Chap. 3
La vieille dame était restée dans le coma un peu plus d’une semaine, mais fort heureusement, elle n’en avait gardé aucune séquelle, mais par mesure de précaution les médecins avaient préféré la garder quelques jours supplémentaires à l’hôpital. Au final elle y resta deux semaines et demi. Son frère et Oboun s’étaient succédés à son chevet, avec qui des fruits frais, des croissants ou encore des fleurs ce qu’elle préférait par-dessus tout. En général ils n’arrivaient jamais en même temps, le jeune frère de la vieille dame passait pendant la journée surtout et à ce moment-là Oboun lui était au boulot. Son heure à lui c’était la fin d’après-midi, après son travail, il passait la voir avant de rentrer chez lui, et vu qu’elle était en vacances, Oloun était souvent avec lui. Elle guettait l’heure, et un peu avant que son père ne quitte le garage elle débarquait avec quelque chose pour madame Nkoghe. Il faut l’avouer c’était elle qui prenait l’initiative à chaque fois, son père n’étant pas très… cadeaux. Il disait que lorsqu’il s’agissait de faire plaisir à une personne, même qu’il connaissait bien, il avait du mal à se décider pour tel ou tel article. C’était tout lui.
Durant les deux week-end qu’elle passa hospitalisée par contre, Oboun et son frère se croisèrent souvent à l’hôpital. Ils purent faire connaissance, discuter de chose et d’autre, et l’homme comprit pourquoi sa grande sœur s’était prise d’affection pour ce type un peu bizarre, qui ne parlait pas beaucoup. Au final il s’était, en peu de temps, lui aussi attaché au duo de choc que formait le père et la fille, dont les caractères étaient il faut se l’avouer à l’opposé l’un de l’autre. L’accident n’avait pas beaucoup abîmé la camionnette, alors cette fois dans le doute madame Nkoghe préféra la vendre et s’en remis à l’expertise d’Oboun. Et enfin décida de s’acheter une bonne vieille camionnette de marque Bios. Elle connaissait suffisamment bien la ville désormais, pour pouvoir se passer d’un système de localisation. Mais en attendant de reprendre ses activités son frère préféra l’emmener se reposer chez lui auprès de sa famille. Pour Oboun c’était un coup dure, car la vieille dame était ce qui ressemblait le plus à une famille pour sa fille et lui, mais il était d’accord avec le frère de la vieille dame. Elle serait mieux entourée là-bas durant sa convalescence.
Plus le temps passait, et plus Oboun avait le sentiment que cette fatigue qu’il ressentait maintenant de façon régulière, en revenant du boulot avait quelque chose d’anormale. Il avait décidé de faire un tour à l’hôpital histoire de se rassurer qu’il ne s’agissait pas d’un problème plus grave. Le docteur Nkù était l’un de ses clients et avait très bonne réputation, ce qui était plutôt rare pour un médecin, allez savoir pourquoi. Il avait lui aussi un modèle de voiture Bios, l’un des rare à s’être acheter un modèle haut de gamme de cette marque et, le type était si fan de son bolide « vintage » qu’il n’autorisait à personne d’autre qu’Oboun à se pencher sur elle.
L’homme profita donc du passage du praticien au garage, pour la révision de sa voiture, pour lui faire un petit résumé de sa situation. Il préférait en parler d’abord avec le docteur avant de prendre rendez-vous à l’hôpital. L’homme arriva sans faute le mercredi matin au volant de son bolide et réclama le mécano :
_ Hé Oboun comment tu vas mon cher ? Fit le sieur Nkù en s’approchant de lui
_ Pas trop mal et vous doc ?
_ Ho je me prépare, avec les fêtes de fin d’année qui s’annoncent je vais encore avoir plus de boulot que je ne peux en assumer,
_ C’est pareil pour nous autre, mais on n’y peut rien n’est-ce pas ?
_ Oui, je viens te confier ma starlette pour sa révision, je vais reprendre l’habitude des trajets en taxi durant quelques temps, mais franchement tu as l’air épuisé… c’est le séjour à l’hôpital de ta marraine qui t’a mis dans cet état ?
_ Même pas, et le pire c’est que ce n’est pas le boulot, non plus
_ Ha non ?
_ Non, depuis quelques semaines, bien avant son accident, même lorsque j’ai eu une journée normale et même souvent tranquille je suis épuisé en rentrant, la gamine elle commence à s’inquiéter je le vois bien
_ Tu dois avoir un problème avec toutes ces ondes qui sont partout ici, on a beau dire mais on n’est pas tous les mêmes tu sais, les voitures connectées… on s’évertue à dire aux gens qu’elles sont nuisibles personne n’écoute, et certains y sont plus sensibles
_ Alors on n’y peut rien ?
