête, je suis certain qu'il n'a rien sur lui. - Alors qu’est-ce qu'on fait ? demande André. - Je téléphone au Duc. De toute façon il nous faut du renfort pour bloquer les escaliers, la rue et le passage voûté. Faut choper tout le monde. Le type au journal, les marmots et si possible un client. Ça serait bien le diable si dans le tas il n'y en a pas un qui craque. Surtout les mômes. - Quoi ? Tu veux aussi arrêter les gosses ? s'exclame André. - On va se gêner. Surtout si on trouve des sachets de poudre sur eux. Le capitaine a tôt fait d'être sur les lieux. Toute l'équipe est désormais à pied d'œuvre. On bloque les issues pour que personne ne puisse s'échapper. On bloque d'abord les jeunes ados à bicyclette. Ils n'ont rien vu venir et n'ont pas pu avertir le lecteur du journal local. L'un des gamins, qui frôle les 15 ans, a dans sa petite sacoche accrochée sous la selle, des petits sachets de poudre blanche. Pas du sucre, de toute évidence ! Un autre de la m*******a. Bastien prend deux doses avec lui et se dirige vers le "journaleux". - Ne bougez plus monsieur ! Police. Toute résistance est inutile et vous aggraveriez votre cas. - Mais j'ai rien fait, moi ! On peut plus lire son journal tranquille ? Vous n'avez pas le droit de m'arrêter. - Oh que si ! Je suis sûr qu'en vous fouillant on trouvera des choses intéressantes dans vos poches. - Mais vous êtes dingue ! Je trempe pas là-dedans. Eh ! Eh ! C'est quoi que vous fourrez dans ma poche ! Lâchez-moi. Le jeune homme commence à hurler, à s'agiter, à ameuter le quartier. Bastien fait semblant de le fouiller et retire d'une de ses poches deux sachets compromettants. - Et ça ? C'est de l'infusion ou du talc ? Allez les gars, on embarque tout ce beau monde. En quelques minutes tout est réglé. Tout redevient calme dans la rue. Seuls Livio et Alexandre sont restés pour retrouver les parents et les avertir de la garde à vue possible de leur progéniture. À l'hôtel de police, on commence l'interrogatoire. - Nom, prénom usuel, date de naissance, lieu de naissance, adresse, s'il vous plaît. - Je sais pas ! J'suis un enfant trouvé ! - Comme vous voulez ! Mais on finira bien par tout savoir. Là, maintenant vous aggravez votre cas. Si vous coopérez, ça peut s'arranger. Alors, toujours décidé à ne rien dire ? Donc, je reprends, nom, prénom... la routine quoi ! Rien n'y fait. L'individu se mure dans son silence. Il ne balance personne. Mais après deux heures en tête à tête avec Bastien, puis avec Bernard qui lui annonce que les gamins, eux, sont passés aux aveux, il se décide enfin à parler. - D'accord. OK ! OK ! Juvénal. - Juvénal, c'est votre prénom ? - Ben, oui ! C'est moins laid que Joseph, Jean-Pierre ou René ! - Nom de famille. Adresse.... Pour le reste, Juvénal a décidé de garder le silence. Même s'il sait que son sort est déjà réglé, même s'il sait qu'avec leurs fichiers et l'informatique... Pour Bastien et ses hommes, le plus dur reste à faire. - Il faut lui mettre la pression. On lui annonce qu'il est déféré devant un juge et son incarcération dans la foulée. Dans la cité, l'arrestation de Juvénal est sur toutes les lèvres. On n'en revient pas. Bruno qui devait le rejoindre et commencer le lendemain se dit qu'il a bien de la chance. Il en tremble encore. Mais il a fait une promesse qu'il doit honorer. Il file chez Ève et sa mère pour les consoler. - Je vais rester chez vous pour parer à toute éventualité. J'ai promis à Juvénal. Si vous le voulez bien, je reste ici cette nuit. Je dormirai sur le canapé. - Ma... - Je t'en prie maman, moi j'ai trop peur. Et tes parents qu'est-ce qu'ils vont dire ? - Bof ! Tu sais, ils sont habitués à ne pas me voir rentrer. Ils penseront que je couche chez un copain. Allez, tranquillise-toi. Tout ira bien.
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