_ Ecoute, des fruits et des légumes verts aussi souvent que possible, une alimentation plus diversifiée, et du repos, et aussi autant que possible rester loin d’appareils connectés
_ Même les téléphones ???
_ Oui mon cher, même eux de temps en temps, il faut s’en tenir éloigner
_ Si c’est ce qu’il faut, je vais m’y atteler, et ma gamine qui est tout le temps avec ses trucs, elle vit avec, dors avec et tout et tout
_ C’est dans l’air du temps, mais si elle n’a aucun symptôme c’est qu’elle y est moins sensible que toi, alors tu ne stress pas, et tiens moi au courant du moindre changement hein ??
_ Bien doc, bon maintenant je vais devoir m’occuper de votre belle, mais ce ne sera pas très long c’est juste une révision vous pourrez la récupérer lundi, ce sera bon,
_ C’est pour ça que je te la confie à toi mon cher, tu as toujours des dates fixes et pas de chi chi, à lundi alors et d’ici là prends soin de toi
Oboun salua l’homme d’un geste de la main et se mit au travail. Une simple révision n’allait pas lui prendre trop de temps, mais il lui fallait aussi nettoyer les bougies, faire la vidange et purger le system. Au moins, elle serait comme neuve jusqu’à la prochaine fois, si son proprio n’avait pas d’accident d’ici là. Notre homme savait le médecin prudent alors, il ne s’inquiétait pas outre mesure, mais s’il s’était s’agit d’un modèle de voiture connecté, après l’accident de la vieille dame, pour sûr il se serait inquiété. Et puis, malgré son amour pour les bolides, le doc n’était toutefois pas féru de vitesse. Une chance !
La fin de l’année est une période propice pour se faire du Miang, tout le monde le sait, et les mécanos encore plus. Tous ceux qui travaillent en collaboration avec des clients le savent. Les cadeaux étaient de nature si diversifiée que tous les commerçants savaient qu’ils feraient du chiffre pendant cette période. Cela amusait énormément Oboun, en fait c’était depuis que la gamine était en âge de choisir ses cadeaux, qu’il était véritablement devenu comme tous ces parents, qui sillonnent les rayons des magasins à la recherche d’une bonne affaire, le cadeau idéal. Les nouvelles technologies étant les plus en vue, tout le monde cherchait la dernière innovation pour son enfant.
Mais après avoir été informée des recommandations du docteur concernant la santé de son père, Oloun avait confiée à celui-ci qu’elle ne voulait plus de toutes ces babioles, et que ce qu’elle voulait plus que tout, c’était son poulailler. Oboun se dit, que si la petite avait choisi de se priver pour sa santé alors, il allait lui offrir son poulailler. Il devrait tout de même, faire le tour des magasins spécialisés, et pour une fois il décida d’y aller avec sa fille. Elle pourrait choisir du matériel, et découvrir quel travail nécessitait son poulailler. Cela l’aiderait certainement à en prendre soin. Du moins c’est ce que pensait Oboun. Il partait du principe, qu’on chérissait toujours plus ce qui nous avait couté le plus d’efforts, et d’implications personnelles. Ce poulailler, il voulait qu’il soit celui de sa fille, alors il ferait en sorte qu’elle le construise elle-même. Il ne serait lui qu’une aide pour elle. Un genre de superviseur disons.
Oboun avait le jardinage pour passe-temps et c’était ce qu’il aimait faire, et il voulait que sa petite ait un passe-temps à elle, loin des écrans et des ondes de toute cette technologie. Elle faisait déjà l’effort de réduire ces ondes lorsqu’il était à la maison, mais il voulait qu’elle aussi y soit moins exposée. En suivant les conseils du docteur, Oboun avait repris du poil de la bête. Il allait beaucoup mieux, et étrangement il avait l’impression que son état de santé s’améliorait de façon exponentielle. Il avait plus d’énergie même le matin au réveil, il avait plus d’endurance et arrivait à faire des diagnostics plus rapidement aussi. Et tout cela grâce à un simple régime, c’était quand même difficile à croire. Mais à défaut d’avoir une autre explication il acceptait celle-là, et ça lui convenait.
Etrangement pendant cette période de préparation des festivités de fin d’années, il y avait une recrudescence d’incidents et d’accidents, dans lesquels étaient impliquées des autos connectées. Au début dans la petite ville, plusieurs avaient d’abord émit l’idée qu’il s’agissait certainement d’un problème isolé, que peut-être la position de la ville, ou son réseau étaient en cause. Mais les mêmes types d’incidents avaient lieu un peu partout dans le royaume, et ce qui passait pour une bonne chose à l’arrivée de ce nouveau genre de véhicules, commençait à devenir un sujet d’inquiétude. Le patron du garage avait confié à Oboun un jour, qu’il avait l’impression que tous ces constructeurs avaient dû ratés quelque chose, certainement durant le raccord avec les satellites ou quelque chose du genre :
_ Il ne peut pas s’agir de simples disfonctionnements c’est impensable, sinon ils seraient liés tous plus ou moins à une marque, ou à un ou deux constructeur mais là…
_ C’est vrai que lorsqu’on se retrouve avec plusieurs autos de constructeurs et de marques différentes, et souvent de haut de gamme, ça devient louche, si j’étais complotiste, je dirais qu’il y a une personne derrière tout ça, rétorqua Oboun l’air sérieux
Son patron le fixa un instant et secoua la tête :
_ Tu pourrais avoir raison en l’état actuel des choses aucune piste n’est à écarter, mais honnêtement entre nous, qui pourrait avoir intérêt à…, non pas les conservateurs, ils n’iraient pas jusque-là ???
_ Non je ne pense pas, ils se font énormément de Miang avec cette engouement pour les objets high-tech, tous leurs objets « vintages » se vendent plus chers, c’est plutôt une bonne chose pour eux, non ???
_ C’est vrai, mais alors, le réseau ou la qualité de la connexion doivent être en cause dans cette succession de disfonctionnements, je ne vois pas d’autre explication, il serait temps qu’on envoi quelqu’un là-haut pour vérifier ce qui se passe avec toute cette technologie qu’on envoie dans l’espace
Le patron se disait que les constructeurs étaient suffisamment malins pour ne pas s’être rendu compte de ce qui se passait, et qu’ils étaient surement déjà en quête du problème, même s’ils n’en faisaient pas état. Et lorsqu’ils auraient une solution, il y avait des chances pour que certains modèles de voitures soient rappelés. Il tentait de se persuader que c’était ce qui se passait, surtout que pour le moment, il n’y avait pas encore eu mort d’homme. Et puis, les incidents n’avaient eu lieu qu’avec des modèles dernière génération, les plus récents donc. Il fallait se dire qu’il y avait eu quelques loupés dans leur processus de fabrication, c’était tout.
Oboun se dit en lui-même que le patron devait certainement avoir raison. Le cas de la vieille dame avait sans doute été si grave, à cause de son âge et le fait qu’elle n’avait pas envisagée que la voiture ne s’arrêterait pas. Peut-être sur une personne plus jeune, le choc aurait causé juste quelques bosses et c’est tout. Céder à la panique, ou même s’imaginer des choses qui n’avaient aucunes chances d’être vraies, c’était un peu enfantin. Et tout le monde savait désormais que les monstres n’existaient pas, ou du moins qu’on ne les trouvait pas sous les lits des tous petits. De toutes les façons en cas de complot ou de réel négligence de la part des constructeurs, il y avait des lois dans le royaume d’Ozambogha, ce n’était pas l’anarchie, et si certains ne le comprenaient pas, ils finiraient par en payer le prix. Alors il n’y avait rien à redouter… pour le moment du moins.
Au bout de quelques mois et cela après les fêtes de fin d’année, les incidents s’arrêtèrent d’un coup, comme si quelque chose avait été fait, et tout le monde s’en réjouit. La confiance revint petit à petit, alors là même qu’aucun des constructeurs n’avait communiqué quoi que ce soit au sujet des incidents. L’année scolaire avait recommencée, les flots d’élèves entrants et sortants des établissements aux heures de pointe redevenait chose courante. Heureusement que tous ces incidents avec les autos connectées s’étaient arrêté. Avec tous ces vas-et-viens, on n’aurait pas eu la chance de ne compter aucune victime, même collatérale. C’était surtout ce qui restaura la confiance, tout le monde se dit que ces types avaient dû se hâter de trouver une solution avant la rentrée. La sécurité était donc une de leur priorité, il n’y avait pas meilleur moyen de gagner des clients que de montrer aux gens qu’on se souciait d’eux. L’engouement pour les autos connectées repris de plus bel.
Il y avait chaque année, dans la ville d’Elik, une grande célébration, elle se déroulait en milieu d’année, à plusieurs mois des fêtes de fin d’année. C’était la fête de la ville. Il faut préciser ici qu’au départ, Elik était un petit village. Il avait été créé par les pères des notables de la ville qu’elle était devenue. Le juge Etô, le docteur Nkù, le patron du garage et le chérif, ainsi que la vieille Nkoghe, étaient tous des descendants des premières familles qui s’étaient installées dans la région, il y avait de cela deux cent cinquante ans tout juste maintenant. Eux et plusieurs autres. Les descendants de ces premières familles s’étaient donnés pour mission de développer ce petit coin de paradis, et d’y faire régner la paix autant que possible. Ils se faisaient un devoir de veiller sur le reste de la population comme des esprits bienveillants, de loin. Ils avaient toujours des emplois ou des entreprises qui faisaient dans les services à la personne, pompiers, instituteurs, médecins, policiers etc… et nombreux étaient ceux qui comme le juge, siégeaient à des postes importants. Il y avait des magistrats, des députés, et même le maire actuel était l’un de ces descendants.
Toutes ces familles avaient lutté pour que le petit, puis grand village, obtienne le statut de ville. Et ils y étaient arrivés. Et depuis, chaque année, on célébrait ce nouveau statut à la date de création du village, pour que nul n’oublie qu’au départ, Elik n’était qu’un tout petit village, et les anciens organisaient quelques activités qui visaient à rappeler à tous, les efforts consentit par tous ces gens pour créer un village au milieu de nulle part. Il y avait de cela deux cent cinquante ans. Et s’il y avait une période durant laquelle ceux qui étaient arrivés récemment dans la petite ville se sentaient « étranger » c’était à cette période. Mais fort heureusement, comme disait le maire, s’il n’y avait eu des personnes qui avaient cru en ce rêve en dehors des premières familles, rien de tout cela n’aurait été possible.
Une manière comme une autre de souhaiter, années après années, la bienvenue aux nouvelles familles, qui s’installaient dans la petite ville. Oboun était l’un de ces nouveaux arrivants, auxquels il avait fallu un moment pour se faire accepter, et si la mère de la gamine n’avait pas été descendante de ces premières familles, il ne serait peut-être toujours pour les uns et les autres qu’un « arrivant ». Hé oui ! Au moins cette relation lui avait apporté disons, une certaine légitimité au sein de la communauté. La demoiselle était une cousine du chérif, le genre sur qui tout le monde avait les yeux rivés en permanence. Sa tendance à faire toujours les choix qui mettaient les autres mal à l’aise, en était la raison principale. Et au départ, il faut se l’avouer, sa relation avec Oboun avait été perçue par la famille, comme un nouveau caprice, un nouveau moyen d’attirer l’attention sur elle. Un nouveau moyen de se rebeller, contre le politiquement correcte entretenu par la famille, génération après génération. Mais le sérieux de l’homme, avait fait espérer que peut-être… elle avait enfin décidée de rentrer dans le rang, de fonder une famille et de devenir une citoyenne… modèle.
Quoiqu’au final, personne ne fut surpris lorsqu’elle s’enfuit avec un autre jeune homme du coin, en abandonnant Oboun et sa fille d’à peine un an. A plusieurs reprises, la famille de la jeune femme avait tenté de reprendre la petite à Oboun, mais l’homme avait toujours refusé, il disait que la place d’un enfant était avec ses parents, et s’il ne restait que lui à la gamine, il se devait d’être là pour elle, et de s’en occuper. Puis avec le temps, ils avaient tous fini par reconnaitre qu’il s’en sortait plutôt bien. Et le statut de membre à part entière de la famille avait fini par revenir à l’homme. Tous le traitaient désormais comme l’un des leurs, et nul ne se souciait plus de ses origines. Après ça, le temps faisant son œuvre, personne ne s’était plus inquiété de ce qui était advenue de la mère de la gamine. Ils espéraient qu’où qu’elle soit, elle allait bien et que tout ça, lui mettrait un peu de plomb dans la cervelle.
Certains se demandaient cependant s’il continuait à penser à son ancienne compagne. Si cette « amour » qu’ils avaient partagé au début lui manquait, ou s’il n’en restait plus que ce qu’il avait transféré à sa fille. Personne ne savait bien ce qui se passait dans la tête de ce grand type pas très bavard qu’il était. Mais c’était un homme bien, qui prenait soin de sa gamine et de plusieurs autres personnes en s’occupant si consciencieusement de leurs voitures alors… on se disait dans le coin qu’il avait bien le droit d’avoir des secrets. Et d’être aussi introvertie. Il faisait sa part lui au moins.
Oloun avait désormais son propre poulailler, et c’était toujours un plaisir pour son père de la regarder s’en occuper. Il lui avait acheter cinq pondeuses, de belles poules qui allaient et venaient dans le potager d’Oboun sans faire de manière, comme si elles avaient toujours vécu là. Comme Oloun l’avait espérée, elle avait désormais des œufs régulièrement pour son petit déjeuner, tout droit sorti de son poulailler. Et pour les célébrations de la fête de la ville, elle avait décidé d’exposer les fruits et légumes du potager de son père, ainsi que des œufs de son poulailler. Et aussi les quelques poulettes très en forme qu’elle possédait. Le chérif avait trouvé que c’était une très bonne idée.